Premier Forum de Hammamet pour la déontologie et la liberté de la presse maghrébine – 22, 23 et 24 janvier 2013 : synthèse des débats Une grande date dans l’histoire de la presse maghrébine

Les 22, 23 et 24 janvier derniers, s’est tenu à Hammamet le premier Forum pour la déontologie et la liberté de la presse maghrébine. Organisé par la Délégation de l’Union européenne en Tunisie en partenariat avec le Forum International de Réalités et le soutien de la Fondation Friedrich Ebert et l’Association des Directeurs de journaux de Tunisie, il rassemblait, pour la première fois, les principaux acteurs de la presse des cinq pays du Maghreb: Maroc, Algérie, Tunisie, Libye et Mauritanie. Des représentants de la presse européenne et africaine ont également pris part à cet événement sans précédent, qui avait pour objectif de trouver un consensus sur un code de déontologie pour l’ensemble de la presse maghrébine.

Prenant la parole au nom de l’Union Européenne, Son Excellence l’ambassadrice de l’UE, Mme Laura Baeza, s’est «félicitée» de la tenue de ce sommet qui «marque un moment historique de la presse maghrébine». « Il s’agit d’un signal fort adressé aux différents pouvoirs de la région, a affirmé M. Taieb Zahar, Président du Forum International de Réalités. «Si nos politiques ne peuvent former un Maghreb uni, nous, ici, nous leur montrerons que nous pouvons former notre Maghreb», a ajouté  ce dernier qui s’est dit «ému et enthousiaste» d’assister au raffermissement des liens entre les principaux journalistes et éditeurs des cinq pays du Maghreb. Mme Elisabeth Braune, Représentante de la fondation allemande Friedrich Ebert Stiftung, s’est dite « heureuse de contribuer à la progression du Maghreb vers plus de liberté de la presse » particulièrement, à partir de la Tunisie. L’initiative d’un tel forum était plus que nécessaire, puisque « les temps ont changé. Le journaliste aussi », comme l’a rappelé M. Hassan Arfaoui, Directeur de rédaction de Réalités et Président du comité de rédaction du code de déontologie, en introduction aux discussions portant sur le code de déontologie proposé. Avant de poursuivre : « Le paysage médiatique au Maghreb n’est plus monolithique et s’est largement diversifié. L’hypothèque des monopoles étatiques s’est significativement fissurée et la pratique journalistique à l’échelle maghrébine tend à une professionnalisation évolutive. Le journaliste, naguère, mobilisé pour servir « l’Etat-Parti », négocie maintenant de nouveaux espaces de liberté inexplorés. Dans un nouveau contexte politique périlleux et enchanteur à la fois, le journaliste maghrébin s’efforce de faire reconnaître son domaine d’activité en tant que service d’intérêt public et droit fondamental des sociétés maghrébines. » Rassemblés par une culture, une langue, mais aussi par des valeurs communes à toute la profession, faisant face à des contraintes à la fois similaires et spécifiques à chacun de leurs pays, les principaux représentants du monde de la presse écrite maghrébine se sont livrés à deux jours de réflexion et de débats afin d’aboutir à un code de déontologie commun, qui, en abordant ces questions, permet d’encadrer la profession de journaliste, mais aussi de garantir la liberté d’informer, condition sine qua non de la démocratie. En somme, comme l’ont rappelé plusieurs intervenants, il s’agissait de trouver un cadre qui permet d’articuler les notions de liberté et de responsabilité qui constituent le cœur des métiers de l’information. Retour sur cet événement historique qui a abouti, pour la première fois, à un consensus de toute la profession, de Tunis à Nouakchott.

 

Tour d’horizon maghrébin

 Les situations des cinq pays du Maghreb ont chacune, leurs spécificités, tant du point de vue de la liberté de la presse, qu’en ce qui concerne l’existence d’un code de déontologie. Si l’Algérie dispose d’un code de déontologie élaboré par la profession et adopté en 2001, sur le terrain, l’exercice de la liberté d’informer continue de subir des entraves, comme le fait remarquer Omar Belouchet, directeur du quotidien algérien El Watan. Selon lui, après la décennie noire des années 1990 durant laquelle cinquante-sept journalistes furent assassinés, et cinq autres portés disparus, les années 2000 apportèrent une légère embellie, avec l’éloignement du péril islamiste. Celui-ci a laissé place à un certain autoritarisme de l’état algérien, qui, au moyen d’une loi répressive sur l’information, continue d’exercer d’importantes contraintes sur la presse algérienne. Par ailleurs, avec plus de cent titres quotidiens, le champ médiatique se trouve inondé, et les informations importantes, noyées dans un discours officiel massivement relayé. « Notre journalisme est un journalisme de combat et de résistance », ajoute-t-il. En Mauritanie, depuis 2005 et le début de la transition démocratique, un contexte plus favorable à la liberté de la presse a vu le jour, avec une nouvelle loi abolissant la censure, ainsi que la création d’une instance de régulation, l’HAPA (haute autorité de la presse et de l’audiovisuel). Plus de six cent titres de journaux existent aujourd’hui en Mauritanie. Mais, comme le souligne El Heiba Ould Cheikh Sidaty, d’Al Akhbar info, l’état mauritanien s’octroie régulièrement le droit de fermer toute entreprise de presse dont le discours contreviendrait à ses intérêts.  L’insuffisance de moyens achève de créer des conditions propices à la corruption. Quant au Maroc, où un code de la presse existe depuis 1958, les atteintes à la liberté de la presse n’ont pas disparu. La Libye et la Tunisie font l’expérience toute neuve de la liberté d’expression, liberté, dont l’exercice est encore largement entravé par des contraintes de tous ordres. Tout d’abord, le pluralisme est une notion récente dans ces deux pays, et la presse doit perdre le réflexe de la consensualité vis à vis du pouvoir politique. Comme le faisait remarquer Olfa Belhassine, rédactrice en chef de la Presse, «Aujourd’hui, plus qu’un problème de liberté d’expression, nous devons faire face à un problème de professionnalisme. Après toutes ces années de censure, le métier de journaliste est un métier sinistré, que bon nombre de professionnels ne savent plus exercer.» Cependant, Les récents démêlés judiciaires de la blogueuse Olfa Riahi dans l’affaire du « Sheratongate » montrent, s’il en était besoin, que la liberté d’expression n’est pas encore incontestée en Tunisie. Enfin, n’oublions pas l’ emprisonnement de Sami Fehri, directeur de la chaîne Ettounisiya TV,  à la suite de la diffusion en août de l’émission « Ellogique Essiyassi », qui nous rappelle, si besoin en était, qu’il ne fait pas bon, en Tunisie, d’employer un ton trop satirique pour parler de l’actualité politique. Un état des lieux est plus compliqué à dresser en Libye, dans un contexte en pleine mutation. Saluons cela, dit le nombre important de nouveaux titres de presse écrite, anglophone comme le Libya Herald newspaper, ou arabophone, comme le Libya al Jadida newspaper. Cependant, et Dans une conjoncture économique et sociale difficile, la presse écrite maghrébine comme celle du monde entier, doit également faire face, au manque à gagner qu’occasionne la révolution numérique, et trouver des solutions de financement pour continuer d’exister. La publicité joue ici un rôle incontournable, mettant parfois sur le devant de la scène l’épineuse question de l’indépendance. Peut-on, aujourd’hui, évoquer en toute objectivité un sujet qui touche un annonceur sans craindre immédiatement qu’il ne cesse d’acheter des espaces publicitaires? Se pose également la question de la représentativité des journalistes par rapport à l’ensemble de la société, et notamment de la place des femmes dans le milieu médiatique, la presse, et les médias en général ayant un rôle capital à jouer dans le changement des représentations pour plus d’égalité entre les genres. Enfin, avec l’arrivée au pouvoir de partis islamistes, que ce soit en Tunisie ou au Maroc, et dans des sociétés encore très profondément musulmanes, un discours, un tant soit peu critique vis-à-vis de la religion, reste difficile à tenir. C’est dans ce contexte difficile, et qui fait peser sur la presse maghrébine des contraintes de tous ordres, qu’a eu lieu le tout premier Forum de Hammamet. Cette initiative a été saluée par les différents intervenants, et on ne peut s’empêcher de se réjouir qu’un tel événement ait eu lieu. Il apparaît en effet indispensable, que face à toutes les contraintes qui pèsent sur elle, la profession journalistique pourrait se réunir et s’organiser à l’échelle régionale. Comme le faisait remarquer Giulio Pecora, d’International Media Consulting, également présent, il faut considérer le code de déontologie adopté lors du sommet de Hammamet comme matière à échange entre les professionnels du Maghreb, comme un outil permettant d’agrandir et de renforcer le réseau qui les relie, de façon  à générer une plus grande solidarité au sein de la profession et d’inventer des mécanismes d’autoprotection collective.

Ensuite, sur le plan symbolique, le fait que « ce forum ait pu se tenir est déjà en soi une victoire ». « De tels débats auraient été inimaginables, il y a deux ans en Tunisie », observait très justement  le web journaliste et blogueur Saad Tazi, de Le soir échos. Et en effet, le contexte géopolitique actuel, et toutes les mutations qu’il génère, ne manque pas d’occasionner toutes sortes d’opportunités dont la profession journalistique doit se saisir pour améliorer et harmoniser ses conditions d’exercice. C’est une condition indispensable à la production d’une information de haute qualité et au service du progrès de nos sociétés. Après la tenue de débats passionnés durant deux jours et une nuit, discutant article après article les dispositions du code de déontologie, les participants ont abouti à un texte consensuel ayant pour but d’encadrer et de garantir l’exercice de la liberté d’informer. Outre un rappel des devoirs du journaliste vis à vis de la société (indépendance, défense des libertés fondamentales, non-incitation à la violence et à la haine raciale), ce code appelle les états maghrébins à cesser leurs pressions sur la liberté d’informer, et mentionne notamment qu’une plus grande place doit être faite aux femmes parmi les postes de décision dans le domaine des médias.

 

Et maintenant ?

Au terme de ces deux jours, un accord a également  été trouvé pour la création d’un Secrétariat général permanent du Forum de Hammamet pour la déontologie et la liberté de la presse, dont la présidence a été confiée à l’unanimité à M. Hassan Arfaoui, Directeur de rédaction de Réalités. Ce Secrétariat général et le Comité de suivi (composé de deux représentants par pays maghrébin) veilleront à la mise en application des décisions retenues, dont la création d’un observatoire rassemblant journalistes et éditeurs des cinq pays du grand Maghreb, permettant une autorégulation de la profession en s’appuyant sur le code maghrébin de déontologie de la presse adopté le 24 janvier courant. Avant de se séparer, les participants ont convenu que le forum de Hammamet se réunirait tous les ans à compter de cette date du 24 janvier 2013, baptisée « Journée de la presse maghrébine ». Le prochain rendez-vous (24 janvier 2014) débattra de « L’état de liberté de la presse au Maghreb ». Il reste en effet de nombreux chantiers sur lesquels la profession doit travailler, que ce soit celui de la formation et de l’accès au métier de journaliste, de la réglementation de l’exercice des métiers du marketing et du commerce, qui accompagnent de plus en plus souvent le journalisme ou celui de la lutte contre les mauvaises pratiques qui nuisent trop souvent à l’image des professionnels.

 Sonia Gharb

 

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