14 janvier 2011, 6 ans après…Tout bouge pour que rien ne change

L’un des déclencheurs de la Révolution a été le besoin de changement politique, économique et social. Aujourd’hui, les espérances sont pour le moment déçues et la transition économique est toujours au point mort. Sans tomber dans le catastrophique, on peut affirmer que l’économie tunisienne est quasiment au bord du gouffre. Six années se sont écoulées et ce sentiment que tout bouge pour que rien ne change persiste. Si les Tunisiens réclament depuis le 14 janvier la liberté, la dignité, l’emploi, le développement, il faut reconnaître que leur déception est grande et qu’ils doivent aussi réclamer aujourd’hui, en plus, la sécurité.
Le gouvernement en place semble impuissant face aux multiples défis. Le FMI impose des règles de gestion stricte, le syndicat revendique des demandes démesurées et les lobbies ne se gênent plus à réclamer le maintien des acquis voire des privilèges.
Les citoyens sont certes depuis quelques années convaincus que la marge de manœuvre des responsables politiques est étroite. Le pouvoir en place ne peut, d’un coup de baguette magique, prendre les mesures nécessaires pour un retour de la croissance. Pourtant, la période actuelle appelle des réponses courageuses, confirmant ce que disait Lawrence Summers, ex-conseiller économique de Barak Obama « on ne sort jamais d’une crise économique profonde sans rupture radicale avec les méthodes du passé »

Relancer une Tunisie quasiment à l’arrêt
Depuis 2011, les vents n’ont pas été porteurs, ne laissant pas présager une reprise économique. L’économie tunisienne se trouve paralysée par un climat d’incertitude politique et économique. Il est vrai que les enseignements de la Révolution ne semblent pas avoir été tirés et les objectifs très vite passés aux oubliettes. Il semble que rien n’ait été appris et le naturel revient toujours au galop. Si rien ne s’entreprend rapidement, nous serons les victimes d’un échec programmé. Qu’on se le dise, nous savons tous comment relancer une croissance durable en Tunisie. En permettant à ceux qui veulent créer, risquer et innover, de le faire, et donc en réduisant les risques inutiles et les coûts excessifs à le faire. Du côté des risques inutiles, en plus de l’insécurité, se trouvent la judiciarisation de la vie économique et l’instabilité des règles. Du côté des coûts, une montagne de papiers, codes, procédures et instances, le tout accompagné par une fiscalité d’un temps révolu. Que peuvent donc faire les autorités pour sortir la Tunisie du marasme économique ?
La crise économique que nous vivons actuellement nous invite à prendre rapidement conscience des chances perdues et les entrepreneurs ne peuvent pas se résoudre à ce que notre pays, par facilité ou manque de courage, ne se donne pas les conditions de la réforme. Notre pays est dans une situation difficile. Il est temps de réagir et nous remettre tous ensemble en question. Nous avons un effort de lucidité important à réaliser, et ce, dans tous les domaines, économiques et sociaux. Soyons honnêtes, nous avons un gros problème d’efficacité économique. Il faut avoir la conviction que s’il faut faire des réformes, c’est certes pour construire mieux à terme mais aussi parce que la situation actuelle n’est plus acceptable.
Bien entendu, le gouvernement multiplie les conseillers mais hésite devant les actions à prendre, en attendant l’intervention d’experts et l’écriture de rapports. Mais il est urgent de faire sauter ce blocage. Il est certes habituel voire compréhensible que les politiques ne se lancent jamais dans des mesures réformatrices importantes, et ce, pour deux raisons : d’abord parce qu’elles sont impopulaires et surtout parce qu’elles prennent toujours du temps à faire valoir leurs effets positifs, commençant toujours par leurs effets négatifs. Mais l’économie est ainsi faite, l’ajustement produit d’abord l’inverse de ce qu’on recherche. Permettre aux entreprises d’embaucher implique de leur permettre d’ajuster plus aisément leurs effectifs, ce qui se traduit d’abord par des licenciements, jusqu’à ce que les profits remontent et que l’embauche reprenne, avec des sociétés plus solides et moins inquiètes d’embaucher puisque la correction sera plus aisée.

Une Administration de service
Les membres du gouvernement doivent comprendre que leur carrière politique est déjà perdue. Maintenant qu’ils n’ont plus rien à perdre, ils peuvent passer à l’action avec des réformes audacieuses et courageuses. Dans cette perspective, il est important de souligner que notre Administration est complètement déconnectée et nécessite une intervention chirurgicale lourde. Il existe en sus, un profond déficit de confiance entre le citoyen et son Administration. Le fonctionnaire considère parfois l’argent public comme un don du ciel et ressent qu’il est naturel d’en profiter. Le contribuable estime, parfois à raison, qu’il y a trop de gaspillage dans nos administrations et cherche à éviter de payer les impôts dont il est redevable. On  a aujourd’hui la pleine conviction qu’il faut renouer cette relation de confiance en mettant à la tête de nos administrations une jeunesse dynamique et innovante pour rompre d’une manière quasi-définitive avec de vieilles habitudes d’un autre siècle. Pour cela, il est utile de passer d’une administration de contrôle à une administration de service où le fonctionnaire doit se considérer comme le serviteur du citoyen et non l’inverse.
Malgré quelques soubresauts, la société tunisienne a pleinement conscience de la nécessité de cette réforme et de son urgence. Car pour obtenir quelques points de croissance supplémentaires, il va falloir frapper fort. C’est cela qu’attendent les Tunisiens. Ils en ont assez des petites lois votées entre amis. Ils attendent de vraies réformes structurelles pour relancer l’appareil économique car ils savent que le chômage, hélas, progresse. De telles réformes sont parfois douloureuses. Bien sûr, ce n’est jamais facile à accepter mais si on veut guérir le mal, il y a parfois des opérations douloureuses qui s’imposent.
De toute évidence, si la Tunisie souhaite vraiment parvenir à satisfaire les besoins et les attentes de son peuple, les hommes politiques devraient tirer les leçons du passé et éviter surtout de répéter les mêmes erreurs. Il y a, au final, toujours un risque à prendre car il existe un seuil de tolérance des insatisfaits avant qu’ils ne lâchent un deuxième « ça suffit » et recommencent à défier ouvertement le gouvernement. Il importe donc de mesurer les risques de tensions auxquels nous restons exposés, les difficultés sociales que cela induit et les obstacles auxquels peuvent se heurter les entreprises dans leur activité.

Mohamed Ben Naceur

 

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