14 janvier 2011: « L’enquête » de Abdelaziz Belkhoja et Tarak Cheikhrouhou

13/01/2011 – Ben Ali tentait le tout pour le tout
Les troubles se poursuivent de plus belle et plusieurs villes sont carrément en état d’insurrection. Nombre d’agents de l’Intérieur et des Douanes commencent à déserter leurs postes (même aux frontières), plusieurs autres remettent leurs armes et munitions à l’armée de peur que les civils ne s’en emparent. Lorsque Ridha Grira apprend cela, il sursaute. Il ne veut pas être à la tête de la seule structure détenant des armes. Il s’empresse d’appeler le Général Ammar et lui demande d’ordonner à ses hommes de refuser les armes. Il déclarera plus tard : « Ça m’a paru bizarre et je lui ai demandé de n’accepter aucune arme pour éviter toute éventualité de complot contre les forces militaires en les accusant de confiscation des armes de la Sûreté nationale… ». Soucieux de trouver un témoin, Ridha Grira appelle le Premier ministre Mohamed Ghanouchi et lui annonce qu’il doute sérieusement d’Ali Sariati et qu’il pense que celui-ci prépare un coup d’État. Par la suite, il appelle le ministre de l’Intérieur, Ahmed Friaa, et le Général Ahmed Chabir, qui est à la tête des renseignements militaires, et leur fait part des mêmes propos. Lorsqu’il en informe Ben Ali, celui-ci le rassure et lui explique que les policiers remettent leurs armes de leur propre chef de peur que les civils ne s’en emparent. C’est également cet épisode qui renforcera la rumeur d’un coup d’État.
Pendant ce temps, Ben Ali reçoit à déjeuner deux filles de son premier lit, par la suite, ils se rendent ensemble au palais de Carthage où va être préparé le discours prévu pour ce soir-là, cette fois sous l’égide d’une nouvelle équipe de communicateurs, suivant les conseils de Hakim El Karoui.

Le soir, le discours de Ben Ali est diffusé. Le ton a changé, il parle avec bonhomie en usant pour la première fois du dialecte tunisien, espérant donner l’illusion d’être plus proche des citoyens. Il déclare qu’il a été trompé (Ghaltouni), que la répression est terminée, que des commissions d’enquête vont être formées, qu’Internet est désormais libre de toute censure et que les prisonniers politiques vont être libérés. Mais bien que Hakim El Karoui lui ait suggéré de « donner un signal clair et fort à ceux qui se revendiquent de (son) entourage » et qui « sont à l’origine du sentiment d’injustice ressenti par la population », Ben Ali omet de parler des Trabelsi. Il promet par ailleurs de quitter définitivement le pouvoir à la fin du mandat en cours (2014).
Juste après ce discours, une grande parade de soutien à Ben Ali est programmée : les membres actifs du RCD reçoivent pour instruction de descendre en masse dans les rues pour fêter le discours et la fin de la révolte. Des centaines de véhicules circulent dans les artères des villes (désertes pour cause de couvre-feu) et klaxonnent bruyamment à grands renforts de chants, portraits et drapeaux. Pour influencer les chancelleries étrangères, des groupes se sont également dissimulés dans les quartiers des résidences d’ambassadeurs des pays influents et ont attendu la fin du discours pour manifester bruyamment. En même temps, en ce soir du 13 janvier, la télévision nationale effectue un virage à 180 degrés ! C’est schizophrénique : le ton est tout à fait libre et l’émission montre des séquences des « festivités » qui ont succédé au discours de Ben Ali.
Partout, c’est le même scénario : des voitures de location avec des membres du parti qui klaxonnent. Aux fenêtres, les citoyens hébétés les regardent circuler. Quelques-uns rejoignent la fausse euphorie. Mais réalisant que le scénario était partout le même, les internautes s’empressent de dévoiler la mascarade sur les réseaux sociaux.
Notons que malgré le discours, l’émission télévisée et la mascarade qui a suivi, 39 martyrs sont tombés ce jour-là, dont 38 par balle ! (14 à Tunis)
* * *
L’heure de vérité devait se jouer le lendemain, 14 janvier, car une grande manifestation était prévue à Tunis. L’appel à la grève et à manifester, lancé par l’UGTT, avait été relayé avec force par toute la société civile.
Certains membres du bureau politique de la Centrale syndicale ont assuré Ben Ali qu’elle n’aurait pas lieu mais la base, fidèle à l’esprit du syndicat historique, a maintenu l’appel à la grève et à manifester. Relayé avec force sur internet, cet appel allait-il mobiliser la foule ? Le monde entier allait avoir les yeux braqués sur cette manifestation pour voir si Ben Ali tiendrait parole, si la répression était vraiment finie et si les Tunisiens étaient libres de s’exprimer enfin, comme il l’a assuré dans son discours de la veille.

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