14 janvier : Pourquoi un anniversaire dans la discorde ?

People gather outside the Constituent Assembly headquarters during a protest to demand the ouster of the Islamist-dominated government, in Tunis, Tunisia, on July 28.

Le peuple tunisien s’apprête à fêter le huitième anniversaire de sa révolution. A la veille de cet évènement, devant avoir normalement lieu dans la fierté et l’orgueil, le climat général dans le pays semble être au contraire gagné par le dissentiment et l’extravagance.

 La mise en garde de l’UGTT contre « la révolution des affamés » et les conséquences éventuelles du blocage des négociations sociales méritent considération à maints égards.
Qu’est-ce qui a fait que le pays soit arrivé à cette situation, malgré les avancées importantes sur la voie des libertés et des pratiques démocratiques ? Est-il temps de tirer les enseignements appropriés pour franchir le cap ?

 De la rationalité des promesses politiques
La majeure partie des partis politiques ont scandé des programmes électoraux trop ambitieux lors des élections post-révolution. Le but étant de convaincre et séduire les électeurs par l’annonce d’idées, de réformes et d’objectifs qui n’étaient guère réalistes. Promettre la réalisation d’un taux de croissance de l’ordre de 6% et la création de centaines de milliers de postes d’emploi, s’est avéré chimérique au fil du temps.
En effet, la réalité s’est trouvée loin des rêves et il n’était pas facile de répondre à la complexité de l’ensemble des défis dans un temps relativement court au vu des circonstances et des nouvelles tendances. Ce fossé entre promesses et réalité a, entre autres, causé un manque de confiance entre gouvernants et gouvernés et débouché sur un comportement social à l’encontre des politiques publiques.
C’est la première leçon que la classe politique devrait apprendre avant de se lancer dans les prochaines échéances électorales.

De la stabilité gouvernementale
La multitude de changements du gouvernement et des alliances politiques depuis le lendemain de la révolution a été fortement déstabilisante pour la gestion des affaires publiques. Le jeu de l’instabilité politique a fait naviguer le pays à vue et créé un problème de visibilité auprès des agents économiques et des partenaires étrangers.
Cette instabilité a été traduite par la difficulté, à chaque fois, d’élaborer et convenir à un programme de travail « homogène et durable ». Elle a aussi été attisée par une insuffisance de cohésion gouvernementale ayant régi l’action publique. En effet, la force d’un gouvernement, mesurée par sa majorité législative, n’est pas toujours importante. Les faits ont, cependant, montré que c’est plutôt la cohésion entre les différents partis constitutifs du pouvoir exécutif qui doit favoriser la transmission de messages clairs, cohérents et crédibles sur la teneur des politiques publiques et faciliter par-là la réussite des réformes.
Les mouvements d’entrée et de sortie du gouvernement ont été une source de fragilité et d’inefficience pour l’action publique, mais aussi et surtout un facteur qui a renforcé la méfiance vis-à-vis des partis politiques et un élément majeur de coût pour toute l’économie du pays en termes d’atonie d’investissement local et étranger. L’instabilité politique a également aidé à diluer les responsabilités dans un contexte de quête de bonne gouvernance, de redevabilité et de rétablissement de l’autorité de l’Etat.
Le dernier vote de confiance au gouvernement Chahed était de ce point de vue une nécessité pour la stabilité politique dans le pays. Deuxième enseignement : faut-il veiller dans l’avenir à la stabilité gouvernementale pour instaurer le climat propice à la mise en œuvre des réformes nécessaires à la relance économique et à la paix sociale ?

De la cohérence des politiques publiques
Dans la lignée de l’instabilité politique, le problème d’incohérence de politiques publiques mises en œuvre tout au long des dernières années a beaucoup contribué à la faible performance au double plan économique et social.
En effet, l’efficacité d’une politique économique est largement conditionnée par une association cohérente et convergente de tous les instruments à la réalisation de l’objectif final. L’exigence de cohérence touche en premier lieu les mesures de stabilisation à court et moyen termes.
S’inscrire dans un programme de stabilisation macroéconomique et continuer à « offrir » des majorations salariales, entamer la réforme du cadre d’investissement avant de définir les nouvelles orientations de développement du pays, s’engager sur des actions de réforme avec les bailleurs de fonds sans mesurer à sa juste valeur la capacité d’absorption du pays, adopter de nouvelles orientations en matière de régime de change dans un contexte  de transition entouré d’incertitudes,  vouloir instaurer la confiance des opérateurs économiques sans frapper d’une main de fer les contrebandiers et fauteurs de troubles… autant d’exemples faisant preuve d’incohérence de politique économique et de contre-productivité.
C’est ainsi que les prochaines réformes, voire les réformes en cours ou non achevées, doivent satisfaire à cette exigence de cohérence d’ensemble et aussi à la répartition équitable des mesures d’ajustement macroéconomique et de réforme entre les différents groupes sociaux. Une autre leçon à apprendre !

De la responsabilité collective
Le gouvernement ne doit pas assumer tout seul la responsabilité des maux socioéconomiques. La responsabilité est en fait collective. Plus que jamais, la Tunisie a besoin de voir un nouveau comportement social se concrétiser, celui de l’éthique et de la moralité.
L’attitude qui a eu tendance à « s’ancrer » depuis quelque temps est celle de l’égoïsme, du corporatisme et de la « maximisation du profit » aux dépens de l’intérêt collectif. Pourtant, tout le monde se targue d’être patriotique et responsable.
La justice dans les rapports socioéconomiques, dans un contexte pareil, signifie que les salariés acceptent un gel de salaires, les entreprises n’augmentent pas les prix, quitte à adapter leur profit, l’Etat ne relève pas les impôts, les partis politiques font montre de sagesse.
En plus de la responsabilité morale de l’Etat, nos entreprises et partenaires sociaux devraient assumer davantage leur responsabilité sociale et faire preuve de leur attachement aux causes de la nation pour améliorer le sort des chômeurs et des pauvres. La société civile est également tenue d’être plus responsable et de placer les valeurs morales au cœur de ses actions et comportements.
La responsabilité collective signifie la concession mutuelle et la renonciation à l’intérêt propre. C’est le sens de l’équité qui doit servir de leçon.
La culture de la prospérité dans l’équité, reposant sur le dialogue social et le consensus national, est susceptible de favoriser des transformations radicales et des avancées considérables dans les exigences de la révolution que sont la dignité et l’équité.
Dans le cas contraire, c’est à un cercle vicieux qu’il faut s’attendre et qu’il faut « accepter », si l’on songe à plus d’érosion du pouvoir d’achat, de chômage endémique, de dégringolade du dinar et d’irritation sociale !
Faisons tous preuve de sens éthique, de responsabilité, de sincérité, de professionnalisme et de patriotisme pour reconstruire la confiance, redonner espoir à nos jeunes, préserver les acquis de notre révolution et la fêter dorénavant dans la fierté, le contentement et la satisfaction. La clé de voûte en est la nécessité d’apprendre de nos erreurs et de tirer les bonnes leçons !

Alaya Becheikh

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