17 décembre. 5 ans après, l’espoir devenu cauchemar.

« Demandez à un chauffeur de taxi ce qu’il pense de la Révolution, vous allez probablement en entendre des vertes et des pas mûres ». Cette remarque, maintes fois avérée, sur le rapport du peuple avec la Révolution, est devenue la règle. Désabusé par la crise, la saleté, l’indécision politique, la gabegie, l’insécurité et le délabrement général du pays, le peuple a désormais une piètre idée de la Révolution. « A part la liberté d’expression qui s’est elle-même muée en liberté d’insulter, que nous a apporté la Révolution? » entend on souvent.

Mais que s’est-il passé? Comment cet énorme espoir, voulu par tout un peuple, s’est-il mué en cauchemar? Tout le monde se souvient de la subite métamorphose des citoyens, le 15 janvier 2011, qui se sont mis à respecter les files d’attente, les feux rouges. Tout le monde se sentait alors propulsé par l’Histoire au saint des saints : le « monde démocratique ». Mais dans les jours qui ont suivis, le doute s’insinua, symbolisé par « les snipers »  puis par ceux qui exigeaient une « Constituante », sachant que les neuf-dixièmes d’entre eux ne savaient pas ce que ça voulait dire et surtout qu’ils n’en mesuraient pas les conséquences. 

L’Etat glissa assez vite dans le néant avec une absence quasi totale d’une autorité politique ou même intellectuelle capable de dire ce qui se passe ni d’expliquer les méandres de la transition. Dans les jours qui suivirent, un autre élément perturbateur débarqua avec un triomphe indu et une ambition énorme: l’islam politique. Fin janvier, l’arrivée triomphale du leader du mouvement islamiste tunisien allait donner un coup d’arrêt au rêve révolutionnaire progressiste qui allait se muer en une remise en cause de la nature même du régime républicain.

Comme si cela ne suffisait pas, l’Egypte, la Libye, le Yemen, le Maroc, la Syrie et même les monarchies du Golfe allaient connaître des mouvements révolutionnaires qui allaient bouleverser la donne politique et obliger les puissances à réagir, souvent avec violence, pour contenir ou du moins récupérer le mouvement. Mais la Tunisie, plongée dans sa propre mélasse révolutionnaire et sombrant dans le doute, allait passer complètement à côté de l’énorme mouvement qu’elle avait elle-même déclenché.

Qu’aurait-elle pu faire? Un intellectuel l’avait déclaré : « si nous avions immédiatement expurgé notre Constitution de ses articles répressifs et anti démocratiques, la transition démocratique aurait été réalisée en quelques jours sans remettre en cause de façon si radicale l’édifice juridique. L’exemple aurait pu être suivi et les mouvements révolutionnaires se seraient immédiatement apaisés. Mais il aurait fallu pour ça que la Tunisie comptât de véritables hommes politiques nationalistes et conscients des énormes enjeux ». En fait, seul le Maroc a su gérer et contenir le mouvement en réformant sa Constitution. Et le résultat est là.

En Tunisie nous étions loin, très loin du pragmatisme politique. A vrai dire les «politiques» se sont illustrés, dès le 14 janvier au soir, par la dissimulation en taisant ce qui s’est vraiment passé le 14 janvier 2011. 

La grande question qui se pose est celle-ci : 

Si la vérité avait été dite sur le 14 janvier, qu’est ce qui aurait changé?

Mais d’abord, que s’est-il passé?

Question sujette à une grande désinformation due aux énormes intérêts en jeu.

La plupart des travaux sérieux – mais souvent ignorés – qui ont été faits sur la Révolution tunisienne le confirment, la chute du régime est due à un concours de circonstances où 7 faits majeurs ont obligé Ben Ali à quitter le pays, provoquant ainsi la vacance du pouvoir, déclarée provisoire le 14 et définitive le 15, et qui allait déboucher sur le processus de transition démocratique.

Quels sont ces « faits majeurs »?

1 – Des centaines d’habitants du Kram, (des milliers selon les rapports de la Présidence) qui avaient perdu 6 des leurs dans la nuit du 13 au 14, ont, après les enterrements, pris la direction du Palais de Carthage, créant au sein de la Garde présidentielle une panique indescriptible, les Gardes refusant l’idée de tirer sur le peuple.

2 – Des milliers d’habitants des quartiers populaires de la Marsa se dirigeaient eux aussi vers Carthage. Ils étaient ralentis par les BOP (Brigades de l’Ordre Public) qui formaient des barrages mais reculaient à chaque fois.

3 – Des vedettes armées, devant la présidence, qui ne répondaient pas aux appels ni aux signaux, ont crée une panique sécuritaire (ils cherchaient en fait des pots de vin auprès de Belhassen Trabelsi dont le bateau, sorti du port de Sidi Bou Saïd, avait lancé l’ancre dans la baie)

4 – Un hélicoptère de l’armée volait non loin du Palais de Carthage sans ordre de mission. (En fait la Salle des Opérations du Palais ignorait, pour des raisons de procédure, sa présence). 

5 – Une prise d’otage de la famille du chef de l’Etat, à l’aéroport, a déboussolé tout l’appareil sécuritaire.

6 – Les gardes présidentiels, voulant éviter la confrontation avec les révoltés arrivant du Kram et de La Marsa ont, dès la sortie de Ben Ali du Palais, engagé le processus de transition constitutionnelle.

7 – Sans oublier, bien sûr, le mouvement révolutionnaire qui, en ce 14 janvier, atteignait son apogée.

La conclusion à tirer de cet imbroglio est que le soulèvement populaire a été suivi par une rébellion de forces armées qui ont fait fuir le président de la République. 

Si ces éléments avaient été médiatisés le jour même, si les politiciens avaient dit la vérité, c’est à dire que l’Etat lui même, par l’intermédiaire de certaines de ses composantes, avait donné un dernier coup de pouce au soulèvement populaire, les choses auraient peut-être pris un cheminement différent.

L’Etat ne se serait pas effondré, il aurait récupéré son aura et la transition aurait peut être été faite dans la souplesse.

Mais les mensonges des politiques (aujourd’hui encore, aucun des chefs de gouvernement ou d’Etat qui se sont succédés n’a voulu dire la vérité), la puissance du mouvement révolutionnaire et surtout la désinformation mise en place par les médias aux ordres de puissances étrangère ont empêché toute médiatisation de ce qui s’est réellement passé et la Tunisie a sombré dans le flou, l’à peu près et surtout la soumission à des agendas étrangers.

Résultat, une Révolution haïe, une révolution qui a raté son cours, une révolution progressiste récupérée par ses pires ennemis, les conservateurs.

Les choses peuvent-t-elles s’arranger où va-t-on droit vers un nouveau soulèvement? comme beaucoup d’intellectuels le pensent?

Il faudrait, peut-être, commencer par nous réconcilier avec notre histoire contemporaine, ce qui est loin d’être le cas, or, « ceux qui ne se souviennent pas de l’histoire sont condamnés à la répéter » écrivait Alex Halley en introduction de son œuvre « Roots »

Abdelaziz Belkhodja

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