32 ans depuis qu’il a été écarté du pouvoir et 19 ans après sa disparition, Bourguiba est, aujourd’hui, plus présent et plus vivant que jamais et cela malgré toutes les années de calomnie. Il a survécu et son image en est sortie tout à fait indemne.
Il a même grandi aux yeux de ses partisans et même de certains de ses adversaires d’hier.
L’histoire ne se souvient que de ceux qui la font
Pour faire oublier Bourguiba, l’ex-président Ben Ali avait fait déboulonner et déplacer de l’avenue Bourguiba, durant la nuit, la statue du père de la nation et il l’a remplacée par une horloge de son goût vulgaire et lugubre.
Moncef Kammoun*
Quant à la Troïka dominée par le parti Ennahdha, elle a voulu prendre la revanche sur le père et fondateur de la République Tunisienne et renouer avec les vieilles croyances, à savoir le panarabisme pour Marzouki et le panislamisme pour Ghannouchi, deux doctrines que Bourguiba avait combattues et, à juste raison, jugeait utopistes.
Alors pour appliquer leur politique, les dirigeants de la Troïka ont tout fait pour effacer tous les symboles qui ont caractérisé la République et façonné la nation tunisienne depuis l’indépendance (dates mémorielles, hymne national et jusqu’au drapeau), qui ne sont pas du goût de ces messieurs.
Ils voulaient effacer la Nation Tunisienne ainsi que la République Tunisienne pour les noyer dans des entités panarabe pour l’un et panislamique pour l’autre.
Depuis l’indépendance, Bourguiba avait débarrassé le pays de toutes les séquelles de la période coloniale et a mis en place un état moderne, parachevé la souveraineté nationale et surtout modernisé la société à travers la propagation de l’enseignement. Le pays fut divisé en 14 gouvernorats dotés d’une administration moderne.
L’une des toutes premières réformes décidées par le gouvernement né de l’indépendance porte sur le CSP c’est-à-dire les droits de la Femme.
Bien que l’islam reste la religion d’Etat, les femmes accèdent à un statut inédit dans le monde arabe, dépassant même, en son temps, celui des Françaises dans certains domaines. C’est ainsi que Bourguiba avait milité contre le port du voile et l’interdiction de la polygamie, le divorce autorisé et l’avortement légalisé.
Cette réforme du Code du statut personnel a soulevé la plus grande résistance, d’ailleurs si elle avait été soumise à référendum, elle n’aurait sans doute pas recueilli la majorité. Nous la devons véritablement au volontarisme et à la clairvoyance de Bourguiba qui croyait, à juste titre, que si, lui, ne faisait pas cette réforme, personne d’autre ne la ferait, et s’il ne la faisait pas immédiatement, il n’était pas certain de pouvoir la faire plus tard.
Il n’y avait pas que la question du statut de la femme. Bourguiba a réformé aussi l’enseignement, qu’il a généralisé en maintenant à tous les niveaux la langue arabe et le français.
En fait, Bourguiba est arrivé au pouvoir avec un projet. Il voulait faire de la Tunisie un pays moderne. Il était convaincu qu’aucune évolution de la société ne serait possible s’il n’était pas mis fin aux archaïsmes qui caractérisaient particulièrement la condition de la femme. Il a combattu et il a réussi à faire de la Tunisie un Etat moderne, à travers un ensemble de réformes législatives.
Le combat de Bourguiba dépasse les frontières de son petit pays. Aujourd’hui, 60 ans après la naissance de la République, Bourguiba demeure l’une des rares références modernistes véritables dans un monde arabe tourné vers le passé et hanté par les forces de mort. Son sens de la stratégie a mis l’histoire de son côté et plus particulièrement le conflit israélo-arabe.
Défenseur passionné d’une modernité arabe, Bourguiba s’est également distingué de ses homologues en politique étrangère. Vingt ans avant le président égyptien Anouar Sadate, il préconisa la normalisation des rapports avec Israël et ce lors d’une tournée au Proche Orient. Défiant Jamal Abdel Nasser, il rappelle dans un discours prononcé à Jéricho, le 3 mars 1965, que la politique «du tout ou rien» n’avait mené en Palestine qu’à la défaite. Il propose par la même à l’ONU la création d’une Fédération entre les États arabes de la région et Israël.
À contre-courant de ses voisins et homologues arabes, la priorité est donnée à l’éducation et à la santé au détriment de l’armement. Il met en place un enseignement moderne et l’école devient publique et gratuite.
Bourguiba abolit également le double circuit de la justice, met fin à l’influence des religieux sur la magistrature et instaure des Cours civiles.
Comment ne pas être en accord avec ce tribun hors pair, cet orateur immense et inspiré, le regard flamboyant, ardent, passionné, martelant la table de son poing, tantôt pathétique, tantôt révolté, conteur, captivant, pédagogue, talentueux, toujours persuasif.
La politique des étapes en constitue la dimension principale. Bourguiba croyait en cette politique contrairement au «tout ou rien» prôné et encouragé par certains de l’action en fonction des possibilités réelles et non des aspirations
Les Tunisiens doivent reconnaitre à un homme ses mérites quand il en a et ce en accomplissant un acte de respect envers lui.
*M.K Architecte