« 2034 une modeste proposition  » : un monologue frontal bouleversant

Par Dr Souhir Lahiani

La satire est l’œuvre dans laquelle l’auteur fait ouvertement la critique d’une époque, d’une politique, d’une morale ou attaque certains personnages en s’en moquant. C’est bien ce que nous retrouvons dans l’œuvre « 2034 une modeste proposition « , interprétée par Fatma Felhi et produite par Sonia Hedhili. Il s’agit d’une une œuvre de critique politique et sociale dans laquelle Moncef Zahrouni pointe du doigt les ridicules de son temps. Et comme en témoigne Molière, le devoir de la comédie est de corriger les hommes en les amusant. La comédie corrige les mœurs par le rire.
En effet, le genre comique est apparu comme la possibilité de faire passer un message politique par le rire. Selon Trotski, le sujet de la comédie doit toujours être relatif à la vie quotidienne, aux « questions de mode de vie » selon ses mots. Or, c’est par ce lien étroit entre le comique et la réalité que la satire peut naître. (Manon Billaut, directrice de l’Institut Jean Vigo, cinémathèque de Perpignan)

On ne peut pas rester indifférent face à une analyse critique de notre pays. Cette pièce met en lumière les contradictions et les défis de notre société. Elle interroge les normes morales et politiques en utilisant le choc et la provocation comme moyens de réveiller les consciences et de susciter une réflexion profonde sur l’état de notre Tunisie actuelle.
Une pièce chargée d’émotions, et de moments de grande intensité dramatique. Un mélange de colère, de tristesse, de joie, avec des métaphores et parfois de la réflexion philosophique.
« 2034 est un pamphlet cruel, cinglant, intransigeant et sans la moindre concession qui incarne un esprit nietzschéen, annonçant non seulement, mais également contribuant activement au crépuscule des idoles avec pour démarche : rire à coup de marteau », lit-on dans la présentation de la pièce.
Comme l’écrit le metteur en scène Moncef Zahrouni, c’est une comédie satirique, une fiction philosophique, voire une fiction politique. Cette œuvre se présente comme un pamphlet cruel, cinglant, intransigeant et sans la moindre concession. Le texte est rédigé en majorité (70%) par Moncef Zahrouni et le reste (30 %), c’est une écriture de groupe (atelier d’écriture). Ce n’est qu’un pamphlet dans lequel on s’attaque aux mœurs publiques.
Plusieurs sujets sont traités ; la femme, le pouvoir, la santé sexuelle, les effets du porno, le harcèlement et l’abus sexuel et bien plus encore…avec une dimension esthétique attirante. Un décor sensuel avec des accessoires d’une chambre sexuelle et décors pornographiques éparpillés sur toute la planche et deux mannequins en forme masculins recouverts de peinture, apportant une touche provocante à l’espace, un miroir, et un porte-vêtements comportant différents costumes (ou règne le rouge, le blanc et le noir), un éclairage transformant avec des lumières à nuances rouges et noires, évoquant une atmosphère séduisante, un design sensoriel décoré avec soin.
L’actrice, seule sur scène, (avec un personnage qui l’aide à s’habiller d’une scène à une autre), est habillée de manière provocante, mais ses gestes et son discours révèlent une profonde lucidité et une ironie satirique. Elle se tient debout, fière et déterminée, au milieu du chaos que nous sommes en train de vivre.
L’actrice se caractérise par une forte présence scénique sur les planches, à travers un jeu d’acteur nuancé et expressif. Elle a une capacité d’engager le public, parfois elle chante, parfois elle danse, un mélange de danse contemporaine, et de la chorégraphie. Un dédoublement entre la voix off et l’actrice sur scène, comme pour bien faire la distinction entre les deux, entre la fiction et la vie.
La pièce présente plusieurs formats, où le théâtre invite le cinéma, et vice versa, comme a précisé Moncef Zahrouni. On trouve des vidéos de quatre personnages, et également plusieurs voix-off.

Entre ombres et lumières : le récit intime poignant d’une femme sur Scène
En 2034, nous voilà, au cœur d’un ministère révolutionnaire : l’organisation d’un festival… mais pas n’importe lequel. Un festival de pornographie. Quelle ironie, n’est-ce pas ? L’actrice décrit un ministère qui se démantèle sous le poids de la corruption et de l’indifférence…toujours en 2034 !
Cette pièce de théâtre est une œuvre poignante, empreinte d’émotions intenses et de moments de grande tension dramatique. Elle offre un mélange saisissant de colère, de tristesse et de joie, enrichi de métaphores et de réflexions philosophiques. L’actrice Fatma Felhi incarne Neyrouz, qui raconte sa vie sur scène, son enfance la veille de son procès. Née au Kef, elle a réussi brillamment ses études et sa carrière, voyageant autour du monde et accumulant des richesses considérables.
Cependant, sa vie prend un tournant inattendu lorsque sa mère lui demande de revenir en Tunisie. Ce qui devait être une visite de quelques jours se transforme en un séjour prolongé. Neyrouz, sur les conseils de ses parents, dépose son CV dans plusieurs entreprises, en réponse à un défi lancé par ses parents sur sa capacité à obtenir un emploi. Contre toute attente, elle est acceptée dans le cabinet du ministre de la Culture, non pas par ses qualifications, mais par une coïncidence qui place son CV sous les yeux du chef de cabinet.
C’est à ce moment que commencent ses véritables épreuves. Trois collègues, chacun avec une caractéristique distincte, se dressent contre elle. L’un d’eux est un homme, un harceleur sexuel, tandis que les deux autres, aux personnalités tout aussi troubles, complotent également pour la faire renvoyer. Leur machination culmine lorsqu’elle se retrouve impliquée dans une affaire de corruption et doit se défendre devant le juge. Neyrouz partage son expérience des relations complexes qu’elle a nouées avec ses collègues et les ministres, ces derniers sollicitant son aide pour transformer la Tunisie en une destination de rêve pour les touristes.
Elle évoque notamment un projet controversé, un « festival de Carthage pour la pornographie », une métaphore pour un festival audacieux visant à attirer l’attention internationale, semblable aux festivals de danse ou de musique de Carthage, etc. Tout au long de la pièce, l’actrice expose les réalités cruelles et les espoirs déchus de son parcours, dans un récit séduisant qui explore les thèmes de l’ambition, de la trahison et de la quête de justice.
Avec un sourire ironique, l’actrice lève sa main, déterminée, devant le juge dans un tribunal, laissant le public avec un sentiment d’urgence et de réflexion.
« 2034 une modeste proposition « , une pièce à ne pas rater !

Notes :
« 2034 une modeste proposition  » est interprétée par Fatma Felhi, production Sonia Hedhili. Fadi Chaieb (assistant à la mise en Scène), Boshra Jalleli (Direction Artistique), Haithem Boulabiar (Direction de la photographie), Ahmed Grendi (Chorégraphie) et Saber G.khammessi (Bande Originale). Les voix Off sont interprétées par Fatma Felhi, Moncef Zahrouni, Raoua Khouildi , Ahmed Aliouine, Rawen Romdhane, Sandrine Gargouri, Mariem ben Jeddi et Ibrahim Saggama.

Synopsis : En l’année 2034, une femme se découvre au cœur d’une entreprise révolutionnaire : l’organisation d’un festival d’un type nouveau, épaulée par une équipe déterminée et ambitieuse. Ce festival s’avère être le déclencheur d’une série de transformations profondes au sein de la société, évoluant en marge du regard d’une classe politique en déclin.

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