Pour comprendre les événements récents en Tunisie et tenter d’entrevoir ce qui pourrait en découler comme évolutions futures, il serait intéressant avant tout, de remettre la situation dans son contexte historique, se remémorant les événements et l’évolution de l’état d’esprit des tunisiens.
Au terme de plus de dix ans depuis la révolte de 2011, le pays censé évoluer vers le meilleur, n’a fait que régresser en tous points de vue. Croyant aspirer au meilleur, les Tunisiens ont laissé faire, se faisant piéger par : une caste d’hommes politiques qu’il ne connaissait pas et qui lui a été imposée, par des d’érudits du droit et par une nuée d’anciens étudiants politisés devenus adultes, qu’il ne connaissait pas et qui se sont imposés à lui.
Tous ont essayé de prendre les rênes de la destinée du peuple et particulièrement une secte internationale islamiste, cette dernière ayant tenté d’imposer, malgré la forte réticence de la société tunisienne, profondément républicaine et progressiste, des règles sociales rétrogrades et un changement de la nature même de l’identité nationale.
La capacité de résilience des tunisiens apparait tous comptes fait bien plus importante que celle de bien des peuples et des nations. Les tunisiens ont supportés tous les abus et toutes les violations imaginables et y ont fait face tout au long d’une décennie, sans violences et sans destruction de leur république, là ou d’autres ont succombés au chaos. N’eut été le profond ancrage républicain des tunisiens, le poids de son histoire millénaire, sa tradition culturelle autochtone, et son conservatisme moderne, le pays aurait succombé à la régression ou totalement implosé.
L’avènement du 25 juillet doit être abordé, à notre humble avis, comme un processus d’autodétermination d’une majorité du peuple, une reprise en main consciente et volontaire de la destinée du pays, un processus correcteur de ce qui a été entamé 10 ans plus tôt en 2011 et dont le peuple a été dépossédé. Il s’agit pour les Tunisiens de restaurer les réelles revendications populaires et d’effacer celles qui ont été créées, imposées et substituées en 2011 et qu’il subit depuis. La révolte du 25 juillet, par un soleil de plomb durant le mois de juillet (totalement en contradiction avec les traditions de manifestations) est l’expression d’un ras-le-bol généralisé, d’un rejet profond des consensus et des trahisons de toute la classe politique sans distinctions.
Notons que la classe politique dans son ensemble et sans exception, ainsi que les composantes de la société civile y compris les syndicats se sont opposés à l’organisation de la marche de la révolte menant campagne acharnée avant et jusqu’au 25 juillet (le PDL en étant le plus virulent); tous se sont empressés de dénoncer des manipulations étrangères, des organisations inconnues, des politiques en sous-main et de mettre en avant les risques de chaos et de dérives destructrices. En réalité ils avaient tous peur d’un soulèvement du peuple.
Les manifestations se sont déroulées massivement et simultanément dans toutes les villes du pays, avec des slogans et des revendications similaires à celles du 14 janvier. Les manifestants n’avaient pour revendications que : (1) le rejet de toute la classe politique avec en tête de liste les frères musulmans qui cristallisent toute la colère populaire, (2) l’arrêt de la corruption et de la mafia économique et (3) la chute du gouvernement. En fait les Tunisiens sont revenus aux revendications du 14 janvier avant qu’elles ne soient récupérées et transformées par des politiques improvisées et des néo-juristes (en grande partie faisant parti du groupe 18 octobre) avec les slogans sur le régionalisme, la pauvreté, les régions délaissées, la démocratie, la religion et l’identité.
De plus, il semble particulièrement évident, que le mouvement ne faisait que commencer, et que les attaques contre les frères musulmans et peut être, dans un second temps, contre les autres partis et organisations, n’en étaient qu’au commencement. Il y aurait eu, vraisemblablement, un 26 juillet puis un 27 etc… Personne parmi la caste politique ne semblait savoir ou cela allait mener !
L’intervention du Président de la République, reprenant quasiment dans l’ordre les revendications des manifestants à savoir, la suspension des parlementaires, levée de l’immunité, la reprise en main de la machine judiciaire pour combattre la corruption et les malversations, l’arrêt du fléau de l’impunité et le limogeage du gouvernement, a permis d’absorber la colère populaire donnant l’illusion au peuple qu’il avait obtenu ce qu’il souhaitait. Le peuple ayant fortement besoin de faire confiance, a fait le chois de donner sa confiance à un Président sans couleurs ni programme, conservateur, mais intègre.
En réalité, le Président, en mettant un coup d’arrêt aux manifestations, a simplement sauvé les politiques, les partis et particulièrement les frères musulmans. Il les a sauvés d’un affrontement frontal sûrement fatal face à la vindicte populaire, qui les aurait fait disparaître tous avec des conséquences sûrement violentes.
En prenant la main sur les événements, le Président de la République n’a pas fait de Coup d’État, il a même évité un renversement populaire et a maintenu tant bien que mal, la légalité, la légitimité et les institutions. C’est certes, un coup de force, mais eu égard aux différents rapports de situation et des comptes-rendus sécuritaires, avait il réellement le choix ? Les tunisiens de plus en plus nombreux étaient prêts à en découdre.
Lorsqu’on fait le choix de s’engager de manière aussi forte, comme l’a fait le Président de la République et de faire sienne les revendications populaires issues d’une déception totale durant dix ans, il faut aussi assumer le fait que le temps est un facteur discriminant et qu’il n’y a aucun autre choix que de réaliser toutes les revendications et les promesses faites.
Le plébiscite obtenu si rapidement et aussi massivement, peut se retourner aussi massivement et aussi rapidement qu’il ne s’est révélé, car absorber la manifestation de la colère, ne veut pas dire absorber la colère en elle-même ni en effacer les substrats !
Le Président se doit de passer à l’acte sans délais pour répondre aux attentes des citoyens et ne pas céder à celles de la classe politique, et encore moins aux pseudos progressistes et autres droits de l’hommiste qui tentent de réinterpréter la volonté populaire en substituant les revendications comme en 2011.
Le Président et ceux de son entourage qui y voient une opportunité de créer un mouvement politique présidentiel, doivent comprendre que le plébiscite s’est fait en faveur des déclarations du Président reprenant les revendications populaires et non pas en faveur du Président en lui-même, ni de sa vision de la République, ni de son modèle sociétal, ce serait une erreur monumentale que d’y prétendre.
Le Président Saied, a su saisir l’opportunité qui se présentait de récupérer avant tous (le PDL en tête) les revendications populaires et les faire siennes. Cela lui à permis de récupérer une cote de popularité qu’il avait perdue et se repositionner au centre du jeu politique. Sauf que, les déclarations d’intention ne suffisent pas ! Les attentes sont trop élevées, qu’il ne lui est pas permis de faire aucune erreur ! Sans quoi le plébiscite se retournerait totalement contre lui
Il n’en demeure pas moins que les Tunisiens semblent reconnaître le rôle majeur d’opposant franc et sincère aux frères musulmans et font de sorte que le PDL soit le seul survivant au tsunami populaire du 25 juillet, se positionnant désormais, comme principal challenger au Président Kais Saied. Le point faible du PDL demeure la personnalité exentrique de sa présidente, ce que les sondages mettent clairement en évidence.
A mon humble avis, le Président doit avant toute chose réévaluer et remettre en question de manière permanente et régulière son entourage le plus proche, qui semble devenir son point de faiblesse, afin d’être parfaitement assurer qu’aucune interférence externe ne puisse s’infiltrer dans sa prise de décision et qu’il en demeure le seul maître, surtout en ces moments particulièrement sensibles de la transition.
Nous sommes déjà à plus de 20 jours depuis le soulèvement du 25 et les Tunisiens observent jour après jour, (après un premier revirement sur ses déclarations qu’est la prise en charge du Ministère Public), que le Président n’agit plus, qu’il laisse le temps à la classe politique et à leur tête les frères musulmans et leur associés historiques de se réorganiser, de se relancer et de se repositionner, il laisse l’espace à ceux que le peuple à rejeter de reprendre la main, il ne marque pas le pas en installant rapidement un gouvernement de transition afin de reprendre l’administration en main et la libérer de la main mise des frères musulmans et de leur associés.
Par ailleurs, il reprend ses vieux réflexes de déclarations populistes et petites promenades dans les rues, les marchés, le Ministère de l’Intérieur et les souks, réflexes qui lui avaient coûté une chute brutale de sa cote de popularité.
Plus le temps passe plus la pression intérieure et extérieure sur la présidence sera forte et la marge de manœuvre faible. Le Président doit, avant toute chose, faire de sorte que l’action de la justice s’accélère envers tous ceux qui ont failli, enfreint la loi et surtout agi à l’encontre de l’intérêt national et pour leurs intérêts personnels. Donner l’exemple de la fin de l’impunité et mettre hors d’état de nuire les personnes puissantes d’influence néfaste, est une promesse faite au peuple et qui tarde à venir.
Le président Saied devra rapidement mettre en application la loi sur les dépassements financiers des partis et leurs financements étrangers et dissoudre conformément à la loi tous les partis contrevenants.
Kais Saied concentrant tous les pouvoirs entre ses mains est un président fragile malgré tout, il devra apporter une transformation profonde de son entourage immédiat en recrutant des compétences réelles dans tous les domaines et dont la loyauté est acquise au pays en premier lieu et puis envers le projet présidentiel (s’il en est un) en second lieu.
Former rapidement un gouvernement restreint avec 10 ministres au maximum est une priorité absolue. Le premier ministre devra être une personne intelligente avec une culture économique et politique large, quinqua ayant une capacité managériale et surtout pas issue de l’administration ou ayant déjà occupé un poste sur les dix dernières années. L’effet inconnu auprès des partenaires internationaux est un atout non négligeable, car il sera crédible immédiatement sans aucun fardeau issu de l’exercice du pouvoir depuis 2011, sa parole pourra être alors prise en compte avec préjugé favorable.
Le gouvernement de crise pourrait prendre la forme suivante :
- Ministère de l’intérieur et de la sureté publique
- Ministère des armées et de la défense nationale
- Ministère des affaires étrangères et de la coopération internationale
- Ministère de l’équipement, de l’aménagement du territoire, de la mobilité et de l’infrastructure et de l’environnement
- Ministère de l’agriculture, de la pêche, des eaux et forets, du littoral et des …….
- Ministère de l’économie, du budget, des finances, de la planification, des participations publiques, des domaines de l’État et du Trésor
- Ministère de l’investissement, de l’industrie, des mines et énergies, des PME/TPE, du commerce, du tourisme et de l’artisanat
- Ministère de l’éducation, de l’enseignement, de la formation professionnelle et de l’emploi, des sports et de la culture
- Ministère de la santé publique, des affaires sociales, de la solidarité, de la famille et de l’enfance et de la solidarité
Pour le reste des départements actuels, il faudra regrouper au sein de grandes agences, en charge du commerce, de l’investissement, des cultes (tous les cultes), de la gestion du foncier, de la promotion de l’artisanat et du tourisme, de la culture et des spectacles, etc..
En fin, le Président doit impérativement créer un comité de rédaction d’une nouvelle Constitution sur la base de celle de 1958 comme il l’a annoncé, ce Comité de rédaction devra être restreint avec une mission de courte durée (3 mois) ; Il devra être composé de vrais spécialistes de la rédaction constitutionnelle tel que le doyen Mahfoudh. Dans sa démarche le comité devra collecter la vision des différentes composantes de la société civile afin de se faire un avis consensuel sur les améliorations à apporter au texte de base.
Ainsi à notre humble avis, la Constitution ne devra exprimer aucun interdit (géré par la loi selon le contexte) mais par contre énumérer tous les droits fondamentaux. Une fois le texte finalisé, le Président devra le présenter à référendum populaire pour l’adopter.
L’étape finale sera de convoquer des élections présidentielles et législatives anticipées pour que le pays puisse s’ancrer définitivement dans une nouvelle étape de stabilité et de croissance.
Si le Président Kais Saied, réalise ce planning, à mon humble avis, il entrera dans l’histoire autant que le père fondateur de la république et méritera une place publique et une statue pour la postérité.
Il me semble à ce stade particulièrement important, de relever que plusieurs personnes, se présentant comme soutiens inconditionnels de Kais Saied, s’organisent pour saisir l’opportunité de se lancer politiquement sans le dire ni s’organiser publiquement. La méthode utilisée consiste, sous le sceaux du changement du système électoral, à mettre des barrières aux partis politiques et aux hommes et femmes politiques qui ne sont pas de leur mouvance.
Pour cela, certains annoncent et d’ores et déjà au nom de Kais Saied les ébauches d’un code électoral particulièrement dangereux car basé sur des candidatures unipersonnelles sur chaque quartier indépendant et ouvertes strictement aux personnes du quartier, y résident depuis plus de 5 ans. D’autres propose simplement de dissoudre tous les partis et plafonner les budgets de campagnes à quelques centaines de dinars par candidats. L’objectif de tous cela, étant de faire place nette devant les mouvances de Kais Saied, éliminer tous les partis politiques et les candidats pouvant le faire obstacle et accéder avec facilité aux législatives de manière cachée et opportuniste ; car sans cela ils ne pourraient rivaliser avec les partis et les politiques aguerris.
Il faut prêter particulièrement attention à l’entourage du président et surtout aux mouvances qui tourne autour de lui. Cela pourrait être les prémices graves d’une dictature anarchiste et sanguinaire à entendre leurs discours. Kais Sied ne contrôlant pas ces mouvances, ne pouvant les contredire, faible devant elles et surtout ne pouvant survivre sans leur soutien sur les réseaux sociaux.
Il nous faut être prudent, vigilent et espérer !