La Tunisie commémore, ce dimanche 6 avril 2025, le 25e anniversaire du décès de Habib Bourguiba, père de la nation et fondateur de la Tunisie moderne. Décédé le 6 avril 2000 à l’âge de 96 ans, alors qu’il était en résidence surveillée sous Ben Ali, Bourguiba a marqué l’histoire du pays par son rôle dans l’indépendance et ses réformes en faveur de l’éducation, des droits des femmes et du développement économique.
Figure emblématique du XXe siècle, tant au Maghreb qu’au monde arabe, Bourguiba a profondément sculpté l’identité de la Tunisie contemporaine. Né le 3 août 1903 à Monastir, cet étudiant brillant en droit à Paris allait devenir le stratège politique qui libérerait son pays du joug colonial, mais aussi de l’analphabétisme, de l’ignorance et de la régression.
Après ses études en France, où il s’imprègne des valeurs républicaines, Bourguiba rentre en Tunisie en 1927 avec une solide culture juridique. Son engagement politique prend forme en 1934 avec la création du Néo-Destour, après une scission du Destour. Ce nouveau mouvement, dont il devient rapidement la figure de proue, adopte une stratégie offensive combinant mobilisation populaire et action diplomatique.
À la tête du mouvement nationaliste, Bourguiba devient l’un des porte-parole de la lutte contre le colonialisme. Son éloquence et son charisme lui permettent de rallier les masses tunisiennes autour de la cause de l’indépendance. Sa pensée politique se développe autour d’un nationalisme moderne et d’un socialisme pragmatique, visant à concilier la modernisation de la Tunisie avec ses traditions culturelles et religieuses.
Entre 1930 et 1950, Bourguiba vit des périodes difficiles marquées par des emprisonnements et l’exil. Son génie politique s’exprime dans sa capacité à négocier avec la France tout en maintenant la pression populaire, aboutissant à l’autonomie interne en 1955 puis à l’indépendance totale en 1956, grâce à ce qu’il considère comme une « politique de lutte par étapes ».
Devenu Premier ministre en 1956 puis président de la République après l’abolition de la monarchie et la proclamation de la République le 25 juillet 1957, Bourguiba engage une révolution sociétale, culturelle et religieuse sans précédent dans le monde arabe et en Afrique. Son œuvre législative, notamment le Code du Statut Personnel promulgué le 13 août 1956 par décret beylical et entré en vigueur le 1er janvier 1957, constitue une avancée majeure pour les droits des femmes. Parmi les acquis, l’interdiction de la polygamie, l’instauration du divorce judiciaire, et le relèvement de l’âge minimum du mariage. Grâce à ces réformes, malgré la forte résistance de certains segments de la société, la Tunisie a connu une transformation profonde, notamment dans le système éducatif avec la généralisation de l’enseignement et la création de l’Université tunisienne. Sur le plan économique, Bourguiba a impulsé une politique de développement planifié, marquée par des grands travaux d’infrastructure et une industrialisation volontariste.
Cependant, son long règne a également été marqué par des crises majeures, telles que la crise de Bizerte en 1961 et le tournant socialiste des années 1960 avec la collectivisation des terres, une expérience qui s’est soldée, selon les analystes, par un échec économique.
Considéré comme un “despote éclairé”, Bourguiba a affronté de nombreux opposants au cours de son règne. Parmi eux, les islamistes, qui rejetaient catégoriquement ses réformes laïques, notamment le Code du Statut Personnel et sa politique de réduction de l’influence religieuse sur la société. Les communistes et gauchistes s’opposaient à ses relations avec les puissances occidentales et à sa politique économique. Les nationalistes arabes, influencés par des leaders comme Nasser, critiquaient son refus de rejoindre un projet panarabe et son approche pragmatique vis-à-vis de la France et de la cause palestinienne.
D’ailleurs, au sein même de son propre parti, des figures comme Ahmed Mestiri (qualifié du père de la démocratie tunisienne) ont dénoncé son « autoritarisme » et la centralisation excessive du pouvoir. Bourguiba a aussi dû faire face à des mouvements sociaux, notamment l’UGTT, qui luttaient contre ses réformes économiques et sociales. D’ailleurs, ses rapports avec la Centrale syndicale étaient souvent tendus. Les bras de fer entre Bourguiba et l’UGTT ont abouti à des évènement très dangereux notamment ceux du 26 janvier 1978, surnommés « Jeudi noir » coûtant la vie à des dizaines de personnes et engendrant des centaines de blessés.
Affaibli par la maladie et l’âge, Bourguiba voit son pouvoir s’effriter dans les années 1980. Sa gestion de la montée islamiste et des crises économiques successives mène à son éviction le 7 novembre 1987 par son Premier ministre Zine El Abidine Ben Ali.
Depuis la Révolution du 14 janvier 2011, l’héritage de Bourguiba fait l’objet de réévaluations critiques, entre reconnaissance de son œuvre modernisatrice et dénonciation de ses méthodes considérées comme autoritaires.
M.A.B.S.