Conseil national des régions et des districts : Les électeurs seront-ils au rendez-vous ?

Alors que le scrutin destiné à élire les conseillers locaux se déroulera dans une quinzaine de jours, trois questions restent ouvertes : quelle teneur pour la campagne électorale, quelle mobilisation pour les électeurs et quel profil pour les candidats ?

Par Hatem Bourial

Alors que plus de 7000 candidats sont sur la ligne de départ pour le premier scrutin législatif local dans l’histoire de la République tunisienne, la campagne électorale reste étrangement inaudible, comme reléguée au second plan par l’actualité internationale et les difficultés économiques traversées par le pays.

Le CNRD nécessite une campagne d’explication plus vaste
Pourtant, cette élection possède tous les atouts pour accrocher l’opinion publique. Il s’agit en effet d’un scrutin qui projette la proximité à l’échelle législative et invite les électeurs à départager des candidats appelés à participer à un Conseil national des régions et des districts (CNRD) censé améliorer la représentation locale et peser sur les choix de proximité.
Malgré cela, la désaffection semble dominer alors que nous ne sommes qu’à une quinzaine du déroulement du scrutin. Est-ce à dire que les électeurs ont l’esprit ailleurs, ne se sentiraient pas concernés ou ne mesureraient pas les enjeux ? Il y a un peu de tout cela qui est également compliqué par la mise en retrait des partis politiques qui, normalement, auraient apporté expertise et encadrement aux candidats.
Pour sa part, depuis le mois de septembre, l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) s’est pleinement investie dans une campagne explicative, ne ménageant pas les efforts et se déployant sur plusieurs fronts. Malgré cette mobilisation, on ne perçoit pas le frémissement démocratique que devrait générer le scrutin. Au contraire, de l’aveu de plusieurs interlocuteurs, les mécanismes mis en œuvre pour cette élection, ne sont toujours pas bien compris et assimilés.
À vrai dire, même les candidats ne s›y retrouvent pas complètement. À titre d›exemple, le sujet du financement de la campagne électorale reste à l›ordre du jour et plusieurs candidats ne savent pas exactement comment procéder. Selon l›ISIE, le plafonnement des dépenses électorales dépendra du nombre d›électeurs par circonscription. D›autre part, le candidat doit «impérativement user de ses propres ressources pour financer sa campagne et a également la possibilité d›engranger des fonds provenant de personnes physiques parmi ses proches et amis». Il est également question de différents seuils et plafonnements qui attendent d›être fixés par un décret présidentiel dont l›ISIE a annoncé la publication prochaine.

Les grandes lignes du calendrier électoral
Sur un autre plan, alors que la campagne électorale vient de commencer, il convient de se pencher sur les grandes lignes du calendrier électoral. Ainsi, le premier tour aura lieu le 24 décembre 2023. Les résultats préliminaires du premier tour des élections locales, qui se déroulera dans 2155 circonscriptions, seront proclamés au plus tard le 27 décembre 2023.
Pour ce qui est des résultats définitifs du premier tour, ils seront annoncés après l’expiration des délais de recours, soit avant le 27 janvier 2024.
Dans la perspective du scrutin local et régional, un nouveau découpage territorial a été mis en place. En effet, c’est désormais officiel, le décret présidentiel n° 2023-589 du 21 septembre 2023 portant découpage territorial des districts a été publié vendredi 22 septembre 2023 au Journal officiel de la République tunisienne. Désormais, le territoire tunisien est composé de cinq districts qui regroupent chacun plusieurs gouvernorats de la même région.
Pour élire les membres du Conseil national des régions et des districts, le processus commencera donc à l’échelon local avec une première élection qui permettra à chaque «imada» d’élire ses représentants dans un conseil local établi au niveau de chaque délégation. Ensuite, l’ensemble des conseils locaux éliront des conseils régionaux qui seront représentatifs de chaque gouvernorat. Enfin, le scrutin national permettra d’élire les membres du Conseil national des régions et des districts qui devraient être à peu près 75 élus.
Si la première chambre du Parlement avait une fonction législative, la deuxième chambre aurait à délibérer sur les plans de développement et les projets locaux. De fait, la création du Conseil national des régions et des districts a pour but ultime de faire remonter de la manière la plus fidèle possible, les besoins des régions tels que définis au niveau local.

Comment surmonter la désaffection des électeurs ?
Ceci dit, pour le moment, la consultation à venir ne semble pas passionner l’opinion publique. Rien ne semble à même de sortir les électeurs de la léthargie qui s’est emparée d’eux, depuis la consultation électronique puis les élections législatives. D’ailleurs, ce même phénomène est également observé au niveau de la consultation en cours, à propos de l’éducation nationale.
Les électeurs sortiront-ils de leur désaffection ? Plutôt réduite lors des consultations précédentes, la participation verra-t-elle une hausse de l’intérêt des citoyens aux prises, il est vrai, avec un pouvoir d’achat en berne et des pénuries à répétition ? Doit-on s’attendre à un sursaut civique de l’électorat abstentionniste ? Nul ne saurait répondre pour le moment, même si le caractère de proximité et de laboratoire de ce conseil, pourrait lui attirer les faveurs des électeurs. Encore faudrait-il que les candidats soient bien perçus et compris lors de leur campagne et que leurs programmes soient cohérents et rigoureux. Car si l›on se réfère au scrutin législatif, plusieurs candidats étaient inaudibles.
Enfin, pour qu’ils adhèrent à ce scrutin, il faut que les électeurs, non seulement, puissent comprendre les enjeux mais également, qu’ils saisissent l’identité et le fonctionnement d’un dispositif qui repose sur un système de délégation, de présidences tournantes ou de possibilité de retrait des mandats. En effet, les candidats au scrutin devront présenter un programme sur la base duquel ils seront élus et qu’ils devront concrétiser par la suite.
Rares sont pour le moment, les électeurs (peut-être même les candidats) capables de naviguer dans toutes les nuances d’un Conseil national des régions et des districts dont les structures propres et le mode de fonctionnement vis-à-vis de l’Assemblée des représentants du peuple, ne sont pas encore clairement délimités. Appelé à jouer un rôle équivalent à l’ancien Conseil économique et social mais intégré à la sphère législative et faisant l’objet d’une élection au suffrage universel, le nouveau Conseil national des régions et des districts engage les électeurs dans un cycle devant aboutir à la Présidentielle de 2024 et aussi aux élections municipales annoncées à l’horizon 2025.

La campagne électorale reste feutrée et le profil des candidats peu connu
Le 24 décembre prochain, faut-il s’attendre à un taux de participation supérieur à celui enregistré lors des élections législatives ? Le caractère de proximité du scrutin permettra-t-il de rebattre les cartes ? Pour le moment, une semaine après le coup d’envoi de la campagne électorale, le manque d’intérêt saute aux yeux et souligne aussi bien une désaffection grandissante de l’électorat qu’une difficulté évidente à saisir la nature de ce scrutin dont l’objectif est d’élire 279 Conseils locaux pour mettre en place le Conseil national des régions et des districts (CNRD).
Ainsi, après le rendez-vous avec les urnes, le 24 décembre prochain, le processus va se poursuivre à plusieurs niveaux que l’opinion publique a encore du mal à saisir. En effet, ce scrutin n’est qu’un prélude sur un chemin plus complexe. Tout de suite après leur élection, les membres des conseils locaux devront tirer au sort, les responsables de chaque conseil local dans le Conseil régional.
Ensuite, chaque conseil régional va élire un représentant au sein du conseil de district dont il dépend et également choisir trois membres pour représenter la région au sein du Conseil national des régions et des districts. Enfin, les membres de chaque conseil de district éliront un membre parmi eux, pour siéger au CNRD.
Lorsque les résultats définitifs seront enfin connus, il restera alors à apporter des éléments de réponse aux trois questions suivantes : quels mécanismes vont présider aux relations entre les deux chambres parlementaires ? Qu’en sera-t-il du cadre juridique des conseils régionaux et locaux ? Et quelles sont les attributions des conseils locaux et celles des conseils municipaux ? Il devient ainsi essentiel de légiférer à ces niveaux pour éviter les conflits de compétences.
Au final, alors qu’une campagne électorale feutrée se déroule en ce moment, les ressorts pour la mobilisation des électeurs semblent grippés alors que la désaffection pèse sur un scrutin législatif qui n’est pas pleinement compris par l’opinion publique.

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