46e festival international de Hammamet : Le fantôme de Shakespeare

Dans la pièce de Shakespeare, Richard III commet tous les péchés: trahisons, blasphèmes, meurtres. Il tue tous ceux qui sont sur son chemin pour prendre le pouvoir…seulement aujourd’hui la dimension politique peut limiter l’œuvre théâtrale à une contestation du pouvoir en place ou du pouvoir déchu ou du pouvoir prochainement élu.

Or nous sommes face à l’universalité, à la propagation du mal, au totalitarisme déguisé en démocratie mensongère… Nous sommes à différentes strates et à différents plans de lecture de la réalité du monde.

Nous sommes à différentes visions de l’homme moderne…un homme qui se débat dans l’incertitude du moment, de la situation…un homme qui se débat en lui…un homme qui se débat contre lui et contre l’autre…cette autre version de son être et de son paraître. La mise en scène théâtrale imbrique les dimensions spirituelle, politique et artistique…

Richard III est une histoire d’amour…un cri de détresse

Des acteurs qui se débattent dans un espace immense…des acteurs-pions dans un jeu d’échec… Chaque pièce possède un déplacement spécifique.

 Les jeux sont faits…déplacement de pions…l’acteur est un pion…les pièces ne font plus le jeu…Le Roi n’est plus la pièce principale du jeu, sa capture ne signifie plus la perte de la partie… Richard III ne dépeint pas un personnage historique…Richard III est l’histoire…Le sens…et le message.

La pièce de théâtre « Richard III, court-circuit » de Jaafar Guesmi avait déjà obtenu hier, jeudi, le prix de la meilleure production, lors du 6e Festival du Théâtre arabe à El Sharjah (Émirats arabes unis). Cette manifestation, qui s’est tenue du 10 au 16 janvier dernier, a choisi pour thème « Vers un théâtre arabe nouveau et innovant ».

Jaafar Guesmi, le metteur en scène a choisi, dans ce travail, de fragmenter les histoires pour parler du pouvoir, et de la dualité entre le bien et le mal.

Par toutes ses formes, ses modalités et ses procédés, le théâtre est, comme disait Schiller, « une institution morale » fort noble. Il est incontestable de reconnaître la dimension didactique et éthique du Quatrième Art qui nous fait percevoir les conditions, les situations et les changements éventuels de l’être dans la cité. Cet effet de projection a été encore une fois entrevu, grâce à la nouvelle pièce de théâtre de Jaafar Guesmi «Richard III, court-circuit», présentée en première, avant-hier à la salle Le Mondial. Avec cette nouvelle pièce, le metteur en scène a choisi l’inexactitude historique et chronologique. Il a montré un fervent désir de court-circuiter toute structure et tout lien qui peuvent traduire la fameuse continuité logique de l’unité du temps, du lieu, de l’espace, de la fable, etc. On a donc deux histoires qui sont, a priori, fragmentées et qui font créer un pur court-circuit, comme le titre l’indique : la première concerne une famille dont les conflits sont provoqués par les monstruosités d’un frère tyran, Sahbi. Quant à la deuxième, elle expose la figure emblématique du pouvoir et du mal absolu dans le personnage de Richard III. Le dualisme s’installe aisément par le biais d’une écriture scénique et dramaturgique qui patine entre le voilé/non-voilé, le présent/absent, la lumière-obscurité et, enfin, entre le bien et le mal. D’ailleurs, les costumes et la lumière ont servi ces antagonismes : le blanc et le noir sont omni-présents ainsi que la nébulosité et l’éclairage.

Subséquemment, avec l’enchevêtrement de ces deux histoires, le langage poétique de cette pièce interpénétrant la langue arabe et le dialectal tunisien, soutient l’idée que le langage est insécable, malgré ses ambivalences. Finalement, le courant est bien passé entre le public et les artistes. Nous avons tous applaudi avec émotion la grâce et la souplesse des comédiens. À travers les deux personnages, Sahbi et Richard III, le circuit est clair : on voit l’aveuglement, l’absolutisme mais aussi la dégénérescence du pouvoir. D’ailleurs à la fin du spectacle, on crie haut et fort: «Pourvu qu’un autre Richard III ne naisse pas »! Et la muse shakespearienne souffla sur l’amphithéâtre de Hammamet.

 Interprétation : Nabila Gouider, Fatma Felhi, Sameh Toukabri, Sahbi Omar, Rabi Ibrahim, Assem Beltouhami, Khaled Ferjani. Texte «Richard III» d’après Mahfoudh Ghazel. Dramaturgie : Ridha Jabballah-Jaafar Guesmi. Mise en scène: Jaafar Guesmi

F. B.

 

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