L'artiste n’est arrivé sur la scène de Carthage qu’à 22 heures 10, mais son public était déjà là depuis des heures. Il attendait derrière les barrières jusqu’à l’ouverture. Cette journée-là, c’était la course vers le théâtre antique pour réserver une petite place et assister au concert événement. C’est que le phénomène belge, objet d’un engouement inédit dans les festivals du monde entier, affichait également complet à Carthage depuis plusieurs semaines. Avec un décor lumineux très stylisé, l’artiste, élancé, est arrivé dans une tenue décalée : chaussettes remontées jusqu’aux genoux, short d’écolier, petit gilet en laine et nœud papillon.
Dans une ambiance surchauffée au sens propre comme au figuré, Stromae a interprété des chansons aux thématiques poignantes comme la séparation des couples, la recherche du père… Toujours avec ce ton original. Chaque chanson est accompagnée d’une mise en scène complète allant de la tenue du chanteur à la chorégraphie en passant par des vidéos projetées sur un écran géant sur le fond de la scène. Certaines sont d’un effet bluffant, où de gigantesques pattes noires de crabe avançant sur un fond blanc, menaçant la silhouette minuscule du chanteur qui y fait face en ombre chinoise et menacent de l’avaler totalement. Le chanteur s’est glissé avec fluidité dans la peau de chacun de ses personnages : l’homme ivre et titubant de Formidable, la poupée de cire de Papaoutai, la femme désabusée…
Le spectacle est autant parmi le public que sur scène. Il est aussi jeune, très jeune : les mamans descendent des gradins pour contrôler leur progéniture et des enfants sur les épaules de leur pères écoutent Papaoutai à côté de couples grisonnants. Ils chantent en chœur Formidable.
Le nouveau maître de l’électro sait décortiquer à sa manière ses musiques. Ce n’est pas un hasard s’il a été propulsé numéro un à vitesse supersonique, remportant les victoires de la musique pour son premier album. En ces temps dangereux, on peut dire que Stromae est une vraie bombe et son concert est un show à l’américaine. D’énormes claviers électroniques et de gros appareils de projection occupent la scène alors qu’une énorme lune exceptionnelle se projette dans l’atmosphère. Magique !
Stromae apparaît avec l’uniforme de ses années de pensionnat. Il noue son nœud papillon, mais pantalon et pull en V accentuent le paradoxe. On est loin de la panoplie traditionnelle du hip-hop, mais quand on se place en marge de la mode, on devient une icône. L’artiste ne craint pas d’aborder les sentiments. Il passe de la mort à l’amour du bonheur à la catastrophe. Stromae fait mine de tomber ou de mourir en chantant.
Il dresse majeur et index symbolisant le signe de la paix, à moins que ce ne soit le V de violence. Une interrogation résumant le paradoxe de la prestation du chanteur. Une voix haut perchée qui semble roucouler une romance alors qu’il avoue qu’il est traité de pessimiste avec Peace or violence ?.. Derrière une musique aussi entraînante se camouflent des paroles profondes. Une lumière blanche éblouit et une explosion retentit ! À peine le temps de s’apercevoir que le chanteur a disparu qu’il est déjà de retour… Il lève les bras et le public aussi. ce côté «garçon si bien élevé» accroche… Le chanteur fait mine d’être surpris que l’on connaisse la célébrissime Alors on danse.
L’ambiance s’enflamme. Le public est déchaîné, bras en l’air. Tout le monde se lève et même ceux qui n’en ont pas envie se lèvent s’ils ne veulent rien rater de la scène et puis parce qu’assis ce serait compliqué. Il est déjà 22 heures 30.
Plusieurs spectateurs ressentent ce nouveau visage de la génération new beat en filiation avec Brel. Attentionné jusqu’à la dernière seconde de son show, l’artiste a conquis le public. Son spectacle n’a pas été «fort minable, mais formidable» !
Nadia Ayadi