Notre économie connaît depuis quelques années de grandes difficultés qui se sont transformées il y a quelques mois en une grave crise. Certes, cette crise n’est pas le produit de la Révolution comme le suggèrent certains nostalgiques d’un monde disparu, même si l’instabilité politique et sociale que nous connaissons depuis la chute de l’ancien régime y a contribué. Cette crise est le résultat de la panne dans la transition économique que notre pays connaît depuis de longues années et cette difficulté de passer d’un modèle de développement basé sur les faibles coûts de main-d’œuvre hérité des années 1970 à un nouveau modèle centré sur les nouveaux secteurs intensifs en nouvelles technologies et plus dynamiques sur les marchés internationaux.
Certes, la Révolution a eu un coût économique dans la mesure où l’instabilité politique et sociale ont été à l’origine d’un recul de l’investissement et de la croissance. Par ailleurs, nous avons assisté à un accroissement rapide des dépenses publiques pour faire face aux demandes sociales pressantes avec une augmentation sans précédent des effectifs de la fonction publique. Parallèlement à la détérioration des facteurs structurels significatifs de la panne de transition économique comme la productivité qui ont touché notre compétitivité, les difficultés post-révolution ont été à l’origine d’une dérive des grands équilibres macroéconomiques mettant à mal nos finances publiques et ainsi que nos comptes extérieurs.
Cette situation a été au centre des préoccupations de l’ensemble des gouvernements post-révolution qui ont cherché à la redresser et à remettre notre économie sur la voie de la croissance. Les grands défis ont été identifiés et un large consensus a été établi entre les différents responsables politiques sur les difficultés de notre économie. En même temps et en dépit des tentatives politiciennes de se distinguer des autres, il faut noter une large convergence entre les différents gouvernements sur les politiques et les grands choix à mettre en place pour sortir notre pays de ce ventre mou de la croissance et reprendre la dynamique de transition économique.
Qu’on en juge. Au niveau macroéconomique, il y a un large consensus sur la nécessité de maîtriser le déficit public à travers une maîtrise des dépenses publiques et une augmentation des recettes. Il y a à ce niveau un accord sur l’importance d’échapper à l’accroissement de la pression fiscale et d’élargir l’assiette fiscale en luttant de manière déterminée contre l’évasion fiscale et en cherchant à augmenter l’efficience de l’administration fiscale. Au niveau de l’équilibre externe, un consensus s’est largement dessiné au fil des ans sur l’importance de relancer les exportations et d’une plus grande maîtrise des importations.
Le consensus ne se limite pas au niveau macroéconomique mais se prolonge également au niveau des grandes réformes à mettre en place. Ainsi, les différents gouvernements, même si certains veulent s’accaparer la palme du réformisme, ont défendu les mêmes grandes réformes. Ainsi, en-est-il des réformes bancaires, de la réforme fiscale, de la réforme du système de compensation, des caisses sociales, de l’amélioration du climat des affaires ou de la réforme de l’administration.
Ce consensus sur les grandes priorités économiques ne se limite pas aux questions macroéconomiques ou à l’agenda des réformes, mais concerne aussi les grands choix structurels. Ainsi, tous les gouvernements ont largement voté pour la transition vers un nouveau modèle de développement et de nouveaux secteurs plus dynamiques et un nouveau positionnement dans la chaîne internationale des valeurs.
Mais, en dépit de la gravité de la situation économique et du consensus sur les grandes priorités, les « choses n’avancent pas » pour le dire crûment. A qui la faute et pourquoi cette douce inertie dans laquelle les différents gouvernements se sont plu ? Certes, chez certains il y a un déficit de vision globale de l’action publique et de la cohérence des politiques économiques, mais le dénominateur commun c’est le déficit d’action. Il faut le dire nous nous plaisons dans la définition de stratégies et de plans que personne ne cherche à mettre en musique et à traduire en actions et surtout à mesurer l’avancement dans la mise en œuvre. Comme si l’élaboration d’une stratégie ou d’un plan suffisait à notre peine et que la réalité allait changer dès que nous finalisons de confectionner nos plans mirifiques.
Et, nous sommes en mesure de trouver toutes les justifications pour expliquer cette inertie qui explique l’impatience et l’agacement de nos partenaires dont les institutions internationales. Une des justifications les plus utilisées est la nécessité pour les différents gouvernements qui se succèdent de revisiter ce que les précédents ont mis en place et d’y apporter leurs « propres orientations et choix ». La réforme bancaire est un cas d’école de ce point de vue. Alors qu’on disposait dès le milieu de l’année 2014 d’un plan stratégique de réformes, tous les gouvernements qui se sont succédé ont apporté leur touche : l’un la banque des régions, l’autre le grand pôle bancaire public sans que nous avancions d’un iota sur des questions cruciales qui sont au cœur de la réforme depuis plus trois ans dont le nettoyage des bilans des banques publiques, la vente des participations minoritaires de l’Etat ou la place de la Caisse des dépôts et de consignation dans le financement de l’économie. Un autre cas d’école est celui de la réforme des caisses sociales sur lesquelles nous savons ce que nous devons faire mais nous nous plaisons à retarder nos actions quitte à maintenir nos caisses sous perfusion pour augmenter encore plus notre déficit public. Et, on peut multiplier les exemples dont les entreprises publiques, le système de compensation, la transition industrielle, la transition énergétique où l’inaction voire l’impuissance règnent en maîtres.
Notre économie connaît probablement l’une des crises les plus importantes de son histoire. Une crise qui exige certes, une vision économique claire, mais aussi et peut être plus une capacité d’action et d’exécution qui nous font défaut et qui expliquent que nous sommes prisonniers d’une croissance molle qui justifie la frustration sociale et l’impatience de nos partenaires. A nous de rentrer dans le temps de l’action avec vigueur et détermination afin de relancer la croissance et renouer avec l’espérance que ce printemps a créée dans nos contrées.
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