Dans une conjoncture mondiale qui a souffert d’une « succession de crises, notamment celles liées aux guerres et à la pandémie, il serait profitable de miser sur le secteur industriel aussi bien pour développer la résilience que pour garantir la sécurité et la souveraineté économique ». C’est dans ce contexte que l’Institut Arabe des Chefs d’Entreprises (IACE) a organisé aujourd’hui, lundi 03 juin à la Maison de l’Entreprise, à Tunis, la huitième édition de son Forum économique qui s’est inscrit cette année sous l’enseigne de la « modernisation et de la relance de l’industrie tunisienne ».
C’est M. Anis Morai, enseignant et animateur, de par son rôle de modérateur du forum, qui a annoncé le coup d’envoi en introduisant le thème du jour, la liste des invités et en mettant le sujet dans son contexte global.
A ce titre, il laissé entendre que le secteur industriel a longtemps imprégné le cycle économique en contribuant à l’amélioration de la production, à la création d’emploi, à la promotion des exportations et au développement régional. Et qu’il est essentiel d’accorder à ce secteur tout l’intérêt qu’il faut pour le remettre sur la bonne voie.
Ensuite, c’était au tour de M. Amine Ben Ayed, Président de l’IACE de tenir le micro pour introduire les travaux du jour. A savoir : « le développement de politiques industrielles, l’impulsion de l’initiative privée et la promotion des exportations en tant que des jalons du développement économique ».
Il laissé entendre que la modernisation de l’industrie tunisienne ne se présente plus comme un luxe, mais telle une nécessité. Et de préciser que le développement de l’industrie ne s’avère plus comme un simple moyen pour booster l’économie. Mais qu’il est impératif d’y réfléchir de façon stratégique. Et ce, pour restaurer la souveraineté économique, assurer la sécurité nationale, créer des emplois et promouvoir un développement équilibré et durable à travers tout le pays. Et d’enchaîner : « Cependant nous avons d’abord un premier ennemi à combattre : l’autoflagellation ». C’est en ces termes là que M. Ben Ayed a traduit l’essence même des travaux de ce Forum avant de céder la parole à Mme Fatma Thabet Chiboub, ministre de l’Industrie, des Mines et de l’Énergie.
Le verre est à moitié…plein !
D’emblée Mme la ministre a rappelé un contexte mondial complexe et une conjoncture difficile qui s’imposent et avec lesquels nous devons composer. Elle a immédiatement enchaîné en expliquant pourquoi nous n’avançons pas au rythme de nos compétences et de nos objectifs : « Nous devons sortir de la sphère de négativité et de la vision pessimiste pour pouvoir penser de façon constructive et efficace », a-t-elle lancé. Et de poursuivre : « Nous avons beaucoup de potentiels de richesse en Tunisie. Sauf que nous ne croyons pas assez en nous. Parce que si nous sommes imprégnées par cette image négative de nous-mêmes, nous n’arriverons jamais à convaincre les investisseurs et les bailleurs de fonds à venir vers nous ! Et autant vous le dire, nos potentiels et nos richesses sont reconnus à l’échelle international. Nous avons une bonne presse et un très bon niveau de maîtrise des techniques. les Tunisiens sont parmi les meilleurs au monde en termes de techniques industrielles et l’Occident reconnaît les compétences tunisiennes. Pourtant, sur le plan interne, on colle et injustement au Tunisien l’étiquette du travailleur paresseux, qui ne travaille pas plus de dix minutes par jour ! Je vous l’assure, c’est une image négative qui ne reflète pas la réalité ! Certains travaillent d’arrache-pied pour ce pays et font gracieusement des heures supplémentaires pour servir le pays. Nous ne devons pas regarder que la moitié vide du verre ! Notre problème n’est pas avec l’extérieur, il se pose au niveau interne parce qu’on n’est pas convaincus de notre potentiel et par conséquent, on n’arrive pas à convaincre l’étranger ! Le commencement doit se faire à ce niveau et le reste suivra ».
C’est dans ce même esprit de positivité et de construction que la majorité des interventions se sont inscrites.
Alléger et écourter !
L’intervention de M. Mhamed Ben Abid, responsable du climat des Affaires au ministère de l’Économie, a tourné autour de l’amélioration des conditions d’investissement : « Nous avons organisé un dialogue public-privé où l’on a justement passé en revue, les différents problèmes et les différentes contraintes qui sont perçus par les investisseurs, ce qui entrave le climat des affaires. Il en est ressorti que la complexité des procédures administratives, l’instabilité des textes juridiques et réglementaires, l’interopérabilité, l’inefficacité du ciblage des incitations fiscales et financières ainsi que le manque de confiance entre privé et public, sont les principaux obstacles qui entravent le mécanisme d’investissement.
Car un tel climat lent et complexe ne peut pas être propice aux investissements et aux affaires. Il est donc important de mettre en place une nouvelle stratégie à même d’y remédier. Il s’agit notamment de mettre en place un climat d’affaire attractif qui s’inscrit dans un cadre réglementaire, juridique, administratif, inclusif, durable et générateur d’emploi et de valeur ajoutée. Dès lors, ‘’Innovation Act dialogue’’ a été couronné par la mise en place d’une feuille de route qui a été présentée au gouvernement et approuvée par le Conseil des Ministres », a-t-il annoncé.
Et de préciser : « Nous ne pouvons pas aspirer à une amélioration sans envisager une révision totale de tous les chantiers en suspens. C’est le cas, par exemple, des cahiers de charge qui ont été conçus pour faciliter la procédure et encourager le principe même de la liberté d’investissement, mais qui, sur le plan pratique, entravent l’opération. Il faudrait donc ou bien les simplifier, ou bien les supprimer. Nous devons veiller à encourager PME, start-up’eurs et universitaires, nous devons garder nos talents en leur offrant une loi qui crée un écosystème propice, solide et qui crée un lien de complicité entre académiques et investisseurs d’une part et entre investisseur et administration de l’autre », conclut-il.
Yes, we can !
Dans ce même ordre d’idées, un VTR a été projeté où multiples chefs d’entreprises ont raconté leur success-story tout en invitant les investisseurs à venir chez nous. Un état des lieux de l’industrie tunisienne a, dans ce sens, été dressé par M. Omar Bouzouada, Directeur Général de l’Agence Promotion de l’Industrie et de l’innovation (APII).
L’intervenant a évoqué, via une interview projetée, que l’image du secteur industriel a souffert de la régression de la consommation des productions industrielles au profit d’une hausse de la demande des services. « Le fait que des machines remplacent aujourd’hui certains travaux humains et le fait que plusieurs entreprises de services soient en train de s’installer, donnent l’impression que l’industrie a bien régressé. Dans cette perspective, nous avons lancé la stratégie Horizon 2035. Celle-ci se base sur l’instauration d’un climat propice aux affaires, la mise en place de toute une infrastructure adéquate, dont les ports », dit-il. Et d’ajouter : « Nous devons être avant-gardistes et attirer les investisseurs d’ici 2035, en travaillant sur multiples axes notamment la numérisation des entreprises, le développement des exportations et l’ouverture sur de nouveaux marchés extérieurs… Notre objectif est de doubler l’export dans les dix années à venir, de miser sur la transition énergétique et écologique en maitrisant la consommation énergétique des industries et en optant pour une écologie verte et durable. La Tunisie ne pourra opter pour davantage d’exportation que si elle ait une empreinte carbonique moins importante, que si elle intègre les technologies modernes notamment l’intelligence artificielle pour être au diapason des besoins des citoyens dans le monde. Il est également crucial qu’on booste les chaînes de valeur dans les régions. Chaque région est reconnue pour la production d’un produit, c’est par exemple le cas de l’huile d’olive, du marbre, etc. Il faudrait améliorer cette production et penser à l’exporter ».
L’industrie tunisienne en chiffre
Mme. Wrida Chalouati, directrice au ministère de l’Industrie a noté que l’aspect « vert » est un passage obligé pour l’industrie tunisienne. « Nous avons déjà les compétences requises et sommes déjà un vivier d’ingénieurs et de talents, mais devons devenir en parallèle une référence en industrie écologique et devons accélérer le passage numérique pour devenir un HUB technologique. Il est à savoir d’ailleurs que l’Industrie rapporte beaucoup à ce pays tant le secteur offre 520.000 postes d’emploi, représente 17% du Produit National Brut, rapporte 50 milliards de dinars en exportations et représente, à lui seul, 90% de l’ensemble des exportations nationales, 33% des postes d’emploi du pays et 19 milliards de dinars en tant que valeur ajoutée annuelle. Mais il était tout à fait attendu que le secteur soit touché par la conjoncture mondiale qui a souffert de crise économique, de crise sanitaire et de guerres ».
La succession de chocs et de crises a mis effectivement en exergue l’importance de développer davantage la compétitivité du secteur industriel pour renforcer la résilience et garantir la sécurité et la souveraineté économique. Cependant, il ne faut pas se voiler la face ! Les obstacles procéduraux et juridiques reviennent toujours comme un leitmotiv !
Action commune et convergente !
Pour M. Nafaa ENNAIFER, Membre du Comité Directeur de l’IACE, nul ne peut contester l’importance du secteur industriel. Cependant, depuis 2010, ce secteur a enregistré une régression. « L’apport de l’industrie pour le PNB était de 30% en 2010 ! Cela dit, si nous sommes ici aujourd’hui à débattre, c’est parce que nous sommes convaincus que nous avons le potentiel qu’il faut pour réussir, pour rétablir ce taux et pour rendre à l’industrie tunisienne sa gloire ! Il faudrait juste veiller à abolir les obstacles qui entravent l’envol du secteur. Plusieurs grandes opportunités s’offrent à nous aujourd’hui après le Covid et la guerre en Ukraine. Parce qu’aujourd’hui on parle de repositionnement des pays ! Il faudrait juste ne pas rater ces occasions, en être conscients et se rendre compte qu’en termes de compétitivité, plusieurs autres pays travaillent aussi là-dessus et cherchent de nouveaux marchés ! Nous devons accélérer le rythme pour gagner ces marchés là en commençant par pallier aux lacunes et par la réforme de ce qui boîte encore. Tout le monde s’accorde à dire que notre problème est essentiellement administratif et procédurale. Il y a une lenteur dans le traitement des procédures lesquelles sont complexes. On peut dire aussi que le climat général est plutôt porté sur la diabolisation de l’entreprise privée et des investisseurs. Et nous devons rectifier cette image. Et ce qui me semble le plus important à dire aujourd’hui, c’est qu’à côté des réformes, de la stratégie mise en place par le ministère et les structures publiques, il faut qu’il y ait un consensus et qu’on marche tous ensemble dans une même direction. Nous devons nous mettre d’accord que tous les investisseurs, toutes les administrations, tous les ministères et tous les intervenants marchent dans un même sens lequel valorise le secteur industriel et facilite sa voie. On ne peut pas œuvrer théoriquement en faveur de la facilitation et la souplesse des procédures alors que sur le plan réel et pratique ce qui se passe est totalement à l’opposé. Il faut une adhésion commune et une convergence exhaustive dans les objectifs ».
Si l’on doit récapituler, pour que l’industrie tunisienne soit relancée, il faudrait d’abord réviser, corriger, faciliter, alléger, moderniser, numériser, changer de vision, stopper la diabolisation, passer au vert et s’ouvrir dur de nouveaux marchés d’exportation et marcher tous dans un seul et même sens qu’est l’intérêt commun de la Tunisie… Croisons les doigts pour que ça ne demeure pas une pure théorie…
Abir CHEMLI