9 avril 1938: In memoriam

La mémoire collective nationale, a été depuis 1956 fixée à la date du 9 avril 1938 comme étant, et par excellence, la fête des martyrs. Ce choix personnel de Bourguiba, se justifie par le fait que, c’est le premier débordement populaire généralisé après la naissance du Néo-Destour, le 3 mars 1934. L’Etat bourguibien avait acquis et mis en relief ce fait de l’histoire comme étant fondateur et incontournable, d’où sa commémoration annuelle au cimetière de Séjoumi. Lieu symbolique, où avaient été exécutés publiquement les Tunisiens après les événements du Djellaz du 7 novembre 1911.

La notion de martyr remise en question aujourd’hui

Généralement, la notion de martyr fait référence à une personne qui a donné sa vie pour une cause humaine sacrée ou pour la patrie : la défendre contre une occupation étrangère surtout. Une définition certainement vague et elle est voulue, afin de ne pas politiser la question. Rentre dans cette définition, les martyrs de la Tunisie à l’époque coloniale et de la période de l’indépendance jusqu’à nos jours. Cette définition engloberait tous les Tunisiens, ceux qui sont connus pour avoir mené la lutte armée, ou encore l’élite politique et intellectuelle, surtout durant la période de l’indépendance, parmi ceux qui ont été victimes du despotisme politique, assassinés, emprisonnés, exilés et expatriés ou morts sous la torture. Aussi, il ne faudra pas faire de distinction ni par l’appartenance régionale, confessionnelle ou politique. Cette définition est importante dans la mesure où elle mettra fin à un débat sans fin concernant la justice transitionnelle.

Les martyrs de la Tunisie

On ne  peut guère considérer la date du 9 avril comme étant fondatrice pour la célébrer annuellement comme étant la date idéale. Bien de grands événements historiques ont donné leurs lots de martyrs à la Tunisie. Que pouvons-nous dire des milliers de Tunisiens morts depuis 1864 contre l’oppression politique et fiscale partant de l’insurrection d’Ali Ben Ghedaham et puis ceux tombés au début de la colonisation française de Tunisie (1881-1885) ?

Les luttes engagées depuis 1881 et qui avaient fait des centaines de martyrs ne méritent-elles pas elles aussi une « mise en valeur mémorielle » ? Nous pensons ici aux premières incursions françaises et le mouvement de résistance qui s’est opéré dans les rangs des tribus et des combats acharnés surtout dans villes et villages particulièrement à Sfax avant sa prise par les occupants : les victimes étaient beaucoup plus nombreuses que ceux du 9 avril. On estime entre 800 à 1000 martyrs tombés lors de l’occupation de la Tunisie.

En dépit de la nette supériorité militaire française, une véritable guerre d’escarmouche et de harcèlement a continué jusqu’en 1885. Ladite « pacification » française de la Tunisie, n’était certainement pas une promenade. Des centaines de Tunisiens ont donné de leurs vies pour la patrie. La résistance héroïque d’Ali Ben Khelifa qui ne se lassa pas d’opposer une farouche résistance qui a durée 5 ans et dû battre en retraite en Libye.

Et pendant toute la période allant de 1881 à 1961, un grand nombre de Tunisiens se sont sacrifiés pour la liberté et l’indépendance :

Le soulèvement de Thala de 1906, les évènements du 7 novembre 1911 dits du Djellaz, 14 Tunisiens sont morts, sept condamnés à morts et exécutés à Sejoumi (d’où l’établissement du cimetière des martyrs dans ce lieu hautement symbolique).

On parle peu aussi du soulèvement dit des « Ouedernas » et les tribus du Sud-Est entre 1915 et 1916 dans la région de Gabès, et c’est pendant ces affrontements avec les forces militaires françaises qu’est apparu le terme « fellagas ». Béchir Ben Sdira, Daghbagi furent les noms illustres de ces batailles et qui laissèrent plus de 1181 martyrs tombés pendant ces batailles et durent infliger aux Français de lourdes pertes (387 tués et 332 blessés). Aujourd’hui, on parle même de l’usage du gaz moutarde utilisé par l’armée française pour venir à bout de cette insurrection, la plus importante pendant toute la période de la colonisation.

– La guerre de libération nationale engagée le 18 janvier 1952 et qui nous laissé un flot de martyrs avec des batailles illustres de Tunisiens qui ont donné leurs vies afin que nous puissions vivre sous le toit de l’indépendance, nous en donnons quelques unes :

– Bataille de D’Ebba Ksour  14 juin 1954 ; 9 martyrs ;

– Bataille de djebel Bargou 13 septembre 1954 ; 15 martyrs ;

– Bataille de djebel Sidi Yaich, (Kasserine) el 18 septembre 1954 ; 11 martyrs ; la deuxième bataille dans le même lieu le 21 novembre 1954 a fait 33 martyrs ;

– Bataille de djebel Kchem 1er octobre 1954 ; 19 martyrs ;

– Bataille de djebel Ghadhoum, 8 octobre 1954 ; 22 martyrs ;

– Bataille de djebel Marfaq (Gafsa) 18 novembre 1954 ; 20 martyrs ;

– Bataille de djebel Oum Zine (Errouhia, Siliana) 14 octobre 1954 ; 24 martyrs.

Nous n’avons dénombré que quelques batailles de la lutte armée tunisienne. Ces Tunisiens sont morts pour la Tunisie en hissant le drapeau tunisien.

Il ne faut pas non plus omettre de citer le bombardement de Sakiet Sidi Youssef : 72 victimes.

Aussi la bataille de Bizerte, dont à la fois la déraison et la grosse tromperie qui jusqu’à aujourd’hui parle de quelques 600 martyrs alors que le chiffre est largement contesté et doit être au moins multiplié par 10 selon les témoins.

Et comme nous somme dans la voie d’écrire (on ne réécrit pas l’histoire !) notre histoire, il faudrait revenir à reprendre d’abord l’histoire des victimes du despotisme aussi bien bourguibien que sous Ben Ali. À ce titre qu’en est-il des martyrs de la gauche (mouvement perspectives), des militants du mouvement estudiantin, des militants du Mouvement de tendance islamique (reconverti depuis en mouvement Ennahda), des militants syndicalistes etc. ?

Dans les mouvements populaires, pourquoi ne pas ériger et reconnaître les victimes de janvier 1978, et ceux de la « révolte du pain » en 1984, des centaines de victimes sont tombées? Des opposants à Ben Ali se comptaient par milliers et aujourd’hui des vérités commencent à voir le jour. Il s’agit d’exécutions et d’assassinats politiques ou de disparitions pour en venir finalement (espérons-le) aux martyrs du bassin minier de Redeyef, de la Révolution du 14 janvier et l’assassinat de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi.

Pourrions-nous repenser autrement la fête des martyrs, car ces martyrs étaient bel et bien conscients de leurs actes et ont fait un sacrifice de leur vie pour la patrie : ne méritent-ils pas eux aussi un souvenir digne d’une fête nationale qui rassemblerait tous les martyrs morts pour la Tunisie toutes périodes et tendances confondues ?

Il s’agit de rendre hommage et reconnaître le sacrifice de ces Tunisiens qui ont voué leurs vies et en ont fait don, hommes comme femmes, afin que les générations successives puissent vivre dans la quiétude et la liberté. C’est un appel à revisiter nos symboles et relire aussi notre histoire qui n’est le monopole de personne, mais qui doit se lire objectivement et par de véritables spécialistes.

Les terroristes qui rêvent du martyr !

Selon une chimère qui n’existe que dans la tête de ces simples d’esprits, assassiner leurs compatriotes qu’ils soient policiers, soldats donnerait la voie au paradis et l’accès à la notion du martyr. C’est cette grosse tromperie qui induit aujourd’hui un grand nombre d’adhérents au terrorisme, croyant ainsi ériger ladite « khilafat » et par ce fait, ils font usage de la religion pour accéder à ce haut rang.

Disons-le clairement, faute de reconnaissance, ces simples d’esprit qui n’ont rien compris aux véritables préceptes de l’islam, sont des individus dangereux mais aussi incultes, car pour devenir martyr il faut se sacrifier pour un bonne cause et surtout aimer les siens, et non pas les tuer. Heureusement que l’islam n’a rien à voir avec ces gens-là, et qu’ils rêvent toujours du martyr, c’est le moyen le plus court d’être honnis et méprisé par tous et surtout par l’histoire qui ne pardonnera pas.

Fayçal Chérif

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