9ème congrès d’Ennahdha : Le moment de vérité

 

A la veille du 9ème congrès d’Ennahdha (12-15 juillet), les enjeux sont de taille : quelle forme donner au parti ? Fallait-il déjà faire le bilan de 30 ans d’existence ? Quel projet de société offrir aux Tunisiens aujourd’hui ?

 

Les observateurs sont unanimes pour dire que ce congrès sera historique, à tous les niveaux : 1er congrès dans la légalité, 1er congrès après la Révolution, 1er congrès pendant que le mouvement est au pouvoir.

Il est clair qu’on attend beaucoup de cet évènement, lequel arrive au beau milieu de la deuxième phase transitionnelle et à environ une année des élections. Il sera suivi avec une grande attention à l’intérieur du pays, mais aussi à l’extérieur. Ennahdha, le premier parti islamiste au pouvoir après la vague des révolutions du Printemps arabe, sera appelé à indiquer la voie aux partis similaires dans le monde arabe, mais aussi à se montrer capable d’être un vrai parti d’Etat avec un projet de société rassembleur de tous les Tunisiens et une vision pour l’avenir. Ce n’est donc pas par hasard que le slogan de ce congrès est «Notre avenir est entre nos mains».

 

L’heure du bilan

Mais en dépit du contexte historique certes particulier, Ennahdha devrait mettre de l’ordre en son sein et faire aussi le bilan de plus de trente ans de clandestinité. Rappelons que la succession rapide des évènements après le 14 janvier et l’organisation des élections ayant précipité le parti au-devant de la scène, ne lui ont pas laissé assez de temps pour revoir ses orientations et sa structuration afin de les adapter à la nouvelle situation du pays. Car il ne faut pas oublier que juste avant la Révolution, le mouvement peinait à rassembler ses militants, dispersés après de longues années de persécution, d’emprisonnement et d’humiliation ayant amené certains à abandonner le mouvement, d’autres à s’exiler. Ces tentatives de reconstituer le mouvement ont débuté à partir de 2004, quand la majorité des leaders d’Ennahhda a quitté les prisons. Des gens comme Ali Laâridh, Zied Daoulatli et Hamadi Jebali ont commencé à contacter les sympatisants pour essayer de réactiver les cellules dormantes sur tout le territoire. Ce travail n’était pas facile, car la lassitude avait gagné bon nombre d’eux. Certains ont même pactisé avec Ben Ali pour pouvoir rentrer au pays ou trouver tout simplement du travail. Rached Ghannouchi, lui-même, a multiplié les tentatives pour se réconcilier avec le Président déchu afin de pouvoir retourner en Tunisie.

C’est dans ce contexte-là, qu’est survenue la Révolution, surprenant tout le monde : premier gouvernement de Ghannouchi, premier sit-in et décision de dissoudre le RCD, ouvrant ainsi un boulevard à Ennahdha pour la prise de pouvoir, puisque son principal rival n’existait plus. Entre-temps, le 7 février, le mouvement a déposé une demande de visa qu’il a fini par obtenir en mars. Il fallait se réorganiser à la hâte, en créant un comité fondateur, regroupant plus de 100 personnes et un bureau exécutif formé d’une trentaine de militants. Le Cheikh Rached, le chef du parti, est rentré d’exil  le 30 janvier et Jebali a été choisi pour être le Secrétaire général. Les militants en exil commençaient eux-aussi à rentrer au pays. Le choix de ceux qui ont fait partie des structures dirigeantes n’a pas plu à tout le monde. Des voix discordantes se sont fait entendre, mais jamais à l’extérieur du mouvement où on a toujours cherché à donner l’image d’un parti fortement soudé. Ces mêmes voix se sont fait entendre aussi pour contester les choix de ceux qui ont composé le gouvernement à l’instar de Rafik Abdessalem (le gendre de Rached Ghannouchi). Mais le très charismatique leader a été toujours là pour apaiser les esprits.

Maintenant qu’Ennahdha a reconstitué son réseau et marqué plus ou moins ses pas dans le pouvoir, le moment n’est-il pas venu de faire le bilan ?

 

Mouvement ou parti ?

Plusieurs défis s’imposent actuellement à ce parti, et qui vont certainement être débattus lors du congrès. Tout d’abord, est-ce que la fusion actuelle entre mouvement et parti va continuer ? Autrement dit, va-t-on assister, finalement, à une séparation entre le mouvement comme étant un cadre pour le travail idéologique, associatif et social et le parti comme cadre pour le travail politique et qui n’obéit qu’à cette logique-là ? La situation actuelle à Ennahdha est «celle d’un mouvement qui absorbe complètement le parti et fait en sorte que les fonctions de ce dernier dépassent celle d’un parti classique vers d’autres domaines qui ne sont pas normalement de son ressort. Ce qui ne peut qu’attirer les critiques de l’opposition vis-à-vis d’Ennahdha», affirme Alaya Allani, spécialiste de l’islamisme au Maghreb. Cette question de la séparation a été discutée durant les congrès locaux et régionaux, comme nous informe Ajmi Ourimi, membre du bureau exécutif d’Ennahdha, qui explique que le débat va se poursuivre sur cette thématique durant le congrès national, mais exclut le fait qu’il sera tranché. «Une question aussi cruciale nécessite d’être creusée davantage. Je pense qu’il y aurait probablement des recommandations dans ce sens, mais pas de résolutions finales», souligne-t-il. Mais, ce qu’Ourimi n’ose pas déclarer, c’est qu’il y a un courant majoritaire porté notamment par la base et qui est contre cette idée de séparation.

 

Quel projet de société ?

L’autre défi qui se pose à Ennahdha durant ce congrès est la question du projet de société qu’elle voudrait proposer aux Tunisiens, en tant que parti actuellement au pouvoir et qui ambitionne de le garder. Va-t-elle œuvrer vraiment à la création d’un Etat à caractère civil, régit par la loi et le respect de la démocratie ? Quelle vision de l’Islam va-t-elle proposer : un islam modéré, ouvert, qui a toujours caractérisé la Tunisie où un islam «achaârite», à la manière des Frères musulmans ?

Et même si certains de ses leaders penchent vers l’ouverture, la base n’est pas du tout en accord avec cette logique. En témoigne la dernière polémique sur l’inscription de la Charia dans la Constitution. Dans ce cas, il est légitime de se poser la question sur la capacité d’Ennahdha à encadrer ses bases et notamment la jeunesse, de plus en plus proche de la mouvance salafiste. Ourimi avoue, par exemple, que le nombre des adhérents issus du milieu de la jeunesse dans l’université a chuté par rapport à ce qu’il était dans les années 80. Il admet, implicitement,  que la mouvance salafiste séduit la jeunesse du parti. «Ennahdha qui était un cadre réunissant tous les courants de l’Islam politique ne l’est plus aujourd’hui, ce qui lui a créé de la concurrence», souligne Alaya Allani. Que va-t-elle donc faire : laisser monter en son sein le courant radical et continuer à flirter avec les salafistes en vue de les utiliser le moment voulu comme réserve électorale, ou renforcer le courant modéré, au risque de perdre leur soutien, mais de gagner de nouveaux sympathisants, notamment en provenance de la majorité silencieuse ? Car il ne faut pas oublier, comme le précise M. Allani,  que si Ennahdha a gagné les élections avec 40%, c’est parce que beaucoup de Tunisiens ont adhéré à son discours qui leur semblait être celui d’un parti adoptant l’Islam modéré, capable de préserver, à la fois les acquis de la modernité et l’ancrage dans la culture arabo-musulmane. Si le parti ne garde pas cette image, qui a été profondément entachée par la venue des prêcheurs radicaux, tels Wajdi Ghounim et Al Qourani, sans oublier les graves problèmes socio-économiques non résolus, il est peu probable qu’il obtiendrait cette majorité lors des prochaines élections.

 

Sous le signe de la continuité

A ces défis majeurs, il faudra ajouter celui de la démocratie au sein d’Ennahdha. Dans l’organigramme de ce parti, il y a trois grandes structures décisives : le chef du parti, le bureau exécutif et le conseil d’«echoura» (consultation). Jusque-là, les congressistes élisent le président du parti et les deux tiers des membres du conseil d’échoura (consultation) le reste est désigné. Quant au bureau exécutif, il est élu par le conseil d’echoura à partir d’une liste choisie par le chef du parti, comme le stipule l’article 30 du statut actuel du parti. Un nouveau statut a été préparé et sera adopté durant le congrès. Il décidera du changement ou non du mode d’élection des structures d’Ennahdha. Une chose est sûre, c’est que le rôle du chef du parti reste très important dans le processus de décision. Les observateurs estiment qu’il n’y aura pas de changements au niveau de la personnalité qui occupera ce poste. Rached Ghannouchi ( Elu déjà 7 fois chef du mouvement) sera reconduit d’office puisque le parti a clairement manifesté son besoin de le voir maintenu à sa tête, quand il s’agissait pour lui d’aller remplacer Qaradhaoui à l’Union des oulémas musulmans.

Il ne faudra pas s’attendre, non plus, à de grandes surprises au niveau de la composition du prochain bureau exécutif. Les membres de l’actuel bureau seront dans leur majorité reconduits. Ce sont essentiellement des membres de l’appareil et de vieux militants ayant connu, pour longtemps, l’expérience carcérale. Il faudrait ajouter certains noms de ceux qui étaient en exil, mais dont l’attachement au mouvement est resté sans faille. Il est très peu probable que des figures de jeunes soient présents au leadership et encore moins des nouveaux adhérents. Il s’agirait finalement d’un congrès s’inscrivant dans la continuité. L’heure n’est pas aux grands changements, mais plutôt au renforcement des rangs et au report des conflits, car l’échéance électorale pointe à l’horizon et l’on commence à sentir le danger venant de l’opposition, notamment du mouvement de Béji Caïd Essebsi. En témoigne cette déclaration de Riadh Chouaibi, le président du haut comité d’organisation du Congrès, lors d’une conférence de presse, tenue le 9 juillet, que «les partis clonés sur le RCD ne seront pas les bienvenus au congrès». 

Et comme signe de cette volonté de resserrer les rangs, Ennahdha ouvre grands les bras pour récupérer Abdelfettah Mourou après l’avoir mis à l’écart depuis la Révolution. Ce dernier est parmi les 1103 congressistes et pourrait même être élu dans les structures du mouvement. «Ennahdha voudrait d’une part, remédier à l’éloignement de Mourou de la composition du gouvernement, mais surtout, profiter de sa popularité pour attirer de nouvelles franges d’électorat (en vue des prochaines élections) notamment les conservateurs de l’ex-RCD. Le but étant de contrer un peu la popularité de Béji», souligne Alaya Allani.

Quoi qu’il puisse arriver dans ce prochain congrès, il y aura sûrement un avant et un après.

Hanène Zbiss

 

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