En dépit de la grande monotonie qui empreint la vie politique en Tunisie et la désaffection des jeunes de ce jeu et leur peu de confiance dans l’élite politique, il semble que les prochaines échéances qui pointent à l’horizon ne seraient pas porteuses de grands changements. Si l’on croit les instituts de sondage, qui ne se lassent pas de produire des enquêtes dont la qualité n’est pas toujours au-dessus de tout soupçon, on doit un peu se rendre à la triste évidence dans la mesure où les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets.
Si une élection présidentielle a lieu dans un avenir proche, on retrouvera au final la même paire : Béji Caïd Essebsi et Moncef Marzouki. Le retour au-devant de la scène de l’ancien président provisoire de la République, surprend et interloque. Moncef Marzouki a, dans le sondage fraîchement effectué par Sigma Conseil, ravi la place qu’occupait Youssef Chahed qui laisse des plumes aux yeux de l’opinion publique au profit de Marzouki. Pour le reste, ce sondage n’annonce rien de nouveau en ce sens que les personnes sondées n’ont pas changé leurs avis sur les différentes questions qui leur ont été posées. La seule exception, le taux d’abstention, ne finit pas de grimper, ce qui ne surprend guère.
Le plus choquant, probablement dans le sondage réalisé par Sigma Conseil, concerne le taux d’abstention particulièrement élevé, attendu qu’il s’agit des élections municipales, législatives, ou présidentielle. Que la moitié du corps électoral déclare sans fioritures son intention de bouder les prochaines échéances, c’est qu’il y a anguille sous roche. Ce résultat traduit un profond malaise et, surtout, une perte de confiance manifeste des électeurs dans les partis politiques qui s’illustrent plus par les querelles qu’ils provoquent que par la qualité des programmes qu’ils proposent. Ce seuil élevé ne surprend pas tellement dans la mesure où il exprime un ras-le-bol et un profond ressentiment des électeurs en général et des jeunes en particulier envers une classe politique, qui n’a pas réussi à encadrer les jeunes ni à s’enraciner dans les régions et encore moins à animer un débat public qui pourrait capter leur intérêt.
Pour les Législatives, le taux d’abstention est de l’ordre de 55%, pour la Présidentielle il est d’environ 42,7%. Par contre, pour les Municipales, élections de proximité dont la date est la plus proche, le taux d’abstention est encore plus élevé. Il a atteint dans le sondage publié le 21 novembre dernier concernant un échantillon de 8638 Tunisiens, 69,2% dont 30,2% boycotteraient les élections, alors que 37% restent incertains.
Incertitudes et désillusion
Certains observateurs estiment que le taux d’abstention pourrait se réduire, à l’approche des élections, soit au moment où les programmes et les listes deviennent clairs. D’autres soutiennent un avis contraire exprimant leur pessimisme au sujet du taux de participation à ce rendez-vous que la crise que vit actuellement l’ISIE, rend de plus en plus incertain. Manifestement, l’augmentation du taux d’abstention est due principalement au peu d’intérêt qu’accorde le Tunisien à la « chose » politique. Pis encore, ce désintérêt s’explique, non pas par une certaine inconscience, mais plutôt par le manque de confiance en la classe politique, qu’elle soit au pouvoir ou dans l’opposition. Pour une autre catégorie d’observateurs, comme dans toutes les démocraties du monde, les citoyens s’intéressent plus aux élections générales, dont les présidentielles, parce qu’ils estiment que seul le pouvoir central pourrait apporter des changements à leur vie, et non pas le pouvoir local, d’où l’intérêt très limité aux élections municipales.
Il faut reconnaître, par ailleurs, que le taux d’abstention en intentions de vote, pour l’élection présidentielle, ne laisse pas apparaître de grandes différences entre hommes et femmes ni entre les différentes catégories sociales ou entre les régions et tranches d’âge. Cependant, on relèvera que les régions côtières sont moins dans l’abstention que les autres régions. On constatera également que les jeunes sont plus intéressés par a Présidentielle que par les Municipales. Et c’est le même constat qu’on enregistre chez les intellectuels et la classe aisée, contrairement à la classe populaire où le taux d’abstention est très élevé.
Concernant l’évolution du paysage politique, il ressort que si les élections municipales ont lieu demain, on se retrouvera dans la même configuration de 2014. En d’autres termes, Nidaa Tounes serait toujours en tête avec 33,6% et ce, en dépit de la perte de vitesse qu’il connaît, depuis qu’il s’est englué dans des dissensions qui lui ont fait perdre sa majorité dans l’ARP. Vient en deuxième position, en matière d’intentions de vote, Ennahdha avec 28,7%, suivie du Front Populaire (6,9%), Tayar Démocratique (4.8%) et Afek Tounes (3.2%), soit les cinq partis qui s’accaparent l’essentiel des votes. Par contre, on relèvera que Nidaa Tounes a quand même perdu 4 points en un mois, alors que le mouvement Ennahdha a gardé le même niveau, en ce qui concerne les intentions de vote. Il en est de même pour le Front Populaire, qui perd un point, alors qu’Afek a gagné un point, en un mois.
Marzouki : l’agitation qui paie
Pour ce qui est des élections législatives, les intentions de vote donnent une perte de deux points et demi pour Nidaa Tounes, tout en gardant sa posture en tête de liste, avec 35%, contre 27.1% pour le mouvement Ennahdha. En troisième position, on retrouve le Front Populaire qui gagne un point, par rapport au sondage précédent, avec 9.2%.
La nouveauté du sondage Sigma, pour le mois de novembre, concerne la « montée » du parti de Moncef Marzouki « El Harak », qui se retrouve en 5e position avec 3.4%, légèrement devant Afek avec 3.3%.
On relèvera, par ailleurs, que de nouveaux partis, à l’instar de Machrou3, de Mohsen Marzouk, ou encore El Badil, de Mehdi Jomaâ, ne figurent même pas dans cette deuxième catégorie de partis politiques.
L’autre fait saillant, ce sont les intentions de vote pour l’élection présidentielle. En effet, le sondage a révélé une augmentation des intentions de vote en faveur de Moncef Marzouki, ex président provisoire. Il est passé de 10.4%, en septembre, à 11.8%, en octobre pour se situer à hauteur de 15.5, au mois de novembre 2017. Il aura, ainsi, dépassé le Chef du gouvernement Youssef Chahed, crédité de 10.4%, alors qu’il avait frôlé les 20% en été dernier. Béji Caïd Essebsi préserve son positionnement en se maintenant en tête de liste.
Certains expliquent la montée de Marzouki par ses apparitions médiatiques, ses déclarations-chocs et ses déplacements fréquents dans les régions où il parvient souvent à créer le buzz et susciter de vives polémiques.
Youssef Chahed perd environ 50% de la sympathie des Tunisiens, en comparaison avec le sondage estival. Ce recul est imputé par certains, à la volonté du Chef du gouvernement de s’éloigner légèrement du jeu politique, des projecteurs, laissant à Carthage le soin de s’occuper des initiatives politiques.
L’intérêt de ce travail réside dans la tendance qu’il dessine. Il est certain qu’il faudrait attendre l’approche des élections municipales, pour vérifier si l’image dégagée restera la même ou connaîtra des changements de fond en comble.
N.F