Los Angeles, dans un futur proche. Theodore Twombly, un homme sensible au caractère complexe, est inconsolable suite à une rupture difficile. Il fait alors l’acquisition d’un programme informatique ultramoderne, capable de s’adapter à la personnalité de chaque utilisateur. En lançant le système, il fait la connaissance de Samantha, une voix féminine intelligente, intuitive et étonnamment drôle. Les besoins et les désirs de Samantha grandissent et évoluent, tout comme ceux de Theodore, et peu à peu, ils tombent amoureux…
Avec son affiche de biopic qui met le personnage masculin de Joaquin Phoenix en avant, on en oublierait vite la sobriété du titre monosyllabique, Her, qui nous éloigne en fait du classicisme promis par le visuel promotionnel dans le style des biographies que nous ressasse Hollywood. Le nouveau Spike Jonze (Dans la peau de John Malkovich) n’est point un biopic. Il s’agirait davantage d’une réflexion sur l’amour, entre science-fiction et romance existentielle. Her renvoie ainsi à un idéal féminin, ou à une vision de l’amour immaculé, l’âme sœur qui vous comprendrait mieux que personne dans vos émotions complexes d’humain déchiré par les défis que sont les évolutions de chacun au sein du couple, inéluctables, incontrôlables, et qui mènent vers la destruction assurée d’une union qui échappe aux meilleures intentions. Dans un futur proche non daté, dont l’architecture est verticale, mélange imaginaire de Los Angeles et de Shanghai, pourquoi ne pas s’en remettre au virtuel, au système d’exploitation de demain qui autorise la complicité, la fusion sentimentale, émotionnelle et intellectuelle ?
Le personnage de Théodore romantique malheureux, au seuil du divorce douloureux, vit donc seul au sommet de sa tour, dans un immeuble glacé que n’aurait pas renié Steve Jobs. Romantique lunaire, sa seule échappatoire à la réalité est le virtuel, son ordinateur de poche qu’il commande vocalement et les lettres d’amour et autres missives familiales qu’on lui commande quand on ne trouve pas les mots pour saisir avec exactitude ses sentiments. Jusqu’au jour où il tombe sur un nouvel O.S., révolutionnaire, qui vient installer le doute. Avec une personnalisation pertinente, le système d’exploitation qui embrasse la voix sensuelle de Scarlett Johansson, devient son meilleur allié, ami du matin et des soirs de déprime dans cet environnement très froid, très Lost in translation. Peut-on s’embarquer plus loin avec cette voix si intelligente ? Et pourquoi pas ? Si les humains sont génétiquement programmés pour aimer, l’informatique de demain ne sera-t-elle pas elle-même codée pour combler le vide affectif de chacun ? Her, sans visage, devient donc pur fantasme, matérialisation vocale des désirs les plus intimes, des besoins d’aimer les plus forts, elle incarne la perfection relationnelle, sans ambiguïté. Ou presque.
Dans cet équilibre, entre l’homme et la machine, l’égalité est-elle possible alors que l’intelligence artificielle grandit et devient elle-même d’une complexité qui peut échapper au protagoniste amoureux ? Cette félicité 2.0 n’est-elle pas elle-même vouée à l’échec et nous, pauvres humains à la solitude tourmentée ? Spike Jonze, auteur du script, situe certes son récit dans un avenir plus ou moins proche, mais de par le réalisme certain de sa cité futuriste et l’acuité des rapports humains qu’il dépeint, empreints de mélancolie et d’un sentiment d’abandon, son film touche à l’universel et convoque inévitablement l’expérience du spectateur qui pourra ressentir une proximité évidente avec les affres et les bonheurs de Joaquin Phoenix.
L’univers de science-fiction d’Her est en soi un O.S. miraculeux dans lequel on aime se lover, confronter nos propres doutes et solitudes, avec toutefois l’impression que certaines coupes auraient pu être faites. Aussi pertinente soit-elle, cette nouvelle réalisation de Spike Jonze, qui évoque par moment de par son architecture fascinée Synecdoche New York (l’une de ses productions), pèche peut-être un peu trop par sa longueur. Un petit reproche dans une œuvre qui confine souvent au sublime ; la musique d’Arcade Fire y contribue largement, à l’instar d’un casting féminin épatant (Amy Adams, Olivia Wilde et Rooney Mara qui donnent un peu de chair à l’exercice vocal de Scarlett Johansson).
*Her, Réalisé par Spike Jonze. Il a été nommé 5 fois à l’Oscar, dont meilleur film de l’année et meilleur scénario. Rien pour le réalisateur, ni pour l’acteur principal.
F.B.