A peine remis de la blacklist de la Commission européenne sur les paradis fiscaux et du transfert de la Tunisie dans la liste grise, qu’un nouveau classement dans les pays présentant des risques en matière de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme est venu peser encore plus sur une ambiance déjà maussade. Le vote du Parlement européen rappelle la fragilité de cette transition économique et les difficultés de remettre notre économie sur les voies de la croissance et de la réforme.
Cette décision européenne a eu l’effet d’une bombe dans le ciel déjà assombri de l’économie tunisienne. Et, tout de suite, le débat a porté sur deux questions essentielles, à savoir les responsabilités de cette décision ainsi que son impact sur notre économie.
Pour les responsabilités, nous avons insisté bien évidemment sur les responsabilités internes et la prise en compte parfois inexistante des mutations et des transformations que notre monde a connues. En effet, il faut mentionner que les attentats terroristes du 9 septembre 2001 et la crise financière globale ont mis à l’ordre du jour trois préoccupations majeures de la communauté internationale, à savoir le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et l’évasion fiscale. Et depuis, les institutions internationales ainsi que les pays démocratiques ont pris en charge ces préoccupations et ont constitué les institutions, notamment le GAFI, pour les traduire en normes et en réglementations. Ces acteurs ont cherché à imposer ces normes dans les différents pays et les traduire dans les législations locales. En Tunisie, ces préoccupations et ces nouvelles exigences ont été prises en charge à partir de 2014 avec notamment la levée du secret bancaire, la signature du FATCA et la mise en place d’un comité ministériel de suivi des questions de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme. Or, cette dynamique a pris du retard et ne s’est pas poursuivie au même rythme, expliquant les déconvenues récentes avec le classement de notre pays dans deux listes noires par l’Union européenne en l’espace de quelques semaines.
Mais, notre responsabilité et les retards enregistrés dans la mise en place de ces nouvelles normes n’enlèvent pas la responsabilité aussi de notre partenaire européen auquel beaucoup de Tunisiens aujourd’hui reprochent une attitude qui a manqué de bienveillance dans un contexte marqué par les difficultés de transition économique.
Ainsi, ces retards internes et l’intransigeance des autorités de l’Union européenne sont à l’origine de ces décisions récentes qui ont constitué un choc pour beaucoup de Tunisiens et ont fait l’effet d’une bombe. Car, en dépit de quelques propos rassurants, ces décisions vont avoir des effets négatifs et d’importants risques pour notre économie. Le premier risque est lié à la réputation de notre pays qui a été entachée par ces deux décisions négatives en peu de temps. Le second risque concerne l’attrait de notre pays pour les investisseurs étrangers. A ce niveau, soulignons que notre pays a construit son modèle de développement à partir du début des années 1970 sur une grande ouverture aux investisseurs étrangers. Pour attirer ces investisseurs, un certain nombre de législations, notamment la loi d’avril 1972, et plusieurs institutions, ont été mises en place et ont facilité l’arrivée d’un grand nombre d’investisseurs et d’entreprises étrangères qui ont contribué à la dynamique de croissance que notre économie a connue au cours de trois décennies. Or, l’attractivité de notre économie a été touchée par l’incertitude et l’instabilité créées après la Révolution et qui a été à l’origine d’un recul non seulement des investisseurs nationaux mais aussi étrangers. Dans ce contexte, les dernières décisions européennes ne sont pas de nature à encourager les investisseurs à prendre la destination de notre pays et à les faire sortir de leur attentisme.
Enfin, la troisième conséquence de cette décision concerne les difficultés que connaîtront les opérations financières et les mouvements de fonds entre notre pays et les pays étrangers, notamment les pays européens. En effet, les banques prennent aujourd’hui beaucoup de précautions pour les opérations et les mouvements en provenance de pays se trouvant sur ces listes.
Mais, au-delà de leur impact économique et financier important, les décisions européennes nous amènent à réfléchir sur les dysfonctionnements qui sont au cœur de notre système. Ces déconvenues mettent l’accent sur les difficultés du mode de gouvernance des questions économiques et le manque de coordination entre ces différentes composantes, notamment le gouvernement, la Banque centrale et les autres institutions, comme le Conseil d’analyse économique ou le Conseil d’analyse financière. Nous avons souligné depuis quelques mois ces difficultés qui se sont matérialisées par l’absence de cohérence des choix de politique économique, notamment entre la politique budgétaire d’un côté et les politiques monétaire et de change de l’autre. Par ailleurs, ces dernières décisions européennes ont mis en exergue les limites de coordination entre ces différentes institutions et parfois les limites de leur efficacité.
Les dernières décisions européennes ont mis à nu les limites de notre gouvernance économique. Il est urgent de repenser cette gouvernance et la doter de la vision nécessaire et surtout de la cohérence et de l’efficacité afin de relancer notre économie et sortir du bout du tunnel dans lequel nous nous sommes retrouvés depuis quelques années. n
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