Après le succès de son premier ouvrage “La préhistoire ou le génie créatif de l’homme” où l’auteure tente de comprendre l’origine de l’Homme, Kalthoum Jemaïl porte aujourd’hui son regard sur ses propres origines.
Cette nouvelle aventure littéraire commence par Abdelaziz Jemaïl, son grand-père, né à Tunis en 1895 et décédé à la Marsa en 1969. Le livre s’intitule Abdelaziz Jemaïl, et le siècle de la Tunisie moderne. Une véritable biographie qui a déjà remportée le prix Zoubeida Bchir 2013, de la meilleure production scientifique en langue française.
Sur la couverture du livre, on voit Abdelazi Jemaïl, souriant, le visage tendrement penché, on a envie de dire, sur le siècle de la Tunisie moderne. «Cet ouvrage raconte son histoire et son fabuleux destin dans le domaine musical, narrés par sa petite fille Kalthoum Jemaïl. En véritable détective, elle s’est basée sur les différentes archives, documentation spécialisée, témoignages, de personnes du métier, connaissances, dont Chedly Klibi. Elle a voulu comprendre l’itinéraire de son grand-père mélomane.»
Abdelaziz Jemaïl donnait l’impression d’être un homme ordinaire dans son atelier où tout prêtait à penser qu’il était menuisier.
Mais, discrètement, dans l’arrière-boutique surgissaient des mélodies… Ce lieu abritait un véritable conservatoire par lequel sont passés les plus grands virtuoses du pays. C’est dans cet atelier que fut créé puis propagé le luth oriental en Tunisie. « C’est lui qui l’a fabriqué à partir d’un simple luth offert.»
Le mérite de restituer le parcours d’Abdelaziz Jemaïl, anonyme pour certains, c’est aussi de faire découvrir à ceux qui l’ignorent que dans le domaine musical il furent, avec Hedi El Chennoufi, les premiers à jouer les «bachrafs» et les «samais», musiques non accompagnées de parole, deux genres musicaux qui étaient uniquement interprétés par la fanfare beylicale.
Ce duo, «le premier avec son violon, le second au piano, a introduit avant même la «Rachidia», cette forme musicale pure dans le répertoire collectif». Dans l’ouvrage, nous découvrons avec surprise le parcours d’un personnage autodidacte qui inventa toute une école de musique au début du 20e siècle ; «Al-zaouia al fanniya», un mausolée artistique qui devint incontournable dans la médina de Tunis. Elle sera considérée comme une école-conservatoire publique, principale initiatrice de la musique classique tunisienne et orientale.
Composé de 170 pages agrémentées d’une riche illustration photographique ancienne restaurée, le livre est un décryptage subtil du parcours d’un homme autodidacte devenu un admirable luthier.
«Il ne connaissait pas l’écriture musicale, il était devenu virtuose du violon», ce qui a fait de lui «une sommité du 20e siècle en Tunisie, période de l’âge d’or culturel dans le pays». Décédé à l’âge de 70 ans, Sheikh al-fannanine, a été sollicité pour jouer sur les ondes de la radio dès son apparition en 1938.
Kalthoum Jemaïl, écrit bien, parce comme son grand-père elle pense juste ou bien pense juste parce qu’elle écrit bien. Elle n’est pas musicologue, mais nous laisse muets d’admiration devant autant de sciences et de grâce. On ne dit pas souvent d’un livre qu’il est indispensable, mais tout simplement nécessaire pour enrichir le patrimoine musical et culturel du pays. «Quand quelqu’un parle, il fait clair», faisait dire Freud à un enfant perdu dans le noir. Dans l’obscurité de ce siècle où le sens s’effondre sous nos mots, lire l’auteure nous offre un peu de jour agréablement musical.
N. A.
Abdelaziz Jemaïl et le siècle de la Tunisie moderne *
de Kalthoum Jemaïl – Édition Universelle
Février 2014 – 214 pages