Depuis maintenant plus d’un mois, le pays vit au rythme d’une double crise. La première oppose l’UGTT au gouvernement d’union nationale dont elle exige, dans un exercice solitaire de plus en plus scandaleux, le départ pour sa gestion calamiteuse du pays. La deuxième oppose le syndicat de l’enseignement secondaire, relevant de l’UGTT, au gouvernement portant en apparence sur des revendications salariales excessives et cachant mal des desseins politiques suspects.
Dans le premier comme dans le deuxième cas, l’UGTT pèche par excès, par un discours belliciste truffé de contradictions flagrantes et par des calculs malvenus qui suscitent des réactions de dépit chez la classe politique et de ressentiment chez l’opinion publique. Les uns comme les autres n’arrivent pas à comprendre les visées réelles d’une action syndicale qui dérape dans tous les sens et prend l’allure d’une action politique dont les effets sont de plus en plus graves et sur la stabilité du pays, ses intérêts, son développement et sur sa paix sociale.
D’où la question qui taraude les esprits et interpelle l’opinion publique et même certaines figures connues pour leur sympathie avec l’UGTT. Est-ce que le rôle historique militant de la Centrale syndicale et son poids prééminent dans le pays, notamment depuis 2011, l’autorisent à jouer la politique de la terre brûlée, à utiliser tous les moyens, y compris ceux que la nouvelle constitution du pays interdit, pour imposer tout par la menace et le bras de fer et à s’octroyer des pouvoirs qui ne relèvent pas de ses compétences ? Est-ce que l’UGTT tire un quelconque profit par sa caution aveugle de certains mouvements sauvages qu’elle maîtrise mal, comme c’est le cas actuellement du trublion syndicat de l’enseignement secondaire, qui prend chaque année les élèves en otage pour forcer les pouvoirs publics à céder à ses caprices ?
Pourquoi l’UGTT ne cesse de développer un discours inquisiteur, accusateur et provocateur en ne laissant aucune chance au dialogue serein, responsable et constructif ? Comment se fait-il que le récipiendaire du Nobel de la paix pour sa contribution efficace et salvatrice au dialogue national au cours de la période cruciale de la transition démocratique, agisse à contre-courant en faisant voler cette image idyllique en éclats et en portant les habits d’une organisation nationale de plus en plus hégémonique et imperméable au dialogue et à la concertation ?
Pourtant, de nombreux sages reconnaissent que « les compromis sont indispensables pour diriger un pays, et c’est avec les adversaires qu’on fait des compromis, pas avec les amis ».
Pourquoi l’UGTT n’a pas le courage de reconnaître la gravité de la situation que traverse le pays, n’ose pas sortir de son action traditionnelle, comme l’avaient fait plusieurs organisations similaires dans les plus grandes démocraties, afin de sauver les intérêts nationaux, préserver l’entreprise et limiter la descente du pays dans les abysses du doute et des tensions destructrices ?
Manifestement, le discours guerrier qu’on perçoit de jour en jour à longueur de meetings populaires, de conférences et de déclarations de presse et à travers les réseaux sociaux, renvoie un mauvais message et une faible prédisposition de la Centrale syndicale à réajuster son action et à mettre fin à une fuite en avant qui n’a fait que produire le contraire de ce qui est espéré.
Il renvoie également une image écornée du pays et laisse présager le pire, d’autant plus que tout le monde est témoin des difficultés économiques et financières, de la gravité des conflits sociaux et de la menace terroriste que la Tunisie ne cesse d’endurer depuis plus de sept ans.
Dans le climat délétère qui sévit dans le pays, le doute et la suspicion qui s’installent et l’immobilisme qui domine, quel intérêt pourrait tirer l’UGTT de la perte de confiance des opérateurs économiques, du blocage de la production et du déroutage des investissements extérieurs ? Il est certain qu’à travers ces pratiques excessives et décalées, la Centrale syndicale deviendra un acteur essentiel dans l’aggravation des difficultés politiques, économiques et sociales du pays. Dans une telle configuration, elle finira par comprendre que la politique du bras de fer est une arme à double tranchant et que ses effets pervers peuvent avoir plus d’ampleur que ses effets bénéfiques.
A quand le réveil de nos syndicats ? Quand l’UGTT parviendra-t-elle à mettre dans son agenda le postulat selon lequel le monde a changé et qu’on n’est plus dans une configuration de lutte de classes ou même de dictature de prolétariat ?
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