Se lancer à l’heure actuelle dans l’aventure de l’édition, et ce, quel que soit le pays considéré, relève de la gageure. Le secteur, tous formats de publication confondus, est quasi universellement en crise. Les maisons d’édition qui ont mis des années à établir le sérieux de leur réputation, souffrent d’une désaffection progressive du lectorat au profit du support digital, les librairies périclitent et essayent pour survivre de se positionner, tant bien que mal, sur de nouveaux créneaux porteurs ou spécialisés, etc.
Dans un contexte tunisien où l’innovation est malheureusement peu encouragée, trois passionnés de littérature, Souha Cherni, Atef Attia et Sami Mokaddem se sont lancés, tête baissée, dans l’aventure. Loin des prétentions si communes au milieu, ils avouent sans complexe leur préférence pour une littérature populaire, de genre. On pense alors à la Série Noire ou à J’ai Lu, dont le travail a enrichi l’imaginaire de plusieurs générations à travers le monde tout en révélant au public d’innombrables talents.
Rencontre avec Atef Attia, l’un des trois passionnés fondateurs de Pop Libris éditions.
Pouvez-vous nous brosser un rapide portrait des trois fondateurs de Pop Libris ?
Tout a commencé avec un groupe Facebook, Reading corner, qui est un espace dédié aux jeunes auteurs amateurs. C’est un espace qui compte 1200 fans et comprend énormément d’auteurs en herbe. C’est aussi un espace de découverte, de partage, de critique… Tout est vraiment parti de là et je tiens à dire qu’à titre personnel, cet espace m’a beaucoup aidé au niveau de la technique littéraire.
Après, en fonction de nos affinités respectives, nous nous sommes retrouvés tous les trois autour d’une idée un peu folle : «Pourquoi ne pas passer à l’étape suivante et monter notre propre maison d’édition pour proposer une littérature alternative dans le paysage tunisien ?» Car nous avions remarqué qu’il restait beaucoup de choses à faire en ce domaine…
Aviez-vous déjà des textes à cette étape ou bien pas encore ?
On avait déjà nos textes à nous. C’est-à-dire mon propre livre, Sang d’encre, puisque personnellement j’écris depuis 2002 et quant à Sami il avait déjà bouclé son recueil de nouvelles, La cité écarlate. Souha n’écrit pas, mais elle nous a aidés autrement. Et on s’est carrément lancés sans réfléchir plus que ça ! Nous n’avions aucune formation spécifique dans ce secteur puisque Souha est encore étudiante en pharmacie à Monastir, Sami est expert-comptable et je suis moi-même salarié dans une boite privée qui propose des produits financiers. Donc rien à voir avec le milieu de l’édition.
Est-ce que votre démarche consistait aussi à combler un certain manque, une lacune dans le paysage éditorial tunisien ?
Oui, absolument. C’est vrai qu’en tant que gros consommateurs de livres nous ne trouvions pas forcément ce qu’on recherchait. Nous avions constaté une certaine inertie, un peu comme si on resservait toujours le même plat au lecteur. Nous recherchions essentiellement une littérature orientée vers le divertissement, qui donne envie de lire, qui soit vraiment une évasion… Donc nous sommes partis là-dessus. C’est pourquoi toute la politique de Pop Libris est fondée sur une littérature légère, de divertissement et si possible de genre. C’est ce que nous avons fait avec Sami. Moi je suis parti vers le roman noir et lui vers le fantastique, le thriller, le suspense… Parce que malheureusement on ne trouve pas trop ce genre de littérature dans le paysage tunisien.
Comment s’est opéré le passage entre l’idée de départ — forcément enthousiasmante — et le moment où vous avez tenu le premier exemplaire entre vos mains ? Sereinement ou dans la douleur ?
Alors… disons, entre les deux. Au niveau du financement c’est vrai que ça a été difficile, car toutes les banques que nous avons démarchées — et nous avons frappé à, pratiquement, toutes les portes — nous ont dit non. Il y a même eu une certaine banque qui nous a dit «Laissez tomber votre idée de maison d’édition. Ouvrez un salon de thé et là, on vous finance tout de suite!» (Rires). Les banquiers savent pertinemment que dès qu’un projet a trait à la culture il existe un risque, alors, forcément, ils ne le prennent pas… Nous avons donc dû financer le projet avec nos propres moyens. Ensuite les choses se sont enchainées assez vite, disons qu’en un mois maximum la maison d’édition était créée. Il a fallu ensuite, évidemment, effectuer un gros travail sur les deux ouvrages qui allaient sortir, en matière de révision, de correction, de package, etc. Puis l’impression et la promotion-distribution, puisque nous assurons tout nous-mêmes.
Il est vrai que dès le départ nous savions que ce serait une démarche périlleuse, mais nous avons toujours considéré que ce n’était pas une raison suffisante pour ne pas le faire. On a sorti deux livres qui ont déjà reçu un accueil très favorable et si en plus on arrive à éditer d’autres genres (la science-fiction, l’horreur, le fantastique) ce sera formidable.
Vous offrez donc une littérature de genre et vous y tenez. Estimez-vous qu’il existe un public pour ce type de littérature en Tunisie ?
Oui. Je suis absolument certain que ce public-là existe.
Je vois tout autour de moi des gens qui lisent, qui recommandent des livres, qui en commandent d’autres auprès des libraires… Dès que nous avons commencé à parler de notre projet, le retour a été phénoménal et nous a encouragés à nous lancer. Les choses se sont donc mises en place assez vite. Sang d’encre est sorti il y a un mois et le deuxième livre, La cité écarlate, est disponible en librairie depuis aujourd’hui (samedi 21 septembre), mais est disponible en précommande depuis deux semaines.
Nous avons aussi opté pour la vente directe dans des festivals, salons, cafés culturels, etc. Le Café Journal de Gammarth nous a très gentiment ouvert ses portes sans même prendre de commission et l’évènement a très bien fonctionné, l’accueil dont nous avons bénéficié nous a impressionnés.
Concernant le paysage éditorial tunisien maintenant, il est clair qu’on ne se pose évidemment pas en donneurs de leçons. Mais en tant que simples consommateurs nous remarquons qu’il y a encore de gros efforts à fournir, ne serait-ce qu’au niveau de la promotion du livre. On n’en parle pas assez, les auteurs sont là et c’est malheureusement la même chose. Les maisons d’édition éditent, il n’y a pas de problème, elles ne se croisent pas les bras, mais la promotion n’est pas suffisamment assurée, on n’exploite pas assez les réseaux sociaux, les espaces publicitaires… Les éditeurs sont très frileux à ce niveau là, c’est vraiment dommage. Il y a toujours une certaine approche qui considère que le livre ne doit pas être un produit de grande consommation, nous, on se dit simplement «Pourquoi pas ?». Si le livre est de qualité, alors pourquoi pas ?
Au niveau des sujets c’est un peu la même chose ; il n’y a pas de prise de risque dans le genre, on en reste toujours au drame social.
Avez-vous une explication quant à cet état de fait, cette frilosité ?
Oh, sans doute que ça a marché une première fois et qu’il n’y a pas de volonté, encore une fois, de prendre le moindre risque. Surtout si l’éditeur pense à l’export, alors là, pas question de déroger aux habitudes !
On entend beaucoup dire que les Tunisiens lisent peu, qu’en pensez-vous ?
Je ne suis absolument pas d’accord. Je pense en fait que c’est une idée que les éditeurs véhiculent pour se rassurer eux-mêmes… Je me place à nouveau en tant que consommateur et je vois les jeunes, dans les grandes surfaces, qui se ruent sur les livres ! Ils achètent un livre de poche à 17, 18 ou même à 19 dinars. Donc l’envie est bien là. Mais concernant le livre tunisien l’offre n’est pas assez diversifiée pour qu’ils achètent. Et forcément, je les comprends. Nous avons délibérément choisi de mettre sur le marché des livres dont le prix reste abordable, en dessous de 8 dinars.
Vous venez donc d’éditer deux livres, y en a-t-il un troisième en préparation ?
Pour le moment c’est en projet. Étant donné les moyens malheureusement très restreints dont nous disposons, nous attendons le retour sur les deux premiers livres. C’est ce qui décidera de l’édition ou pas du prochain. Notre politique est assez simple, un livre finance le suivant, en sachant que nous tirons à 500 exemplaires.
Sami prépare actuellement un roman policier. Quant à moi je vais plonger dans l’horreur et le fantastique, via un deuxième recueil de nouvelles et un roman court.
Est-ce que Pop Libris sera présente lors de la prochaine Foire du Livre de Tunis ?
Les livres seront présents via les libraires, mais la maison d’édition elle-même n’aura pas de stand, pour des raisons de coût. Je tiens à préciser qu’un stand à la Foire du Livre coûte assez cher. Mais l’Association des éditeurs tunisiens fait de gros efforts. Elle a créé un espace, commun, où chaque jour et pour une durée de cinquante minutes un éditeur qui en aura fait la demande bénéficiera gratuitement d’un stand. Ce sera son espace à lui pendant cinquante minutes. Je trouve que c’est vraiment une excellente initiative.
Si d’aventure, de jeunes auteurs vous proposaient leurs manuscrits, vous les publieriez ?
Pour le moment, il est encore un peu tôt pour envisager une telle démarche, on attend de voir la suite des évènements et si les choses évoluent favorablement nous communiquerons pour recevoir des manuscrits qui seront appréciés par un comité de lecture.
La maison a à peine trois mois d’existence et nous avons déjà tiré énormément de leçons de ce que nous avons vécu. Il est clair que nous souhaitons prolonger l’aventure le plus longtemps possible et arriver à donner leur chance à de jeunes auteurs.
Avez-vous un site internet ou une page Facebook où l’on peut vous contacter ?
Absolument. Toutes les communications se font par l’intermédiaire de la page Facebook Pop Libris éditions et bien sûr nous sommes disponibles via nos profils personnels respectifs. Nous nous ferons un plaisir de répondre à toutes les demandes.
Gilles Dohès