Après deux mois de palabres improductifs et de divergences inconciliables entre des partenaires dont les visées sont autres que le sauvetage du pays, les mêmes acteurs s’apprêtent à repartir là où les négociations ont achoppé. Chacun, avec son agenda propre à lui, cherche à nous faire avaler la pilule et à soutenir l’insoutenable.
Pour ces acteurs, le temps s’arrête quand leurs intérêts commencent. Après avoir fait perdre au pays plus de deux mois dans des concertations infructueuses, mobilisé leurs experts pour élaborer un document surréaliste dont le point d’orgue fut la mise à prix de la tête de Youssef Chahed, les mêmes acteurs, sans revoir leur première copie, ni reconnaître leurs errements à l’origine du blocage dans lequel ont plongé le pays, sont en train de fourbir leurs armes pour engager une autre bataille dont l’issue est incertaine.
Quel intérêt de ressusciter un dialogue voué à l’échec, dont la finalité inavouée consiste à donner un coup de boutoir aux institutions du pays, dont la visée tend à creuser le sillon de la discorde et de l’instabilité et dont le conséquence directe est de verser le pays dans le tourbillon du doute et de l’attentisme ?
Sans s’étendre outre mesure sur les résultats possibles et imaginables de cet exercice contre nature, de cet acharnement à chercher un consensus à n’importe quel prix et de cette obstination à gripper le fonctionnement normal des institutions constitutionnelles, l’on peut dire que ces négociations marathoniennes ont fini par produire des effets collatéraux difficiles à réparer.
Manifestement, la crise politique a fini par créer un blocage des institutions, a produit des effets pervers sur l’activité normale dans de nombreux secteurs et paralysé, parfois, le processus de prise de décision.
Cela est d’autant plus inquiétant que dans une conjoncture de reprise constatée dans de nombreux secteurs d’activités, la crise politique qui perdure devient une source d’inertie, de blocage et d’incapacité pour les décideurs d’assumer pleinement leurs responsabilités. Alors qu’on a besoin d’une Administration plus que jamais alerte, de responsables réactifs et prompts à agir et à restaurer la confiance, on a eu droit au regain du laxisme, du doute et au renforcement du jeu des lobbies.
Devant un immobilisme de plus en plus envahissant, l’Administration est revenue à ses vieilles antiennes et les décideurs, gagnés par la panique de perdre leurs postes, à l’insouciance.
Dès lors, les difficultés que rencontrent les opérateurs, le durcissement de la politique monétaire dont la traduction la plus parfaite fut les augmentations successives par la BCT du taux directeur, la multiplication des mesures restrictives imposées par les différents intervenants publics, l’absence d’interlocuteurs capables de cerner les problématiques et d’agir en conséquence ont refait surface suscitant questionnement et craintes.
Au moment où tous les projecteurs sont dirigés vers un improbable dialogue et de chimériques thérapeutiques, que des experts en herbe ont pondus sans douleur, on occulte une réalité complexe et des problématiques d’une extrême gravité. L’esprit de revanche devient essentiel et la capacité d’affronter les difficultés avec courage et sérénité, relève de l’extrêmement insignifiant.
Faut-il dans ce climat lourd et délétère s’étonner de l’attentisme lourd qui sévit, de l’incertitude qui prévaut et de la démission collective de nos hommes politiques notamment des ministres, plus enclins à gérer leur carrière qu’ à se soucier des affaires du pays ?
Le pourrissement de la situation dans de nombreux secteurs névralgiques et l’incapacité certaine à résoudre toutes les problématiques n’en sont qu’un aboutissement logique.
Le dysfonctionnement des services publics, l’approfondissement du malaise social et la multiplication des foyers de tension sont la conséquence logique de ce dérapage incontrôlé des acteurs politiques et sociaux. Ils expliquent la facture de plus en plus lourde que le pays est en train de payer à tous les échelons. La crise des finances publiques, la spirale inflationniste qui a attrapé la Tunisie, le cri de détresse des citoyens et même du corps médical devant la dégradation des services de santé, le risque de faillite des caisses de sécurité sociale, la succession des tragédies de l’immigration clandestine… constituent des signes de la déliquescence de l’Etat tunisien, qui se montre de plus en plus incapable d’assumer ses mission essentielles. Le plus grave dans tout cela, est l’insouciance assassine qui a gagné toutes les sphères. Alors que le pays présente tous les symptômes d’un bateau ivre qui peut chavirer à tout moment, très peu prennent la peine d’exprimer un souci sincère ou de tirer la sonnette d’alarme afin d’administrer les bonnes thérapeutiques, non de se contenter d’expédients qui aggravent le mal plutôt que de l’attaquer à la racine. n
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