La dernière semaine de mai 2014 a débuté sous de bons auspices avec la décision du tribunal de Tunis de dissoudre les Ligues de protection de la Révolution — décision attendue par tous les démocrates et prise au grand dam des supporters d’Ennahdha et du CPR qui ont protesté —, l’enlèvement des barbelés qui défiguraient la plus belle avenue de la capitale, à la hauteur du ministère de l’Intérieur, l’arrestation à Medenine de 3 terroristes armés et équipés de ceintures d’explosifs et qui transportaient des munitions. Enfin les Tunisois allaient reprendre leur promenades et les touristes (potentiels) revenir sous nos cieux dans un pays calme.
Hélas ! Mercredi 29 sonna un réveil terrible, en pleine nuit, au milieu des feux d’artifice et des rafales de Kalachnikovs, pour les habitants de Kasserine. Une ville du “front”, au pied du Mont Chaambi, que le citoyen lambda croyait pourtant bien sécurisée avec des postes de police et de la Garde nationale, plus le district régional de la Garde nationale… et où quatre gosses de 20 ans, mal protégés par leur tenues de policiers, montant la garde autour de la maison familiale de leur ministre, se sont fait massacrer, à bout portant, par des terroristes descendus du djebel où ils sont planqués et bien armés… ceux-là même qui sont repartis, une fois leur horrible crime accompli, aussi tranquillement qu’ils étaient arrivés et sans être nullement inquiétés !
Le président de la République a décrété, comme c’est l’usage, un deuil national d’une journée, mais je pense qu’il aurait fallu décider une semaine entière de deuil national, afin que tous les Tunisiens se sentent concernés et puissent avoir le temps de réfléchir pour se persuader que la même chose peut se produire en n’importe quel point du pays et à n’importe quelle heure !
Le démocratie et la justice ont remporté une grande victoire avec la décision du tribunal de première instance de Tunis qui a ordonné le 26 mai la dissolution de la Ligue nationale de Protection de la Révolution et de toutes ses sections locales, avec “exécution immédiate et sans garantie ni prise en compte de l’appel”. Le tribunal a ainsi répondu à l’une des dispositions essentielles du Quartet.
Soutenus par les gouvernements de la Troïka, ces “protecteurs” de la Révolution ont multiplié leurs méfaits au cours de ces dernières années. On se souvient des attaques contre les sections des partis démocratiques dans les régions (bureaux brûlés ou saccagés), lors des déplacements des responsables de ces partis, notamment contre Néjib Chebbi au Kef et Béji Caïed Essebsi à Djerba, le tout couronné par le lynchage de Lotfi Neguedh à Tataouine et par l’attaque du siège de l’UGTT le 9 avril 2013. Et tout cela dans la plus complète immunité. On se souvient des déclarations fracassantes d’Imed Deghuij, telles que celle du 8 mars 2013 où il appelait à “incendier la ville de Ksar Hellal, coupable d’avoir fêté le 79e anniversaire du Congrès du Néo-Destour”, ou encore celle du 27 mars 2011 où il déclarait que “Nida Tounes n’ira pas aux élections, car nous saboterons ses meetings”, en parlant du scrutin du 23 octobre 2011.
Ce sont là leurs déclarations d’intention pour rendre invivable la campagne électorale des partis démocratiques à l’occasion des prochaines élections, législatives et présidentielle et c’est pour cela que la Quartet demandait leur dissolution pour pouvoir espérer une campagne électorale menant à des élections libres et transparentes. C’est maintenant chose faite et il faut féliciter le tribunal de Tunis de son courage. Mais il ne faut pas baisser la garde pour autant et rester vigilant, car les déclarations d’Imed Deghij à sa libération, le 26 mai dernier et l’accueil enthousiaste que lui ont réservé ses amis au Kram montrent que la leçon n’a pas été comprise, car “les forces de la Ligue seront groupées et son réseau sera élargi” pour continuer à s’opposer aux forces “anti-révolutionnaires”. On sait que l’organisation Ansar Charia, elle non plus, n’a pas “décroché” et renait sous le nom de “Chabab Ettawhid”… les forces de la société civile doivent veiller à ce que les Ligues ne réapparaissent pas sous une nouvelle dénomination, car elles ont encore de nombreux soutiens à l’ANC et à Ennahdha et ses partis annexes, notamment le CPR et Wafa.
Terrible aussi a été l’émotion, hier soir vendredi 30 mai, sur le plateau de Tounesna TV dans l’émission présentée par Hamza Belloumi, lorsqu’un citoyen de Kasserine, sorti de chez lui après l’attentat pour aller voir ce qui se passait, a raconté ce qu’il avait vu de la fin de l’opération et comment il avait donné à boire aux deux policiers blessés et récité avec eux la “fatiha”… Il a décrit la garage ensanglanté de la maison, où les policiers venaient de trouver la mort, criblés de balles et baignant dans leur sang, tandis que la production projetait le film pris sur les lieux du crime le lendemain matin. Il a insisté sur le retard de 45 minutes pour l’arrivée des secours. Nombreux étaient les présents sur le plateau qui ne pouvaient retenir leurs larmes, notamment Sahbi Jouini, du syndicat des sécuritaires UNSFS, bien connu des téléspectateurs pour ses interventions sur les plateaux de télévision et qui a rappelé un crime analogue qui s’est déroulé le 7 février 2014 à Jendouba qui avait causé deux morts et deux blessés à la Garde nationale, bien que le chef de poste ait été informé par un citoyen de la présence de 4 hommes en uniforme dans les rues de la ville, renseignement qui n’avait pas été pris en compte par ce responsable qui a été déféré depuis devant le juge d’instruction tandis que Sahbi Jouini avait été interrogé par la justice pour être intervenu le 19 février 2014 sur un plateau de télévision.
Arrivé en cours d’émission, Mohamed Ali El Aroui, porte-parole officiel du ministère de l’Intérieur, après avoir ramené à 25 minutes le retard des secours, reconnaissait que “des erreurs et des défaillances” avaient eu lieu dans cette affaire. Il a confirmé que des sécuritaires sont en prison à la suite de l’affaire de Jendouba et qu’une enquête allait être diligentée à la suite du massacre de Kasserine.
Dès le lendemain, les membres du Syndicat de la sécurité nationale à Kasserine ont manifesté leur colère dans les rues de la ville et ont chassé de son bureau le chef du district de la Garde nationale. Le ministre Ridha Sfar a déclaré à Shems FM que “les terroristes ont bénéficié d’une aide des terroristes algériens” et a annoncé qu’un des terroristes ayant participé à l’opération avait été arrêté.
Le 30 mai, dix-sept mandats de dépôt ont été signifiés à des individus impliqués dans l’opération. Il est évident qu’elle n’aurait pas pu avoir lieu sans les complicités de certains éléments de la population locale. Enfin, on apprenait hier soir que le chef de district de la Sécurité nationale et le chef de la zone de la Sécurité nationale ont été remplacés.
On s’attend à ce que d’autres décisions soient prises dans les prochains jours. Il est impossible que nos jeunes policiers et Gardes nationaux continuent à se faire assassiner de la sorte. Malgré le peu de moyens dont ils disposent, la société civile, tous les citoyens, doivent faire front contre ce danger fasciste.
Raouf Bahri