
Adel Ben Youssef
En un peu plus d’un mois, le nord de l’Algérie (Annaba et Bejaia) et le nord de la Tunisie (Bizerte et Nabeul entre autres) ont été frappés par des épisodes tragiques de pluies torrentielles ayant causé des dégâts incalculables et surtout de nombreuses pertes humaines ! Il faut souligner que nous avons assisté à une fin d’été exceptionnellement pluvieuse avec une activité orageuse particulièrement nourrie dans la mer méditerranéenne ! De nombreux épisodes s’apparentent à des tempêtes tropicales dans des zones habituées à des sécheresses exceptionnelles !
En moins de 20 ans, ce que nous croyons et prétendons dans les sphères scientifiques comme hypothétique sur les changements climatiques semble bien se dérouler sous nos regards et devant notre incapacité d’action ! Oui les changements climatiques sont bien là et ce type d’événements – (extreme weather events) – va qu’augmenter en fréquence et en intensité. On ne peut plus se cacher derrière les arguments à la Trump ! Pluies diluviennes, canicules sans précèdent, hivers extrêmement froids, élévation des niveaux de la mer, abeilles déboussolées…Les épisodes climatiques d’une extrême sévérité se succéderont dans un monde où le réchauffement climatique mondiale fait perdre la boussole à tous les écosystèmes.
Ce qui s’est passé dans le gouvernorat de Nabeul cette semaine, après les épisodes de Bizerte ou de Médenine l’an dernier, appelle la Tunisie (mais également les autres pays d’Afrique du Nord) à opérer un changement de cap à 180 degrés en matière de politique d’aménagement du territoire et d’infrastructures. Repenser nos villes, repenser le modèle de développement en prévision des futurs événements climatiques extrêmes est une urgence absolue. Par ce modeste post je recommande de s’attaquer à trois chantiers prioritaires et de dépasser la politique du « pompier » s’attaquant, par des meurettes aux urgence après avoir constaté les dégâts.Certes, il est urgent de panser les blessures, de réparer les dégâts moraux et matériels mais il est aussi urgent de s’attaquer à des chantiers prioritaires en prévision des nouveaux épisodes afin de sauver des vies dans le futur.
Un plan de réhabilitation des quartiers et des villes construites dans les zones inondables !
Depuis plusieurs décennies, mais plus particulièrement depuis la révolution de 2011, les constructions anarchiques sans aucun aménagement de territoire ont occupé prioritairement des zones inondables, des lits de rivières, des terres agricoles sont transformées en lots de construction sans des études d’impacts climatiques… Ceci a été favorisé par la croyance commune – que les épisodes de sécheresses seront la règle et que ces terrains ne verront plus une eau en grande quantité ni des pluies importantes. Dans une période caractérisée par l’absence d’une volonté politique de remédier à la situation, les autorités publiques ont été mises devant le fait accompli. Dès lors, maires, préfets, ministres et toute la chaîne de commandement ont cru bien faire en régularisant des situations critiques. Aucun d’eux n’a pensé qu’il sera pointé du doigt dans un futur proche. Dans un contexte d’impunité et où nul responsable n’a été jugé, aujourd’hui ces régularisations des constructions anarchiques se poursuit. Dès lors, nous nous trouvons dans une situation où des mini villes et des quartiers entiers sont dans l’irrégularité la plus complète aujourd’hui.
Compte tenu de la faiblesse du pouvoir local en ce moment, il est nécessaire de repenser de manière globale ces constructions et d’accorder une probabilité plus élevée à l’occurrence des événements climatiques extrêmes. Hier, on rasait les bidons villes pour proposer des logements décents aux citoyens, aujourd’hui il est du devoir de l’Etat de raser ces constructions de la mort et de proposer des solutions de substitution.
En Tunisie, l’habitat est caractérisé par deux traits. D’une part, plus de 80% des citoyens sont propriétaires de leurs maisons. D’autre part, 90 % de la population sont logés dans des maisons individuelles. Le rêve de tout tunisien c’est de posséder sa propre demeure et de manière indépendante. Cette valeur transmise de génération à génération a exercé une pression sur le foncier de sorte que l’on a transformé les terres agricoles en terres de construction. Dès lors nous avons limité la capacité de rétention des eaux des terrains agricoles voisinant les villes et par conséquent d’avoir un écoulement des eaux de surface moins rapide, moins abondante et moins dangereuse. Les inondations mémorables de Vaison-la-Romaine dans le Vaucluse en France il y a quelques temps en était liées au même phénomène.
Un plan d’action sur la prochaine décennie où une réhabilitation des lits des rivières, des cours d’eau, des bassins traversant des montagnes et des terres agricoles est une nécessité absolue. Ceci passe par un consensus politique et une coordination entre les autorités locales, régionales et nationales.
Un plan de récupération des eaux pluviales
L’écoulement des eaux pluviales pose un problème de taille dans presque toute la Tunisie. Aucune ville ne peut se targuer d’un plan d’écoulement digne de ce nom. Les infrastructures ont toujours été pensé avec des hypothèses qui ne sont plus d’actualité. D’une part, la pression démographique a changé et les villes ont des canalisations datant d’un demi-siècle. D’autre part, les écoulements des eaux pluviales dans de nombreuses villes empruntent les mêmes canalisations que les eaux usées. Dans de nombreuses villes et quartiers ayant subis des inondations – parfois mortelles – le simple changement de ces canalisations a permis de changer la donne. Ce qui nous interpelle, c’est la lenteur d’un changement global des circuits des eaux pluviales dans toutes les grandes villes tunisiennes. Cette lenteur d’adoption trouve partiellement son explication dans l’insatisfaction de la passation des marchés. En effet, les politiques de passation de marché où corruption est monnaie-courante ont conduit à de véritables désastres. Des infrastructures datant d’un peu de deux ou trois ans près qu’ils soient délivrés sont complètement hors d’usage ou fortement endommagés. La lutte contre la corruption déclarée en Tunisie ne s’est jamais déclarée sur ce segment qui a un impact vital sur la vie des citoyens.
Plusieurs actions pourraient inverser la tendance et améliorer la situation.
Premièrement, des rivières artificielles devraient faire leur apparition dans certains quartiers et dans les abords des grandes villes pour créer des circuits alternatifs d’écoulement des eaux. Elles pourraient même permettre leur récupération pour des usages agricoles ou pour les usages domestiques – après purification. Ces parcours alternatifs diminueraient l’intensité d’événements extrêmes et permettraient de sauver sans nul doute des vies et éviter les dégâts.
D’autre part, les particuliers ont leur mot à dire dans ce domaine. Le retour aux puits de récupération des eaux (les majels d’antan) devrait être au cœur d’une nouvelle politique de lutte contre les changements climatiques. Des subventions pour la mise en place de ces puits (majels) voir des bassins de récupération de quartiers permettant l’arrosage public des jardins serait d’une grande utilité. A terme, la montée en puissance de l’agriculture verticale (urbaine) pourrait nécessiter de récupérer ces eaux pluviales (un véritable trésor dans le contexte de la raréfaction de la disponibilité de l’eau).
Repenser les infrastructures et le développement des villes hors du littoral
La plupart des villes tunisiennes sont sur le littoral qui subit une pression urbaine forte conduisant à une perte accélérée de la biodiversité et des écosystèmes. Les villes côtières, comme Nabeul ont la majorité des infrastructures dans les abords des mers. L’image qui m’a marqué de ces inondations, est celle où la mer et les eaux de pluies ne faisaient qu’un seul fond uni s’étalant sur la ville. La promenade de Nabeul est détruite. Avec la montée des eaux, les épisodes orageux vont devenir plus dangereux du fait que les villes se trouvent dans une tenaille entre les eaux de mer et les eaux de pluies.
Nos villes se sont étalées essentiellement vers la mer et sur la largeur du littoral. Ceci a une conséquence non négligeable sur les parties potentiellement inondables. Les infrastructures (routes, autoroutes, chemins de fer, métro…) sont proche de la mer et dans la partie inondable). L’autoroute Tunis-Sousse a été inondée (comme à chaque épisode de pluie abondante). Les lignes du métro de Tunis sont inondées à chaque orage, les routes de bord de mer sont impraticables et dangereuses par temps de pluie.
Il est urgent de reprendre la main. Les infrastructures de base devraient sortir du littoral pour emprunter des circuits alternatifs amenant le développement de la ville hors du littoral. Durant la conférence internationale sur les Partenariat-Public-Privé, la Tunisie a présenté 33 projets pouvant conduire à réaménagement complet du territoire. Tous ces projets, y compris la ville administrative, devrait prendre en compte la donne des changements climatiques. Train à grande vitesse, Aéroports, futures universités, zone de commerce prioritaire… pourraient constituer un levier de développement des villes vers l’intérieur du pays et cesser la pression sur les écosystèmes du littoral.
Les changements climatiques sont une réalité avec laquelle nous devons vivre, en l’absence d’une solution globale négociée, ils imposent de repenser notre économie et nos modes de vie. Dans ce cadre le principe de précaution et des politiques audacieuses sont nécessaires. A titre d’exemple, en 2003, la France a été frappé par une canicule exceptionnelle. Sans préparation, elle a enregistré 15 000 morts. Un vrai génocide ! En 2018, après avoir mis en place un plan canicule et roder ses dispositifs la canicule n’a fait que 1500 morts ! les pertes humaines ont été divisé par 10. Le rôle de la politique publique consiste à anticiper et mettre en place des actions qui sauveront des vies dans le futur. Mais dans un pays où l’égoïsme conduit au fait que les trottoirs ne sont pas respectés, comment voulez-vous reprendre des terres pour l’utilité publique ? Une prise de conscience collective s’impose.
Adel Ben Youssef,