Suivre l’actualité politique en Tunisie donne le tournis et déroute les observateurs les plus avertis. Outre l’absence de repères, de débat public digne de ce nom et d’un rôle efficace de l’élite nationale, tout ce qui est en train d’être mijoté par toutes les parties en course pour les prochaines échéances électorales, laisse croire que le pays est voué à l’abandon par une classe politique habitée par les intérêts, obnubilée par la recherche de coalitions factices et aveuglée par des ambitions qui ne connaissent aucune limite, même si cela pourrait se faire au détriment des intérêts du pays, de sa sécurité, de son unité et de sa stabilité.
Dans cette guerre de tous contre tous, les cartes se trouvent plus que jamais brouillées, la visibilité devient nulle et tous les moyens sont utilisés pour vicier la vie politique et détourner l’attention de l’opinion publique des sujets qui l’interpellent au premier chef.
Au moment où le pays frôle la banqueroute, que ses entreprises vivent un calvaire insoutenable, et que son système de sécurité sociale est au bord de la faillite, ceux de la santé, de l’éducation et de l’enseignement sont défaillants, ses compétences poursuivent un exode interminable et le débat public continue à se focaliser sur tout ce qui est insignifiant. Depuis maintenant un an, le pays vit au rythme de la crise qui divise les deux têtes du pouvoir exécutif, d’un feuilleton interminable qui a transformé le parti du président de la République, en source de déstabilisation et de polarisation de la vie politique, d’un échange d’accusations ininterrompu et malsain, entre la gauche représentée par le Front populaire et Ennahdha, qui risque dans un avenir proche d’étendre ses tentacules partout et de devenir une force politique omnipotente dans le pays.
Plus les difficultés du pays gagnent en gravité et en complexité, plus le discours politique dérape vers le superflu, les questions creusent davantage les sillons de la discorde et les sujets condamnent le pays à ramer à contre-courant. C’est à ce niveau que l’on aperçoit le mieux l’incohérence de nos hommes politiques, prompts à jouer à fond la carte du pourrissement, sans se gêner outre mesure de leurs propres contradictions ou de la désaffection croissante d’une opinion publique qui a perdu toutes ses illusions.
C’est à ce niveau également qu’apparaissent leur impuissance et leur incapacité à discerner entre ce qui est essentiel et ce qui est accessoire. La poursuite de grandes manœuvres au sein de Nidaa Tounes, pour provoquer, coûte que coûte, une crise politique, au moment où il ne faut pas, et jouer un rôle disproportionné à son poids réel, n’étonne guère, mais provoque de plus en plus de dégoût, au regard d’un discours et de pratiques dénoncés publiquement par les militants de ce parti dans la plupart des régions du pays.
Il en est de même pour le processus long et lassant du remaniement de l’équipe gouvernementale. Constater que chacun cherche à placer ses pions et à influencer le choix des prochains locataires de certains départements ministériels, alors que le contexte exige d’agir vite et de constituer une équipe réduite ayant une mission de sauver ce qui peut l’être encore, renseigne fort sur les véritables visées d’acteurs résolus à assouvir leurs propres ambitions envers et contre tous.
Telle est la situation qui prévaut à l’Assemblée des représentants du peuple, où les élus ont vicié l’activité parlementaire et transformé cette institution en une bourse où tout s’achète et se vend, plutôt qu’honoré leurs engagements les plus pressants.
Le cercle vicieux dans lequel tous les groupes parlementaires sont en train de se débattre au sujet de l’élection des membres de la Cour constitutionnelle, du président de l’ISIE ou de l’accélération de la mise en œuvre d’autres réformes urgentes, donne la pleine mesure sur les priorités qui préoccupent des élus qui, quatre ans durant, ont brillé, beaucoup plus par la géométrie variable de leur appartenance politique, que par la qualité des propositions qu’ils formulent ou du débat qu’ils suscitent.
Dans cette confusion et ce brouillard qui règnent, les sujets qui pressent et préoccupent sont traités comme de simples faits divers. Le projet budget général de l’Etat et celui de la loi de Finances pour 2019 ne soulèvent ni intérêt, ni débat pluriel chez notre classe politique et encore moins chez nos élus préoccupés de chercher les meilleures pistes qui leur permettent d’assurer leurs arrières et leurs carrières.
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