Le secteur énergétique qui assume un rôle vital dans l’économie et la société tunisienne est aujourd’hui paralysé au niveau de la prospection et de l’exploitation.
Outre les sit-in, le secteur est rongé par des présomptions de corruption et des suspicions d’irrégularités juridiques. Le déficit énergétique se creuse, la production baisse de façon sensible alors que la consommation augmente. Aucun forage de puits n’a été fait depuis cinq mois et les nouvelles demandes de permis de prospection ou celles de prorogation n’ont pas connu de suite de la part de l’ANC, le Code des hydrocarbures a vieilli, il n’a pas été révisé pour s’adapter aux technologies du renouvelable. Le secteur est dans l’impasse. Comment donc s’en sortir ?
La production nationale de pétrole brut baisse de 8% par an pour la moyenne des dernières années. C’est ainsi qu’elle est passée de 2,68 millions de tonnes équivalent pétrole (TEP) en 2012 à 2,48 de TEP en 2013.
Aggravation inquiétante du déficit structurel
Cette régression est due à l’épuisement progressif des gisements classiques qui sont les plus productifs bien qu’en fin de cycle. De son côté, la production de gaz naturel baisse de 9% par an. C’est ainsi que la production est passée de 5,7 M de TEP en 2012 à 5,3 M de TEP en 2013.
Tandis que la consommation nationale d’énergie progressait d’environ 6% avant la Révolution c’est désormais beaucoup moins le cas depuis le 11 janvier 2011 à cause de la crise économique, mais aussi à cause de l’apport en ressources énergétiques de contrebande qui se développe rapidement. En conséquence, le déficit énergétique du pays, devenu structurel et croissant depuis l’an 2000, s’est aggravé de façon inquiétante. C’est ainsi qu’il est passé de 1,7 de TEP en 2012 à 2 M de TEP en 2013.
Il faut dire que l’État a accordé 43 permis de prospection à différentes compagnies pétrolières (dont cinq tunisiennes) et 22 forages sont en cours d’aménagement pour l’exploration.
Le sud tunisien est largement couvert par les permis accordés, mais la structure accidentée des couches géologiques, responsable de la pauvreté relative des couches géologiques est responsable de la pauvreté relative des découvertes énergétiques. C’est pourquoi les prospections s’orientent dorénavant vers le centre et le nord du pays avec plus de chance d’y trouver des gisements plus productifs et plus rentables.
Notre pays souffre d’une forte dépendance énergétique vis-à-vis des importations, ce qui coûte très cher à la balance des paiements. C’est ainsi que nous importons 60% de notre consommation en pétrole et 47% de notre consommation en gaz naturel, principalement d’Algérie.
Le gazoduc italo-algérien qui exporte le gaz saharien vers les pays de l’Union européenne donne droit à notre pays à une redevance de 5,75% par rapport au volume exporté. Or le volume du gaz exporté a baissé de 38% en 2012 à cause de la crise économique qui sévit en Europe.
2014 : aucun forage de puits durant cinq mois
Il y a lieu de constater que déjà en 2013 sept permis de prospection ont été supprimés et que durant les cinq premiers mois de 2014 aucun forage de puits n’a été réalisé, alors qu’en 2010 durant la même période trois puits ont été forés.
Cette situation s’explique par la poursuite et la multiplication des mouvements de protestation sociale qui ont un impact désastreux sur les activités de prospection et de recherche. Les compagnies pétrolières sont réticentes à engager les travaux dans un climat troublé par des grèves et des sit-in des populations locales qui réclament des emplois et exigent des recrutements en bloquant les voies d’accès aux chantiers.
C’est ainsi que plusieurs études sismiques ont été entravées, plusieurs forages de puits d’exploration et d’évaluation ont été retardés. Les compagnies craignent d’être obligées de recruter du personnel non qualifié et dépassant largement leur capacité sous la pression des populations locales et des mouvements de sit-in avec blocage des accès.
Aucun permis de prospection n’a été accordé par l’État aux compagnies en 2014 alors que les dossiers de demande ne manquent pas. Tout cela crée un climat de tension préjudiciable à la production.
L’impact de l’Article 13 de la Constitution
L’article 13 de la nouvelle Constitution fait l’objet de plusieurs interprétations. Il stipule que “les ressources naturelles sont la propriété du peuple tunisien, la souveraineté de l’État sur ces ressources est exercée en son nom.
Les contrats d’exploration relatifs à ces ressources sont soumis à une commission spéciale de l’énergie au sein de l’Assemblée des représentants du peuple. Les conventions ratifiées au sujet de ces ressources sont soumises à l’Assemblée pour approbation. Cela implique que les services de l’Administration doivent réaliser plusieurs conditions et garantir plusieurs facteurs pour la bonne marche du secteur.
Clarifier le cadre juridique tout d’abord, assurer la stabilité sociale aux compagnies dans les régions où elles sont actives et les encourager à prospecter ensuite, mais aussi mettre en place l’infrastructure nécessaire pour le transport de la production.
L’Administration doit aussi veiller à l’amélioration des incitations à l’investissement. Elle doit également identifier les ressources du pays et les stocks des hydrocarbures disponibles dans les grands champs pétroliers, mais aussi les zones non traditionnelles et “marginales.”
2014 : baisse de la production de 14%
Jusqu’à fin mars 2014 la direction générale de l’énergie a enregistré une baisse de 14% de la production d’énergie primaire par rapport à 2013, soit 1,5 million de TEP.
Mais une baisse de 29% par rapport à la même période de 2010. C’est ainsi que la production de pétrole a baissé de 11% et que la redevance du pétrole algérien a baissé de 58%. La production de gaz naturel a régressé de 2% par rapport à 2013, mais de 13% par rapport à 2010.
Il faut dire que les champs traditionnels sont en fin de cycle comme ceux d’Adam, de Cherouk, d’Ouedzar et de Didon dans le sud et qu’il n’y a pas de nouvelles découvertes importantes en la matière.
Il y a lieu de remarquer que deux puits ont été fermés en raison de problèmes techniques comme Laariche à Tataouine depuis le 21 mars 2014 et Cercina à Sfax depuis le 13 février 2014. Asdrubal et Ashtart ont connu aussi le même sort.
La problématique énergétique à l’ANC
La commission énergie de l’ANC a refusé la prorogation des permis d’exploitation de Zarat et Amilcar, faisant ainsi preuve de rigueur dans l’application de la réglementation en vigueur en la matière.
Elle a été saisie par l’Administration pour exprimer son avis concernant les permis de Franigh, Bakel et Borj El Khadra. Les réponses ne sont pas encore connues. Il faut dire que la commission subit des pressions de tous côtés, notamment de la part des partis politiques.
Pour ce qui est de la poursuite de l’exploitation du gaz par British Gas, l’enjeu de taille est celui de l’éventuelle poursuite de l’État tunisien par la compagnie britannique devant des juridictions internationales pour préjudices, avec à la clé un possible dédommagement encouru pouvant atteindre 200 millions de dollars US alors que British Gas est le plus important investisseur étranger en Tunisie.
Le plus important et le plus grave, c’est la lenteur avec laquelle l’ANC gère les questions énergétiques qui sont par définition urgentes et délicates. En effet, le risque sérieux et imminent est de voir la production énergétique baisser encore, de quoi atteindre zéro en 2020. L’interruption éventuelle de l’exploitation de certains permis accordés auparavant nécessiterait de nouveaux appels d’offres, donc des délais longs et une perte sèche au niveau de la production.
Il n’est pas concevable de retirer des avantages acquis par des compagnies en fonction de l’ancienne réglementation en vigueur et il y a lieu d’attendre l’échéance des accords signés pour renégocier.
La commission statue actuellement sur trois additifs relatifs aux demandes de prorogation des permis de recherche de quinze ans pour Perenco Tunisie et l’ETAP et concernant Douz/Bakel du 22 juin 2020 au 21 juin 2035 et autres concessionnaires.
La prospection, une affaire d’experts ou de politiques ?
Conformément aux revendications de la Révolution, à l’esprit et à la lettre de la Constitution, c’est le peuple qui doit décider de l’exploitation des richesses naturelles pour éviter toutes sortes d’abus et de dépassements.
Mais il faut reconnaître que l’octroi des permis ainsi que toutes les considérations relatives à la prospection du sous-sol et à l’exploitation des hydrocarbures sont l’affaire d’experts, d’ingénieurs géologues et de techniciens en pétrole, d’analyses et d’études sismiques et de dossiers techniques et financiers à éplucher, dotés d’une longue expérience et de plusieurs compétences. Il faudrait que les commissions et les experts décident et prennent leurs responsabilités.
L’intrusion du politique ne peut que brouiller les cartes et semer la confusion dans des dossiers épineux.
Le rôle de l’ANC est d’approuver rapidement, même s’il faut l’amender le nouveau Code des hydrocarbures qui doit prendre en considération les nouvelles conditions techniques et financières dans ce domaine.
Ridha Lahmar