Le Forum économique de Davos s’est déroulé comme tous les ans depuis janvier 1971 et a attiré 3000 participants parmi lesquels un grand nombre de leaders politiques, mis à part les présidents français, Emmanuel Macron, et américain, Donald Trump, qui se sont désistés à la dernière minute, chefs des grandes entreprises, de responsables de certaines grandes ONG globales et ce que compte la planète comme faiseurs d’opinion. Le Forum de cette année s’est déroulé dans un contexte marqué au niveau global par la montée des peurs, des inquiétudes et des interrogations, face aux mutations et aux grandes transitions de notre monde. Les raisons de cette inquiétude ne manquent pas : l’affaiblissement de la croissance globale en dépit des promesses d’il y a quelques mois, les bruits de bottes d’une guerre commerciale annoncée entre les Etats-Unis et la Chine et la montée au niveau politique des mouvements populistes et de la critique radicale du régime démocratique.
Dans ce contexte marqué par une grande incertitude sur l’avenir, le Forum a choisi pour thème à cette session « la globalisation 4.0 : Pour une nouvelle architecture mondiale au moment de la quatrième révolution industrielle » après avoir abordé au cours de l’année passée celui de la quatrième révolution industrielle. Ce sommet a mis à l’ordre du jour et au centre des débats publics la question de la globalisation 4.0 que les spécialistes commencent à aborder et à discuter depuis quelques années. Ce débat, s’il met l’accent sur les opportunités ouvertes par cette nouvelle ère de globalisation, souligne également les inquiétudes et les questionnements qu’elle soulève.
Mais, avant d’aborder cette dernière forme de la globalisation, revenons un peu à l’histoire pour retrouver les premières expressions d’échanges globaux. Rappelons que la globalisation n’est pas un phénomène nouveau et qu’elle remonte loin dans l’histoire. En effet, la première forme est apparue il y a près de 2000 ans avec l’apparition de la route de la soie entre l’Empire chinois et l’Empire romain qui a permis aux commerçants de transporter et d’échanger des biens de luxe produits par les artisans chinois pour décorer les palais de la bourgeoisie romaine. Ces premiers échanges globaux vont disparaître avec la chute des deux empires et la fin de la sécurité qu’ils assuraient aux commerçants et aux caravanes tout au long de cette route.
Cette première forme laissera la place à une seconde forme d’échange global qui est la route des épices qui permettra aux commerçants arabes de commercialiser les épices à partir d’Orient sur les marchés de l’empire musulman et de l’Europe. La domination de ces commerçants sera remise en cause avec l’ère des grandes découvertes et l’arrivée des expéditions maritimes comme celles de Christophe Colomb, et Magellan qui vont établir de nouvelles routes d’échanges entre l’Orient et l’Occident et de nouvelles routes pour la globalisation.
Mais, ces différentes formes d’échanges, en dépit de leur caractère global, n’ont jamais atteint des volumes importants. C’est partir du 19e siècle qu’apparaissent les formes modernes de globalisation qui vont influencer et façonner l’ordre global et devenir une composante essentielle du capitalisme mondial. La première forme ou la globalisation 1.0 va apparaître avec la révolution industrielle en Grande Bretagne et s’étendra jusqu’à la première guerre mondiale. Cette première phase va bénéficier des découvertes scientifiques et techniques et l’usage de nouvelles formes d’énergie qui vont se traduire par une hausse importante de la productivité et de la production et créer par conséquent un excédent par rapport à la demande des pays développés qu’il faut écouler sur les marchés internationaux. Cette globalisation profitera également du développement des moyens de transport qui vont faciliter les échanges internationaux. Mais, cette globalisation 1.0 ne sera pas exempte de toute critique et connaîtra la montée de l’aventure coloniale avec la marginalisation des pays colonisés et l’exploitation sans vergogne de leurs matières premières.
Cette globalisation 1.0 connaîtra ses limites avec les deux grandes guerres dont la violence entraînera la fin des échanges globaux. C’est après la seconde guerre que nous allons connaître l’émergence de la globalisation 2.0 qui mettra sous l’hégémonie naissante des Etats-Unis, les nouvelles formes de gouvernance de l’économie – monde et mettra en place les institutions pour gérer l’ordre global dont les Nations-Unies, la Banque mondiale, le FMI, le GATT qui se transformera plus tard dans l’OMC, le Bureau international du travail et bien d’autres institutions.
Si, cette nouvelle forme de globalisation a permis de relancer les échanges mondiaux mis à mal par les guerres, elle va connaître son essoufflement dès la début des années 1970 avec la multiplication des crises économiques, la fin de l’hégémonie du monde du dollar et de l’économie américaine et l’émergence de nouvelles puissances économiques globales comme les pays asiatiques, et plus particulièrement le Japon.
La globalisation 3.0 va apparaître à partir du début des années 1980 pour s’accélérer dans les années 1990. Et, si le commerce était au centre des premières formes de la globalisation, c’est la production qui va prendre le relais et qui sera au centre d’une nouvelle organisation où la délocalisation, l’out-sourcing et les chaînes de valeur vont se substituer aux vieilles formes d’organisation industrielle et productive. Mais, cette forme de globalisation va connaître ses limites au moment de la grande crise de 2008 et 2009 qui a failli emporter le capitalisme.
La globalisation 4.0 va se développer à partir de cette crise et bénéficie des transformations technologiques sans précédent que nous connaissons sous le poids de la numérisation et de l’intelligence artificielle. Ainsi, si les premières formes de globalisation vont toucher le commerce et la production, cette nouvelle vague va s’attaquer aux services. Beaucoup d’études ont montré les effets de cette nouvelle forme de globalisation et ses conséquences sans précédent sur les différents aspects de la vie quotidienne dont la santé, le transport, la production, la distribution et l’énergie.
Si cette nouvelle forme de globalisation a ouvert un monde d’opportunités, d’espoirs et de promesses, elle a néanmoins soulevé de grandes inquiétudes, des peurs et des appréhensions du fait de la montée des nouveaux défis. Le premier de ces défis concerne la montée des inégalités sociales et de la marginalisation qui sont au cœur des frustrations et de la colère qui s’expriment dans le monde à travers la montée du populisme et la remise en cause des sociétés démocratiques. L’autre inquiétude concerne la question du climat et les échecs répétés de la construction de coalitions globales pour faire face au réchauffement. Un autre motif de préoccupation est lié au contrôle et à l’utilisation des données personnelles qui commence à soulever des questions dans le fonctionnement des sociétés démocratiques.
En définitive si la nouvelle globalisation et la révolution technologique en cours ouvrent d’importantes perceptives de progrès et de promotion sociale, elles donnent naissance à de nouvelles inquiétudes qui exigent la définition de nouvelles solutions et d’un contrat global qui fait de l’égalité sociale, du développement durable et de la coopération, les nouveaux fondements de l’ordre mondial.
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