Etant en pleine campagne de sensibilisation avec des critiques qui fusent sur le travail de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), REALITES a trouvé judicieux d’aller regarder de près ce travail en interrogeant Khameyel Fenniche, responsable en communication et Mourad Ben Mouelli Vice-président de l’Instance et ancien de l’ISIE 1.
Tout d’abord, quelques mots sur le logo, l’emblème de cette campagne d’inscription
Khameyel Fenniche : Le signe a été proposé par l’agence de communication qui a été sélectionnée suite à l’appel d’offre lancé par l’ISIE. Ce logo avait retenu l’attention de l’ensemble du jury. L’idée c’était d’en faire l’objet d’un teasing, d’une campagne teasing révélation. On a trouvé que c’était assez percutant. Le but n’étant pas de plaire mais d’en faire un signe distinctif et un sujet de débat, de réflexions voire de polémiques. Les connotations du logo: ce sont le symbole d’une case côchée ou encore le V de victoire.
La procédure d’enregistrement n’est-elle pas compliquée, le centre de vote n’est-il pas difficile à trouver?
Khameyel Fenniche : Les médias diffusent à outrance les campagnes émotionnelles et non pas les tags qui sont didactiques et où il y a l’information qui concerne le citoyen. L’ISIE est consciente de ce biais et on doit rectifier le tir en mettant plus l’accent sur la pédagogie et l’information. On aurait pu se limiter aux modes d’inscription classiques comme c’était le cas en 2011 mais on a choisi effectivement une stratégie qui va vers l’électeur qui n’est plus obligé de se déplacer, les technologies de l’information et de la communication aidant. En ce qui concerne le téléphone mobile, tout d’abord il faut que la puce soit au nom de la personne susceptible d’élire.
Ensuite pour choisir le centre de vote, il s’agit de composer le 18 14, l’électeur aura ainsi l’occasion de parler à un téléopérateur qui lui proposera un lieu à sa convenance, dans le but de faciliter l’opération. Donc c’est la personne qui choisit à sa propre guise le centre de vote et la localité pendant la période des rendez-vous électoraux.
Si la procédure est aussi facile comme vous dites, comment expliqueriez-vous que vous avez atteint 52000 inscrits sur un potentiel de 4 millions d’électeurs potentiels?
Khameyel Fenniche : C’est vrai que le chiffre n’est pas à la hauteur de nos ambitions, mais n’oublions pas les raisons suivantes. Première raison, cette ISIE a en face d’elle la population la plus résistante aux élections […] c’est donc la population qui accuse le plus fort taux d’abstention. Donc je ne suis pas étonné des chiffres, l’abstention existe. Cette tranche est très difficile à sensibiliser.
Cette population est composée majoritairement de jeunes et de femmes ; nous avons des statistiques sur cette population. La deuxième raison est qu’une grande partie des citoyens des zones rurales ne sont pas en contact avec les médias ou regardent très peu la télévision.
Mourad Ben Mouelli : Que ce soit dans la phase de sensibilisation urbaine ou rurale, l’ISIE ne doit pas être livrée à elle-même. Son succès est celui de tous les partis ainsi que de la démocratie en Tunisie. L’ISIE est un arbitre qui facilitera le match pour tout le monde, elle ne doit pas faire l’objet de dénigrement permanent. Plus il y a d’électeurs, plus les partis qui vont gagner les élections seront légitimes aux yeux de l’opinion publique. Les médias doivent passer un message de confiance.
C’est facile aussi pour les personnes analphabètes ?
Khameyel Fenniche : Pour sensibiliser, l’ISIE met l’accent sur les images et très peu de texte pour que le message passe avec une émotion que tout un chacun quel que soit son niveau d’instruction peut saisir. L’idée de l’affichage c’est de montrer que la Tunisie est en pleine phase d’inscription nationale. L’ISIE est très sensible au fait que les personnes analphabètes au même titre que les handicapées puissent accéder à ce processus et doivent participer à la construction de la Tunisie démocratique où chacun à sa place et sa vision des choses.
L’accompagnement, en revanche, est interdit pour les personnes analphabètes. Donc les partis ne doivent pas intervenir dans l’influence du choix de cette catégorie d’autant plus que ces pratiques sont désormais interdites par la loi électorale. Le plus important pour nous est que le Jour J la personne analphabète a devant elle un bulletin de vote assez simplifié où l’information est claire avec des colonnes bien séparées afin de dissiper les confusions et les annulations de ce bulletin […].
Nous avons l’impression que la campagne est faite uniquement pour les régions favorisées ?
Khameyel Fenniche : Non. […] Hier on a fait une visite terrain au Kef […] le Kef par exemple était aux couleurs de l’ISIE. Tous les bureaux des municipalités, des délégations sont avec des affiches ISIE, l’information circule bien et il y a une très bonne visibilité. Venons-en maintenant au terrain. C’est pris en charge par des membres de la société civile mais aussi par des Instances régionales indépendantes pour les élections (IRIE).
On a mis, en outre, en place un code de conduite, un journal de bord qui comporte 30 pages, un mini guide de sensibilisation, les informations à diffuser, des retours sur expériences, une traçabilité de contacts. Tout cela est le dispositif mis en place pour les équipes du terrain, c’est opérationnel progressivement, certes avec quelques petits problèmes notamment au KEF mais cela fonctionne quand même.
Comment qualifieriez-vous votre relation avec ATIDE ?
Khameyel Fenniche : ATIDE est une association nationale dont le mandant principal est l'observation du processus éléctoral. Nous puisons à partir de ses remontées d'information, de ses veilles et de ses recommandations afin d'améliorer chacune de nos actions dans toutes les régions du pays.
Mourad Ben Mouelli : Le travail d’ATIDE, entre autres, peut intervenir dans le cadre de la sensibilisation en train de se faire. Cette association n’a pas de relation directe avec le siège de l’ISIE dans la mesure où nous avons donné la main aux IRIE. Ces instances connaissent bien les régions dans lesquelles elles interviennent ; elles ont besoin aussi d’associations ayant l’expérience dans les zones déshéritées et rurales. Aussi, la gestion logistique concernant les nombres des tentes, les lieux de sensibilisation,les caravanes dans les zones rurales revient à ces instances régionales. Elles collaborentde concert avec des observateurs tels qu’ATID, Mourakiboun, Jeunes sans frontières, etc. On a presque 200 associations prêtes à aider l’ISIE dans ses missions de sensibilisation de la population.
Ces associations sont-elles neutres ?
Mourad Ben Mouelli : ce n’est pas à moi de juger cela. Ce sont les gens qui sauront les juger. Je ne suis pas contre que les partis politiques interviennent même indirectement dans les campagnes de sensibilisation dans la mesure où celle-ci est au service de la réussite des prochaines échéances électorales. Si un parti fait de la mobilisation pour encourager les gens à aller voter cela ne peut être que bénéfique du moins que cela se fait avant le démarrage de la campagne électorale.
Ces actions vont-t-elles lutter contre l’abstention qui se manifeste par des actes de violence dans des régions de l’ouest ?
Mourad Ben Mouelli : vous posez le problème de la région de Béja, cela peut s’expliquer par le désintéressement des citoyens vis-à-vis de la sphère politique ce qui justifie en quelques sortes le nombre des inscrits du 23 juin jusqu’à présent. Mais ce qui est arrivé à Béja n’est pas un cas général permettant de déduire une tendance ; c’est un cas isolé.
En ce qui concerne la population des abstentionnistes, on touche en effet maintenant à la partie des électeurs potentiels la plus difficile et la plus incertaine. Jusqu’à hier (entendez le 2 juillet), on a enregistré 52000 électeurs qui proviennent de ces gens qui ne veulent pas voter. Il faut dire les gens ont marre de la politique.
Khameyel Fenniche : L’abstention n’est pas l’œuvre de l’ISIE. On ne peut pas lutter contre la résistance aux élections, ça c’est clair et j’insiste sur le fait que c’est la responsabilité de tout le monde et que personne ne peut pointer l’ISIE du doigt, uniquement l’ISIE, pour accuser ce fort taux d’abstention ou de résistance. C’est un problème du politique, c’est la sphère politique qui a suscité donc un état de méfiance et de suspicion etc. Et ça c’est un fait indéniable qu’on ne peut pas nier c’est clair et net. Depuis 2011, il y avait donc un état d’engouement, d’optimisme, un état où tout le monde désirait voter aujourd’hui ce n’est plus le cas on est bien conscient. Tous. Toutes les parties prenantes au processus électoral en ont conscience. Il faut tout un système pour lutter contre l’abstention qui commence par l’éducation, la culture, etc.
Les Tunisiens à l’étranger, comment peuvent-ils s’inscrire ?
Khameyel Fenniche : D’abord, ils peuvent faire comme ils l’on fait pour 2011 c’est-à-dire ils peuvent se déplacer auprès des bureaux d’inscription de leur lieu de résidence. Il y aura donc les instances à l’étranger, les ambassades, les consulats. Ils peuvent le faire à partir de la Tunisie s’ils sont déjà en vacances au pays jusqu’au 22 juillet. Troisième moyen, pour faciliter la tâche à certains, ils peuvent recourir à la plateforme web qui se trouve sur le site de l’ISIE (www.isie.tn) et qui s’appelle Touenssa disponible via ce lien https://touenssa.isie.tn
Mourad Ben Mouelli : il y a en effet un problème au niveau des inscriptions des Tunisiens à l’étranger, la question de la disponibilité des bureaux et des locaux où l’enregistrement aura lieu se pose avec acuité. Ces bureaux à l’étranger sont essentiellement des espaces consulaires et diplomatiques. Un problème d’horaire existe puisque les bureaux de l’ISIE dans ce cas doivent respecter les horaires en vigueur dans les consulats. Ces horaires peuvent varier mais sont de l’ordre de 4 heures par jour d’ouverture au public. Dans certains bureaux, il faut faire des centaines de kilomètres pour aller s’enregistrer. C’estle cas dans certains pays arabes ou encore le Canada par exemple. Par rapport à l’application internet qui est en effet une nouveauté pour cette campagne 2014 par rapport à 2011, il y a le problème d’identification de l’électeur évoqué par ma collègue ainsi que la mise à jour de la base de données des passeports.
Le dysfonctionnement de la plate-forme en ligne est-il récurrent ?
Khameyel Fenniche : Le problème internet quand il arrive est plutôt relatif au fait que quand le Tunisien à l’étranger tape son numéro de passeport le système lui renvoie parfois un message d’échec de l’opération indiquant : « vous ne pouvez pas vous enregistrer via le web ».
Donc à partir de là, l’électeur à l’étranger a la possibilité de s’inscrire de manière classique via les bureaux d’inscription. Autrement dit, le problème n’est pas forcément dû à l’application que l’ISIE a mise en place cela peut être un problème relatif à la base de données existante au Ministère des Affaires Étrangères (MAE). Et ça tout le monde ne le sait pas. Il faudrait le dire et le redire. Donc si le numéro de passeport n’est tout simplement pas enregistré dans la base de données du MAE c’est que la personne n’est pas authentifiée donc ne pourra pas s’inscrire en ligne. Il faut dans ce cas qu’elle aille au consulat pour enregistrer son passeport. Ainsi elle pourra s’inscrire sur place ou reprendre la procédure en ligne mais il faut qu’elle attende l’actualisation de la base de données en question.
La relation avec le CNI (centre national de l’informatique), votre base de données est-elle gérée par ce centre ?
Khameyel Fenniche : Non elle n’est pas gérée, elle est juste hébergée. La base de données est la propriété de l’ISIE et gérée pas les gens de l’ISIE. Personne du CNI ne peut toucher à la base de données de l’Instance. On a fait le transfert de données nécessaire. On a opéré à la sécurisation du système pour empêcher quiconque de rentrer sur ces données. Il n’y a aucun risque de manipulation.
Mourad Ben Mouelli : le CNI est notre partenaire stratégique. Depuis qu’on a mis les pieds dans le local de l’ISIE 2, les critiques ne s’arrêtent pas et en particulier celles qui portent sur les incidences de certains partis politiques sur notre travail. La vérité est tout autre, le PDG du CNI n’intervient pas dans le registre électoral. Depuis 2011, on travaille sur une base de données, c’est une avancée par rapport à beaucoup de pays. Dans cette configuration, l’agent ne peut faire aucune opération frauduleuse. La vérification se fait par la base de données elle-même. Aussi, on essaie de faire des recoupements avec le CNI pour actualiser les bases de données. Pour vous raconter une anecdote, j’ai eu un policier à la retraite sur l’avenue d’Habib Bourguiba, celui-ci me dit qu’il est désormais à la retraite et que pourtant il ne peut pas s’inscrire. Je lui ai recommandé de s’adresser au Ministère de l’intérieur qui facilitera la mise à jour de son profil auprès de la CNI. Donc notre relation est systémique avec la CNI. Le PDG du CNI ne peut pas donc faire des acrobaties et se permettre de manipuler le système.
Pourquoi le délai du 22 juillet pour la fin de la période des inscriptions ?
Khameyel Fenniche : On ne peut pas prolonger le délai en amont vu le retard qu’accuse la promulgation de la loi électorale. L’ISIE ne pouvait pas de toute façon anticiper cela. Tout avait été fait avec retard, n’oublions pas cela. L’ISIE travaille dans des conditions assez difficiles parce que le code a tardé à venir au même titre que les modalités qui gèrent l’inscription elle-même et c’est ce qui a différé finalement la campagne de sensibilisation et le déploiement de l’opération. Concernant une éventuelle prolongation en aval c’est-à-dire à partir du 22 juillet, l’ISIE a publié en effet son calendrier. Le processus électoral est comptabilisé au jour près si ce n’est à l’heure et que plusieurs étapes se chevauchent jusqu’à la proclamation des résultats finaux des élections législatives et présidentielles ; cette hypothèse n’est donc pas envisagée, le temps ne le permet pas.
Propos recueillis par Mohamed Ali Elhaou