Décidément, la Chine inquiète et fait trembler la planète lorsqu’elle va bien… mais lorsqu’elle va mal aussi. Depuis qu’elle occupe la position stratégique qui est devenue la sienne dans l’économie mondiale et qu’elle est la seconde puissance économique mondiale derrière l’économie américaine, plusieurs économistes et analystes pronostiquent qu’elle dépassera le pays de l’oncle Sam dans un horizon relativement court. En effet, l’empire ne cesse de susciter hantises, peurs et angoisses. Pour certains, c’est la fin de l’hégémonie du monde occidental et la Chine finira pour dominer le monde qui se tournera vers l’Orient. Cette peur et ces inquiétudes par les performances économiques et commerciales de la Chine lui ont permis de sortir de la pauvreté et de la marginalité et en ont fait une des plus grandes puissances de notre monde. Cette résurgence de l’ogre chinois ne se limite pas seulement à ses performances économiques et financières mais aussi technologiques avec les investissements importants dans le domaine de la recherche et de l’innovation qui lui ont permis d’effectuer des avancées fracassantes dans le domaine des industries 4.0 et des nouvelles technologies. Pour les héritiers de l’ancien ordre capitaliste, le monde est en danger dans la mesure où la Chine est en train de bouleverser de manière radicale l’ordre qu’ils ont façonné depuis le siècle des Lumières et des révolutions, et de mettre fin à leur hégémonie.
C’était le cœur du message servi par les pays occidentaux il y a quelques mois, lorsque la Chine était en haut de sa superbe économique et financière. Et, ces pays sous la conduite des Etats-Unis cherchaient à limiter l’accès de la Chine aux nouvelles technologies, comme c’est le cas récemment pour la nouvelle génération 5.0 de téléphonie mobile, ou effectuer des pressions fortes pour lui imposer une plus grande ouverture de son marché.
Or, cette attitude a aujourd’hui changé de manière radicale. Si l’inquiétude et la crainte vis-à-vis de la Chine sont encore présentes, les motifs ont changé fortement. Et, ce n’est plus la bonne santé de l’économie chinoise qui inquiète l’économie mondiale et les pays développés mais la détérioration de ses performances économiques. En effet, l’économie de l’empire du milieu n’est plus au mieux de sa forme. Désormais, les performances sont nettement en dessous de celles enregistrées lors de cet âge d’or de l’économie chinoise et la croissance annuelle de l’année 2018 s’est située autour de 6,6% et devrait être moins marquée selon les projections pour l’année en cours. Des chiffres bien loin des performances des années antérieures et que certains remettent en cause, expliquant qu’elle n’a pas dépassé, une moyenne de 2% au cours de l’année passée, jetant le doute sur le sérieux et la rigueur des statistiques officielles.
La baisse de ces performances, ou ce qu’on appelle aujourd’hui le « new normal » ou la nouvelle normalité et qui désigne l’atterrissage en douceur de l’économie chinoise est à l’origine d’une montée du chômage. Plusieurs études ont montré qu’un seuil de croissance de 7% était nécessaire pour absorber tous les nouveaux venus sur le marché de l’emploi. Aujourd’hui la baisse de la croissance en dessous de ce seuil a été à l’origine d’une augmentation du chômage en Chine avec un taux qui est passé de 4,9% en fin d’année 2018 à 5,3% à la fin du mois de février.
Mais, la grande inquiétude aujourd’hui concerne les effets de cette nouvelle normalité sur l’économie mondiale. En effet, plusieurs études ont mis l’accent sur ce rôle et indiquent que sans cette contribution essentielle dans la croissance mondiale, le monde aurait connu une déflation aussi forte que celle au lendemain de la crise des années 1930 après la grande crise financière de 2008 et 2009. Aujourd’hui, selon les dernières estimations de l’OCDE, l’empire du milieu représente 15% du PIB global et 10% du commerce international. Ce poids grandissant dans l’économie mondiale explique les craintes des pays développés et des institutions internationales de cette nouvelle normalité chinoise et l’OCDE de renchérir qu’une accélération de cette décélération pourrait coûter à l’économie mondiale 0,4% de croissance. Ces estimations sont d’autant plus inquiétantes que l’économie mondiale piétine et éprouve les plus grandes difficultés à retrouver son rythme de croisière d’avant la grande crise financière globale.
Plusieurs pays seront touchés par cette nouvelle normalité de la croissance chinoise. Les premiers d’entre eux sont les pays voisins, notamment Taïwan, la Corée du Sud et la Malaisie dont les nouveaux secteurs industriels, et particulièrement les nouvelles technologies, sont fortement intégrés à la Chine et exportent un grand nombre de composants qui sont intégrés dans les biens chinois. La seconde catégorie de pays qui sera touchée par cette décélération de la croissance chinoise concerne les pays exportateurs de matières premières affectées par la baisse de la demande chinoise. Les pays développés ne seront pas épargnés par cette nouvelle normalité et seront également touchés par la baisse de la croissance chinoise.
Les autorités chinoises se sont attaquées à cette nouvelle normalité et ont cherché à renouer avec une croissance forte. Le nouveau maître de la Chine, Xi Jinping a repris à son compte le grand objectif fédérateur fixé par Deng Xiaoping de doubler le PIB au cours de la décennie 2010-2020 à son arrivée au pouvoir en 2013. Mais, dans ses efforts de relance, le gouvernement chinois s’est éloigné du quantitative easing et des politiques monétaires compte tenu du niveau élevé de l’endettement estimé à plus de 200% du PIB. C’est la politique fiscale qui se chargera de mettre l’économie chinoise sur les rails. Ainsi, le gouvernement chinois a pris une série de mesures dans l’objectif de relancer l’économie, dont la baisse des charges sociales et la baisse de la TVA qui est passée de 16 à 13% à partir du 1ier avril 2019.
Mais, cette politique fiscale accommodante est loin de convaincre les experts et les spécialistes qui ont des doutes sur sa capacité à relancer la croissance. Ces doutes sont d’autant plus importants que le gouvernement a décidé de maintenir son déficit fiscal à 2,4% pour l’année 2019. Signe des temps et de cette prudence de la politique fiscale, l’augmentation des dépenses budgétaires a été de 9,6% pour faire face à la grande crise globale de 2008 et 2009 alors qu’elle ne sera que 1,8% au cours de l’année en cours.
Clairement, l’empire du milieu est en train de sortir d’une période faste de son histoire économique et la nouvelle normalité est à l’origine de grandes inquiétudes sur l’avenir de la croissance globale. Et ainsi, quand la Chine commence à trembler… le monde commence à paniquer.
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