Jamais la République tunisienne n’aura été aussi menacée dans son histoire moderne. Les fondamentalistes djihadistes lui ont déclaré la guerre en menant des attaques terroristes. L’accession au pouvoir d’Ennahdha a fragilisé l’État puisque le mouvement a permis à des centaines d’associations et d’écoles coraniques d’exister, dont « l’œuvre » n’a été, le plus souvent, qu’un endoctrinement antirépublicain. Le gouvernement a aussi perdu le contrôle sur de nombreuses mosquées devenues lieux de prêches de haine et de djihad contre la République en premier lieu. Ennahdha a aussi accordé l’existence légale à des partis islamistes dont l’objectif, ouvertement déclaré, est de détruire l’État dans sa version moderne et républicaine et d’édifier sur ses décombres un Califat, à savoir le Hizb Ut-tahrir, la permission d’œuvrer en toute légitimité… Ce dernier serait-il un loup dans la bergerie ?
L’avertissement gouvernemental a été adressé au parti suite à son congrès tenu le 22 juin 2014 au palais des congrès à Tunis. L’évènement a été organisé sous le thème «Instauration du Califat et destruction du colonialisme, les étapes pratiques». Le congrès a compté plusieurs dépassements. Le porte-parole du Hizb Ut-tahrir, Ridha Belhaj, a tout de suite fustigé le gouvernement, qualifiant d’“illégal” l’ultimatum qui a été adressé à son parti, menaçant de porter plainte contre lui puisqu’il «qui n’avait pas les prérogatives de lui adresser un ultimatum». Ridha Belhaj accuse, par ailleurs, la démarche d’obéir à la volonté de l’Occident et d’autres partis politiques et d’être non provoquée par le propre manquement de son parti à la loi. Rappelons que le parti avait obtenu son visa le 17 juillet 2012, accordé par le gouvernement de Hamadi Jebali, et ce malgré les visées antirépublicaines que le Hizb Ut-tahrir prônait sans ambiguïté dès le départ. Ridha Belhaj le rappelle par ailleurs dans sa réponse faite au gouvernement Jomâa en soulignant avoir été clair «sans hypocrisie, ni masques» en ce qui concerne l’identité intellectuelle et politique du parti. Quant à la Constitution, le Hizb Ut-tahrir avait présenté dès le début la sienne «en outre on leur a présenté une copie de la Constitution que l’on a adoptée», déclare Ridha Belhaj.
Hizb Ut-tahrir, ennemi de la République ?
L’article 3 de la loi provisoire du 24 septembre 2011 relative aux associations et aux partis politiques stipule «Art. 3 – Dans le cadre de leurs statuts, activité et financement, les partis politiques sont tenus de respecter les principes de la République, la primauté de la loi, la démocratie, la pluralité, l’alternance pacifique au pouvoir, la transparence, l’égalité, la neutralité de l’administration, des lieux de culte et des services publics, l’indépendance de la justice et les Droits de l’Homme tels que définis par les conventions internationales ratifiées par la République tunisienne». Il existe dans cet article trois points que le parti ne respecte pas. Le premier, concernant les principes de la République. Or le parti appelle et œuvre à l’instauration du Califat. Cela implique le refus des élections en premier puisque le califat se fonde sur la nomination du calife par une élite, un conseil, sans prendre en compte la volonté du peuple. Inutile de rappeler que le mandat d’un calife dure à vie, quelle que soit sa tyrannie et l’histoire arabo-musulmane le confirme, avec ce que cela engendre comme intrigues, assassinats, guerres fratricides et civile. Le Hizb Ut-tahrir déclare par ailleurs avoir le projet d’interdire la création des partis politiques une fois au pouvoir. Le deuxième point se rapporte à la neutralité des mosquées et des endroits de culte, car dans l’idéologie du Hizb Ut-tahrir, la mosquée régit le spirituel et le politique et cette dernière doit être inspirée par la religion et lui obéir.
Quant aux Droits de l’Homme tels que les stipulent les conventions internationales, le Hizb Ut-tahrir les rejette, car les lois devraient être divines, inspirées par la charia et non pas l’œuvre d’un travail humain.
L’article 4 de la même loi interdit «aux partis politiques, de s’appuyer dans leurs statuts, communiqués, programmes ou activités sur l’incitation à la violence, la haine, l’intolérance et la discrimination fondée sur la religion, la catégorie, le sexe ou la région» et le Hizb Ut-tahrir œuvre pour un califat réinstaurant le «dhimmisme» et partageant la population entre une partie musulmane et une partie non musulmane dont les droits et devoirs différent et dont la suprématie de la première ne peut qu’approfondir la discrimination envers la seconde, même si le porte-parole Ridha Belhaj avait déclaré soutenir les droits des minorités religieuses.
Dans son ultimatum, Mahdi Jomâa se base sur l’article 28 stipulant «pour toute infraction aux dispositions des articles 3, 4, 7, 8, 9, 16, 17, 18, 19, 22, 23, 24, 25, 26 et 27, le parti politique encourt des sanctions conformément aux procédures suivantes :
1- La mise en demeure : le Premier ministre établit l’infraction commise et met en demeure le parti sur la nécessité d’y remédier dans un délai ne dépassant pas trente (30) jours à compter de la date de notification de la mise en demeure.
2- La suspension d’activité du parti politique : si l’infraction n’a pas cessé dans le délai mentionné au premier paragraphe du présent article, le président du tribunal de première instance de Tunis, à la demande du Premier ministre, décide la suspension des activités du parti pour une durée ne dépassant pas trente (30) jours. Le parti peut intenter un recours contre la décision de suspension d’activité conformément aux procédures de référé.
3- La dissolution : elle est prononcée par un jugement du tribunal de première instance de Tunis à la demande du Premier ministre, et ce, au cas où le parti n’a pas cessé l’infraction malgré sa mise en demeure, la suspension de son activité et l’épuisement des voies de recours contre la décision de suspension d’activité.
Les procédures judiciaires relatives à la dissolution du parti et à la liquidation de ses biens sont régies par les dispositions du code des procédures civiles et commerciales.»
Ainsi et par la loi, le Hizb Ut-tahrir devrait être dissous s’il ne changeait pas de doctrine et pourtant, dans un communiqué publié récemment et relatif aux élections, le parti persiste et signe en déclarant que le fondement de l’État tunisien doit être bâti uniquement et exclusivement fondé sur l’Islam. Dans le même communiqué, il évoque, en parlant des attentats terroristes, un «complot» orchestré entre autres par des services de renseignements étrangers visant à empêcher Ennahdha d’accéder de nouveau au pouvoir et à faire avorter l’organisation des élections.
Comme beaucoup d’autres courants idéologiques, le Hizb Ut-tahrir se base toujours dans son appel aux citoyens sur la théorie du complot. Il explique que tout ce qui arrive dans les pays arabo-musulmans est l’œuvre d’une conspiration occidentale alimentant ainsi la haine de l’autre et son refus et essayant de donner à son modèle d’État une légitimité inspirée de la supposée gloire d’antan. Dans l’endoctrinement qu’il exerce, le Hizb Ut-tahrir donne une version glorieuse et fantasmée de l’histoire du Califat, omettant souvent les périodes de déchirement et de guerres inter-califes ayant ponctué cette période, ou alors l’expliquant par la théorie du complot étranger (juifs, chrétiens…). Alaya Allani, historien spécialiste dans les mouvances islamistes, précise quant à l’époque du Califat que «le problème est que les courants islamistes Frères musulmans et salafistes ne font pas la différence entre l’islam historique et l’islam religieux. L’islam historique est constitué par les expériences de gouvernance comme le califat et elle n’est pas l’un des fondements de la religion, mais seulement une expérience qui peut réussir ou pas. Dans l’histoire de l’islam, l’expérience du califat n’avait réussi qu’à l’âge d’or de l’État abbasside et ensuite il est devenu un régime despotique sans contenu culturel, ni de civilisation. Aujourd’hui, le califat ne peut être un régime de gouvernance auquel aspirent les peuples.»
Le parti, né en 1980, comme filière tunisienne de l’organisation mère Tahrir, dont le pays natal est la Jordanie et existant depuis les années 20, prône par ailleurs l’instauration d’un califat s’étendant sur l’ensemble du territoire arabo-musulman et ne reconnaît point les frontières établies entre les pays, accusant la colonisation de les avoir créées. Il ne reconnaît pas non plus l’État-nation.
Alaya Allani résume par ailleurs les idéologies du Hizb Ut-tahrir constituant des infractions. «Les plus importantes des idéologies, au nombre de trois sont : le refus du parti de se soumettre à la démocratie et aux valeurs républicaines, à la suprématie de la loi, «une loi instaurée par les hommes» et le refus du parti du principe de l’État de droits et des lois, de l’État civil, ainsi que l’utilisation des mosquées pour faire la propagande de ses positions. La différence est ainsi de fond, entre la loi provisoire organisationnelle des partis et les principes de base du Hizb Ut-tahrir concernant son refus de la gouvernance du peuple et son refus du régime républicain opposé au califat. Rappelons que le Hizb Ut-tahrir se met d’accord avec le courant des Frères musulmans et le courant salafiste concernant l’utilisation des mosquées. Ennahdha accorde aux mosquées un rôle religieux et un rôle de mobilisation, le Hizb Ut-tahrir et le courant djihadiste considèrent l’espace de la mosquée comme le centre depuis lequel est entamé le travail politique. Tous ces courants s’associent dans l’idée que l’État islamique est un régime de vie concerné par tout ce que fait l’humain avec Dieu, avec l’État et avec la société. Le Hizb Ut-tahrir a, par ailleurs, intensifié dans les deux dernières années ses activités au sein de la mosquée en y tenant des discours politiques partisans nuisant ainsi à la neutralité des mosquées.»
Le Hizb Ut-tahrir prône néanmoins une lutte pacifiste pour instaurer le changement, il est plus proche du salafisme réformiste que du salafisme prédicateur ou du salafisme djihadiste sans néanmoins être l’ennemi de l’un ou de l’autre.
Hajer Ajroudi
Les courants salafistes
Le mot salafisme en arabe «as salafiyya» veut dire ancêtre et prône par ce sens le retour à l’Islam connu et appliqué sur les niveaux social et politique à l’ère du prophète et des deux générations lui ayant succédé.
Renaissance de l’islam et retour à la foi des origines, celle des «pieux prédécesseurs» sont les objectifs des courants salafistes. Ils rejettent tout ce qu’ils perçoivent comme des interprétations humaines postérieures à la révélation de Mohamed (PBSL). Il s’agit donc d’un mouvement réformiste condamnant à la fois les pratiques de l’islam populaire jugés superstitieuses ainsi qu’une grande partie de la réflexion théologique musulmane, considérée comme porteuse d’«innovations», c’est-à-dire de créations de la raison humaine s’éloignant du message divin. Les salafistes refusent également toute influence occidentale, en particulier la démocratie et la laïcité, qu’ils accusent de corrompre la foi musulmane.
Le salafisme de prédication :
Il se base en effet sur la prédication d’une foi «corrigée» et d’une réislamisation progressiste au sein des sociétés musulmanes plutôt qu’imposée par la volonté politique. Sa stratégie est constituée par l’éducation et par la purification. De la piété de la société naîtra alors un changement politique.
Ce courant critique les salafistes djihadistes à propos des attentats-suicides considérés contraires à l’islam ainsi que des attaques contre des civils et les Frères musulmans accusés de ne pas suivre une pratique authentique de l’Islam en transformant leurs pratiques religieuses, d’oublier le principe du monothéisme et de préférer le pouvoir. Ils sont accusés de prôner un islam mondain.
Le salafisme djihadiste
Il se fonde sur la lutte armée pour renverser les régimes arabes et libérer les pays arabo-musulmans de la présence étrangère afin d’y instaurer un régime politique islamique radical. Né dans les années 80 en Afghanistan, le mouvement luttait alors contre la présence soviétique. Il s’est structuré autour d’Abdallah Azzem, cheikh d’origine palestinienne. À la fin des années 1960, Abdallah Azzam, jeune instituteur, avait rejoint un camp d’entraînement, le camp des cheikhs installé dans la vallée du Jourdain à l’époque des infiltrations des fedayin palestiniens en Cisjordanie. Dans les années 1970, alors qu’il était membre du bureau politique de la branche jordanienne des Frères musulmans, Abdallah Azzam est nommé professeur de charia à l’université jordanienne et s’appuie dans son enseignement sur l’œuvre de Saïd Qotb, l’idéologue islamiste disant que les sociétés musulmanes contemporaines étaient retournées à l’ère préislamique de l’ignorance. Démis de ses fonctions en 1979, Azzam se rend au Pakistan après un bref séjour en Arabie saoudite et crée au début des années 1980 un «bureau des services» – sorte de brigades internationales musulmanes pour tous ceux qui souhaitent combattre le «cancer communiste» en Afghanistan — et devient ainsi le théoricien mondial du djihad afghan
Le salafisme politique et réformiste
Apparu dans les années 1990 en Arabie saoudite. Dans les années 70, des centaines de militants des Frères musulmans d’origine syrienne ou égyptienne sont recrutés pour des postes d’éducation de l’Arabie saoudite, contribuant ainsi à la politisation d’une nouvelle génération de jeunes saoudiens. Cette génération du «réveil islamique», incarnée par les cheikhs Salman al-’Aouda et Safar al-Hawali, a engendré une vive contestation interne du pouvoir saoudien sans arriver à la violence.
H.A