Tuer un homme, l’assassiner dans un moment de rupture du jeûne, est un acte qui ne fait qu’augmenter la haine populaire contre ces assassins terroristes. Le crime odieux commis contre nos quinze soldats assassinés lâchement le mercredi 16 juillet à 19 h 45 par des criminels qui se revendiquent de je ne sais quel islam, sont devenus une icône dans la mémoire collective des Tunisiens et ces lâches assassins sont tout simplement honnis et méprisés.
Au-delà de la dimension affective et de la solidarité absolue que tout être libre refuse de tels agissements le moins que l’on puisse dire primaires, barbares et inhumains et ne répondent à aucune déontologie, on s’interroge tout de même sur ce ciblage de par le moment choisi, l’objectif assigné et les raisons des lenteurs des instances officielles à parer d’une façon méthodique et irréversible à ce phénomène qui ne cesse de prendre de l’ampleur qu’est le terrorisme.
Un lâche assassinat
Incapables d’affrontements d’homme à homme, les terroristes usent d’un stratagème de guerre des bandes et des rues, l’effet de surprise, tout en choisissant un timing et un lieu qui sont autant d’atouts dans cette guerre asymétrique.
Le bilan de l’attaque terroriste perpétrée au Châambi s’est élevé à quatorze soldats tués jeudi et un disparu retrouvé mort samedi ce qui porte le nombre à quinze et vingt-quatre blessés. Cette attaque fut revendiquée par la katiba (brigade) Okba Ibn Nafaa. Ces nominations génériques n’ont pour but qu’un effet psychologique : semer la terreur et faire croire à l’existence d’une branche armée organisée. Mais il faut avouer que l’utilisation à la fois de roquettes et de grenades ont alourdi le bilan, surtout que les deux points visées étaient fixes et que la vigilance au moment de la rupture du jeûne est à son plus bas niveau. La revendication a été faite sur la page officielle de cette organisation Okba Ibn Nafaa, qui a indiqué que des affrontements sont en cours entre les «taghout» tunisiens et les «djihadistes» d’Okba Ibn Nafaa.
Des failles à répétitions : que faire ?
On se rappelle très bien de l’attaque de la maison du ministre de l’Intérieur où ces terroristes ont eu toute latitude de perpétrer leurs crimes pendant 40 minutes en attendant les renforts des forces de la sécurité afin de les cibler par des roquettes . Ils ont répété le même scénario et de surcroit dans une zone militaire fermée. Où se situent donc les failles?
Nous pensons qu’il y a une sous-estimation du rôle des populations limitrophes qui soutiennent le terrorisme pour des raisons idéologiques et surtout économiques ; la contrebande y étant pour beaucoup. Ces éléments, estimés entre 40 à 60 membres, ne venaient certainement pas tous des montagnes limitrophes, une grande partie venait des villages voisins et bénéficiait d’une logistique sans faille. S’il y a des membres algériens, peut-on penser à la complicité des deux camps au niveau de la frontière, le soutien et l’hébergement du terrorisme et se demander si l’Algérie fait assez de son côté ? Que faisaient nos services de renseignements et existe-t-il réellement une coordination, non pas celle que l’on voit dans les bureaux de crises, mais entre les éléments des trois corps sur le terrain ? Car chaque corps pourrait venir à la rescousse de l’autre sans attendre les fameux ordres. D’autre part on parle beaucoup de coordination dite de «bureau» et qui ne se traduit pas d’effet sur le terrain entre les trois corps : Armée, Police, Garde nationale. Car pour agir sur le terrain par exemple, entre montagne, villages et villes, dans les trois cas on se retrouve dispersé et dans la nécessité de relayer l’information et de coordonner l’action sur le terrain par les agents qui doivent parfois agir dans la minute près. Or, face aux ordres impératifs de chaque corps, il faudrait à chaque décision d’intervention revenir à la hiérarchie afin d’obtenir l’aval et la décision d’agir, ce qui retarde énormément la réactivité de nos forces. Et c’est là le véritable problème de terrain qui explique les lenteurs d’intervention et d’action contre les éléments terroristes.
Centraliser la lutte antiterroriste d’amont en aval dans un seul corps qui recueille les informations, en ayant toutes les prérogatives et les moyens d’agir dans le cadre d’un seul commandement opérationnel, cette chimère réalisée dans des pays évoluée, peine à trouver sa place chez nous.
Nous avons adressé plusieurs plaidoiries dans les pages de ce magazine afin d’unifier le commandement et la menée des opérations… Rien n’y est fait ! Devrions-nous à chaque fois payer le prix du manque de courage politique afin d’asseoir définitivement non pas un pôle antiterroriste, mais une Agence pour la sécurité nationale ? On ne le répétera jamais assez, car vu les secousses et les menaces à la fois intérieurs, régionales et internationales on devrait orienter notre réflexion vers une pensée stratégique et non tactique comme il se produit actuellement.
D’autre part et afin de faire face aux assises du terrorisme, il faudrait se pencher sur une approche non seulement sécuritaire qui est parfois insignifiante, mais plutôt éradiquer cette plaie par le savoir, la culture, le sport, les loisirs et des projets économiques viables. Aussi l’absence de sentiment patriotique et l’appartenance à cette terre ancestrale avec ses symboles : drapeaux et emblèmes nous pousse à nous demander comment stimuler ce sentiment dès le plus bas âge, car c’est précisément ce sentiment qui va protéger la Tunisie et fera barrage aux théories d’extra-territorialité au mépris du sentiment national.
Tant qu’on n’a pas tenté de s’attaquer aux assises psychologiques et sociales du terrorisme et ceux qui l’hébergent, le nourrissent, le financent, le soutiennent et lui offrent tous les moyens logistiques, c’est-à-dire le terreau du terrorisme, notre bataille sera perdue, car elle n’aura fait que s’attaquer aux symptômes et non aux origines du phénomène.
Les mesures prises, trop peu, trop tard
En riposte à cette lâche attaque, le gouvernement réuni au Palais du gouvernement à la Kasbah, le samedi 19 juillet, a pris une série de mesures urgentes au nombre de six.
– Fermeture immédiate des mosquées hors contrôle du ministère des Affaires religieuses jusqu’à la nomination de nouveaux responsables de ces mosquées par le département de tutelle.
– Fermeture immédiate des mosquées au sein desquelles ont eu lieu des manifestations de sympathie avec les terroristes qui ont attaqué et tué quinze soldats tunisiens au Mont Châambi à Kasserine
– l’arrestation de toute personne qui a «célébré ce drame et toute personne qui a tenu un discours séditieux via les médias»
– La fermeture des pages créées sur les réseaux sociaux, dont les contenus sont provocateurs et incitant à la violence, au terrorisme et celles accusant autrui d’apostasie.
– Fermeture des radios et télévisions non autorisées, dont les tribunes médiatiques sont devenues ouvertes aux discours accusateurs d’apostasie
– Poursuite judiciaire de toute personne, groupe, parti ou institution, qui mettent en cause la crédibilité des institutions sécuritaires et militaires et qui portent atteinte à leur dignité et qui seront exposées à des poursuites judiciaires.
Radio Nour FM, connue par son discours salafiste et radicale a cessé d’émettre. Il est à noter aussi que le contrôle maritime a été renforcé pour arrêter des embarcations servant à l’émigration clandestine et surtout pour parer à la fuite d’éléments terroristes et dangereux. Dans le même ordre, 63 personnes ont été arrêtées dans différentes localités : Le Kef, cité Ezzouhour (Kasserine), Sidi Bouzid suspectées d’avoir des liens avec le groupe terroriste du Châambi.
Ces mesures prises à la hâte, ne répondent certainement pas aux attentes des Tunisiens. Car face à la perte progressive de l’État de sa mainmise sur la sécurité nationale, l’anarchie règne dans quasiment tous les domaines : construction, commerce, transport, environnement, etc. On attendait des décisions beaucoup plus courageuses que ces mesures prises sur le vif et qui ne trouveront de traduction que pour un laps de temps assez court. Pour le temps de ces décisions, pourquoi avoir attendu tout ce temps pour prendre ces maigres mesures ? Après l’atteinte à la souveraineté de l’État en s’attaquant à la maison du ministre de l’Intérieur, l’attente était grande de voir des décisions immédiates concernant surtout le banditisme, la contrebande et la poursuite d’un redressement de l’image de l’État. Or, on en vint à des mesures générales qui ne peuvent en rien redresser la situation et redorer le blason de l’État en tant qu’entité, dont l’image ne cesse de se dégrader de jour en jour. Les Tunisiens attendent des mesures fermes, une mobilisation visible de toutes nos forces sécuritaires et de l’armée et une mobilisation au niveau des ministères afin de redonner au travail sa véritable valeur. Un autre problème et non des moindres est celui des prérogatives attribuées aux têtes de l’Exécutif : la présidence et le chef du gouvernement. Nos forces combattives contre le terrorisme doivent s’unifier, au plus vite et créer un pôle n’aura de sens que s’il dispose des hommes à la fois qui recueillent les informations et qui peuvent agir aussi dans la minute sans attendre l’aval. Tout cela nous poussera à réfléchir sur les modalités à assurer notre sécurité nationale loin des polémiques et surtout en se rendant compte des retombées de la situation régionale. La vigilance doit nous pousser tout d’abord à compter sur nous-mêmes sur ce dossier et développer tous les potentiels «nationaux» et tisser en second lieu une coopération avec les pays voisins dans les limites de nos intérêts nationaux.
Nous reviendrons sur les mesures à prendre et toute la stratégie antiterroriste qui peine à voir le jour dans une situation en ébullition et qui commence à devenir délétère.
La liste des martyrs tombés dans l’attaque du 17 juillet au Mont Châambi
Wussam Akaîchi ; grade : commandant
Oussama Chakroun ; grade : lieutenant
Fayçal Torchi ; grade : sergent chef
Sabri Maâloul ; grade : sergent chef
Mohammed Dhaouadi ; grade : caporal chef
Massoud Bouraoui ; grade : caporal chef
Kaïs Bouallagui ; grade : caporal chef
Issam Ghrabi ; grade : caporal chef
Caporal chef Zaki Saidani
– Caporal Néji Hammami
– Yassine Ghouili : Soldat volontaire
– Ahmed Hamadi : Soldat volontaire
– Chawki Kilani : Soldat volontaire
– Soldat volontaire Atef Chaib
– Soldat volontaire Walid Ben Abdallah : il a été retrouvé mort suite aux blessures qu’il a reçues lors de l’attaque.