L’UGTT qui a, depuis la Révolution, érigé les grèves en arme redoutable pour faire plier les pouvoirs publics à ses exigences, fussent-elles irraisonnables, se trouve aujourd’hui prise dans les tenailles de ce jeu dangereux et de ses propres contradictions.
En usant abusivement et anarchiquement de cette arme, voire même en la banalisant à l’extrême, la grève qu’on se targue de considérer comme un droit constitutionnel, est devenue contre-productive et une source de gêne pour une Centrale syndicale de plus en plus incapable de maîtriser ses structures tant régionales, locales que sectorielles. L’anarchie qui s’est installée dans l’action syndicale, a tellement pris des proportions alarmantes que tout n’a plus le sens de rien, puisque le combat syndical s’entremêle de plus en plus avec le jeu politique. Le résultat est aujourd’hui palpable : le pays vit un cauchemar quotidien par les débrayages qui ont gagné tous les secteurs, qui surviennent à n’importe quel moment pour n’importe quelle raison, paralysant souvent des activités stratégiques et vitales, et mettant à mal un pays qui peine toujours à relever la tête.
Quand l’UGTT garantit l’impunité des auteurs de ce genre d’excès, que ses dirigeants trouvent la plupart du temps des excuses creuses à des mouvements qui altèrent et son image et sa notoriété, à des revendications fantaisistes ou insensées, l’on ne peut tomber que dans les excès et les surenchères. Une image désolante se décline à travers la compétition que se livrent les différentes structures syndicales pour achever des entreprises qui vivent sous perfusion ou des secteurs d’activités en panne permanente.
L’image d’un syndicat régional qui décrète, par un simple coup de tête, une grève générale dans toute une région, n’émeut plus. Que les écoles ferment leurs portes, que les services administratifs soient condamnés à ne pas offrir des services au public, que toute activité s’arrête, suite à une décision arbitraire d’une structure régionale de l’UGTT, ne soulève ni critique ni argumentaire tenant la route au sein de la Centrale syndicale qui devient le centre de tous les pouvoirs. Une organisation qui, néanmoins, est devenue allergique à toute critique et à toute remise en question, puisque toute voix discordante, qui ne va pas dans le sens qui plaît à ses dirigeants ou qui ne caresse pas dans leur sens du poil, est très vite condamnée, montrée du doigt sans raison apparente, voire même dénoncée. Dans une démocratie, fût-elle naissante, l’UGTT est au-dessus de toute critique, au-dessus de la loi, la parole de ses dirigeants est toujours la meilleure, et les actions qu’elle entreprend sont toujours bonnes à prendre comme elles sont.
Le couac, c’est de voir la société civile dans toute sa diversité et les élites du pays s’abstenir de souffler mot ou d’oser dire que la dérive de l’UGTT présente un risque sérieux d’amplifier les difficultés du pays. Pour monter au créneau, avoir une bonne appréciation ou ne pas hypothéquer leur avenir, toutes les voix qui se réclament indépendantes ou progressistes sont prises dans le piège de la glorification d’une centrale qui n’a pas fait le meilleur usage de l’héritage de Haddad, qui a dévié l’action syndicale de sa trajectoire originelle et s’est fourvoyée dans une démarche dogmatique d’un autre âge.
L’autre problème qui se pose a trait au discours constamment guerrier, inquisiteur de l’UGTT, sa volonté manifeste de se muer en acteur politique, sa recherche effrénée de tout imposer et ce jeu d’amalgame qu’elle entretient entre politique, économique et social.
Dans tous les cas de figure, l’agitation qui empreint l’action de l’UGTT est en train de précipiter le pays dans le chaos. Hormis une tension latente et entretenue par des structures qui considèrent que le moment est propice pour arracher encore des gains au cours de cette période électorale, il est vrai pauvre en débat, mais riche en scandales, la Centrale syndicale ne semble pas mesurer le coût qu’elle pourrait payer en termes d’image et de crédibilité. Par son incapacité à gérer les situations de crise, à imposer le respect de son règlement intérieur par ses propres structures et à préserver son prestige, l’UGTT voit qu’aujourd’hui, les engagements pris au niveau central sont tournés en dérision aux plans sectoriel et régional.
Le Secrétaire général de l’UGTT a pourtant tiré la sonnette d’alarme, le 19 mars dernier, lors de la grève sauvage déclenchée par les agents de la SNCFT, mais rien n’y a été fait pour arrêter cette spirale de perte de discipline. La même chose a été vérifiée lors de la grève des transporteurs du carburant. L’accord signé par la Centrale syndicale et son mot d’ordre de la levée de la grève n’ont pas été suivis par des structures rebelles qui ont pris le pli de faire ce que bon leur semble. Ce qui interloque, c’est qu’au lieu de condamner ces actes, de communiquer autrement en pareilles circonstances, la Centrale syndicale préfère garder le silence ou, plus grave, certains de ses dirigeants cherchent à trouver aux grévistes des circonstances atténuantes.
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