Hafedh Ben Salah était-il bien conseillé le jour ou, surprenant tout le monde et donnant l’impression de ramer à contre-courant, il a pris la décision d’annoncer sa démission du gouvernement Jomâa ? La réponse semble mitigée tant le geste du ministre de la Justice s’avère, de par sa symbolique et ses potentielles implications, chargé de sens et, surtout, d’apparentes contradictions. Intervenant à un moment ou l’équipe de technocrates, dont il faisait partie, était engagée sur plusieurs fronts et essayait tant bien que mal d’organiser ce qui pouvait l’être dans son action gouvernementale manifestement prise de vitesse ces derniers temps, le geste de Ben Salah pourrait prendre les traits d’une dissidence. Une démission impromptue, profitant de l’éphémère éclaircie offerte par la première semaine de Ramadan et gardant top secret ses motifs et ses raisons ! Oui, pourquoi pas. Rien de mieux pour créer le «buzz». Et pour un temps, ce fut le cas.
Le geste du Garde des Sceaux, bien qu’il ait surpris sur le moment, n’a pas réellement étonné ceux qui — et ils sont nombreux — estiment que beaucoup de choses trainent en longueur dans le secteur de la justice depuis la prise en main des affaires par l’actuel gouvernement et qu’en fait aucune décision, digne de ce nom, n’a été prise pour faire avancer les choses. En témoignent les nombreux dossiers «brûlants» qui sont toujours au stade de balbutiements et dont le traitement par les instances concernées a fait l’objet, en de multiples occasions, de contestation et de virulents rappels à l’ordre par des vagues de mécontents. Autant d’indices qui portent à croire que l’annonce du départ du ministre ne comporte pas en elle-même son exclusivité, mais c’est plutôt son opportunité et la manière avec laquelle elle a été annoncée qui retiennent l’attention. Donnant donc plutôt l’impression d’une dissidence, la démission, ou, plus précisément, le projet de démission de Ben Salah revêt les critères d’une crise avortée au sein du gouvernement qui arrive tant bien que mal à garder une vitesse de croisière dans son action au quotidien, surtout que de nombreux dossiers «l’attendent au tournant » pour le mettre sérieusement à l’épreuve de l’évaluation et de l’appréciation. Et ce n’est un secret pour personne que de dire à ce propos que la rumeur a fait état d’un malaise manifeste au niveau du ministère de la Justice, justement à propos du rôle imparti à ce dernier en ce qui concerne les grands dossiers de la justice et des projets de loi actuellement à l’étude. De nombreux bruits de couloir ont fait état et à maintes reprises de la volonté de Ben Salah de se retirer. Il semblerait qu’ayant perdu patience, il se soit trouvé acculé à procéder de la manière suivante : ne toucher mot à aucun de ses partenaires et proches de son projet, quitter aux horaires administratifs conventionnels le ministère, l’après-midi d’un vendredi, en ayant pris soin comme le rapportent certains témoignages, de laisser la voiture de fonction dans le parking du ministère et, enfin, annoncer la démission dans la matinée du lundi…
À défaut de causes déclarées
Bien que comme cela ait été vérifié, aucun motif ni cause n’ont été donnés par Ben Salah en personne ni son cabinet et ses proches, il est aisé de se faire une idée sur ce qui peut expliquer tout cela, tant la réalité est riche de contradictions et aussi de zones d’ombre en ce qui concerne les affaires publiques relatives aux affaires de justice et dossiers connexes.
La rumeur persistante puisqu’il faut s’en contenter, à défaut de confirmation, fait état de plusieurs raisons qui, semble-t-il, ont dicté le geste de Ben Salah qui peut être interprété comme plutôt une expression de ras-le-bol qu’une manifestation raisonnée et une prise de position. Ainsi, il est question de nombreux points de discorde ayant émaillés les discussions du projet de la nouvelle loi antiterroriste et qui ont révolté le ministre de la Justice. Ce dernier aurait demandé avec insistance que les discussions prennent en compte les propositions qu’il aurait faites concernant l’infrastructure nécessaire pour assurer la bonne application de ladite loi, le dossier des juges «révoqués», le comportement de certains juges d’instruction et, plus précisément, le dossier des diplomates tunisiens en Libye et les négociations qui ont accompagné leur libération. Il semblerait que le ministre aurait déduit du fait qu’il avait été mis à l’écart du processus de ces négociations qu’une transaction était en cours consistant à obtenir la libération de terroristes libyens détenus en Tunisie contre celle de diplomates.
Ben Salah voulait-il apparemment se désengager de tout cela et surtout se démarquer par rapport aux lenteurs enregistrées partout ? Incontestablement. À preuve que la démission en est restée jusque-là au stade de projet et que le ministre a réintégré les rangs dès le mardi matin, lendemain de sa prétendue démission. La rapidité avec laquelle les choses ont été inaugurées et réglées laissent à penser que, comme le soulignent certains, Ben Salah cherche à se positionner pour le futur en marquant sa différence d’avec ses collègues technocrates. De plus, son comportement suggère l’idée qu’il veut faire table rase de la polémique suscitée lors de sa nomination en démontrant que, loin de se complaire dans la routine de la fonction, il fait de l’anticipation en refusant le rôle de comparse dans lequel le système semble le confiner.
Ahmed souleymen