Selon les estimations du ministère de l’Equipement, de l’habitat et de l’aménagement du territoire, 40% des logements qui se construisent en Tunisie relèvent des constructions anarchiques.
C’est beaucoup dans un pays de droit et d’institutions. Mais d’abord, à quelle définition répond le terme anarchique ? On pourrait adopter celle-ci : toute construction qui n’a pas au préalable fait l’objet d’une autorisation légale appelée “permis de bâtir”, délivrée par l’Etat ou une collectivité locale, suite au dépôt d’un plan élaboré par un architecte, respectant les normes techniques du code de l’urbanisme et relatives aux logements.
Il y a lieu de se demander pourquoi les citoyens cherchent à se soustraire à la réglementation en vigueur et éviter ainsi de se soumettre aux procédures légales de mise.
Il y a d’abord le problème fondamental du foncier : la propriété du terrain qui coûte très cher et échappe aux candidats en logement anarchique, qui construisent alors sur un terrain qui ne leur appartient pas, à savoir domanial, municipal ou autre.
Ensuite, il y a le non-respect des normes réglementaires du code de l’urbanisme : dimensions des chambres, pièce d’eau, cuisine, respect du voisinage pour les distances vis-à-vis de la rue…
Enfin, il y a la complexité technique et administrative du dossier du permis de bâtir : quitus fiscal, attestation de propriété, plan d’architecte… Enfin, le prix élevé à payer à la mairie pour retirer le permis.
Autant de difficultés et de formalités qui rebutent les candidats à la construction d’un logement.
D’après les enquêtes d’identification relatives à la réhabilitation des quartiers populaires dans le cadre de l’élaboration des plans de développement, 1400 quartiers ont été recensés comportant 700.000 logements avec une population estimée à 3,5 millions d’habitants.
Il s’agit en fait de 32% de la population tunisienne, ce qui est beaucoup.
Le cumul des constructions anarchiques a engendré des quartiers populaires surpeuplés sans routes asphaltées, ni réseau de distribution d’eau et d’électricité, ni réseau d’assainissement, ni communication, ni éclairage public, ni espaces prévus pour les équipements socio-culturels et administratifs (écoles, hôpitaux, police), ni infrastructures économiques (marchés).
Même a posteriori, l’Etat se doit de veiller à rétablir l’ordre dans ces quartiers.
L’objectif primordial des pouvoirs publics, en procédant à la réhabilitation des quartiers populaires, réside dans l’amélioration des conditions de vie de la population, notamment le rétablissement des conditions minimales d’hygiène, de sécurité, de salubrité et de cohabitation.
Les travaux ont consisté à construire des réseaux d’assainissement, de distribution d’eau potable, d’électricité, de communication, à aménager des rues accessibles à la circulation auto, à implanter un éclairage public et même à améliorer des façades de maisons.
C’est l’ARRU (Agence de réhabilitation et de rénovation urbaine) sous tutelle du ministère de l’Equipement qui a veillé sur la réalisation de ces opérations délicates et coûteuses.
Créée dans les années 70, l’ARRU a réhabilité en plusieurs décennies 1226 quartiers populaires, soit plus de 3,5 millions d’habitants avec un montant de 1150 millions de dinars.
Il faut dire que plusieurs bailleurs de fonds internationaux ont accordé des crédits bonifiés à notre pays pour faire aboutir ces projets : la BEI, l’AFD, la KFW, l’Union européenne.
Depuis 2011, l’Agence a procédé à une évaluation, révisé son programme d’action pour le mettre à jour et ajouté aux zones urbaines, des zones rurales qui répondent aux mêmes critères. C’est ainsi qu’un programme d’appui aux zones défavorisées a été mis au point en 2012 et 2015 en plus d’un programme prioritaire d’intégration des quartiers populaires et un programme d’appui à la politique de la ville initié en 2018.
Ces programmes portent sur 155 quartiers, ce qui fait que 180.000 logements sont concernés et que 800.000 habitants en bénéficieront, le coût s’élevant à 611 MD sur sept ans : 2013-2019.
Les taux d’avancement sont de 92% pour les infrastructures et 77% pour les logements.
Pour la période à venir, 2019-2025, ce sera une nouvelle génération de projets qui seront réalisés. Il s’agit de s’intéresser en particulier aux infrastructures de base, création d’espaces verts et parcs publics, d’équipements et espaces culturels, de locaux, d’activités et de services économiques.
146 quartiers seront impactés au profit de 630.000 habitants et 180.000 logements, soit un coût global de 636 MD.
La vision des pouvoirs publics continue à essayer d’effacer après coup les stigmates et les symptômes de l’habitat anarchique, alors que le processus des constructions anarchiques se poursuit sans s’attaquer à la racine du mal, à savoir stopper à la base l’habitat anarchique, aménager des lots de terrain constructibles sur des terres domaniales ou municipales pour les mettre gracieusement à la disposition de ceux qui méritent un logement social et simplifier les formalités d’obtention des permis de bâtir. Le tout, quitte à subventionner la construction de logements sociaux, tout en mettant à la disposition des intéressés des plans types. Ce sera beaucoup moins coûteux pour la collectivité.
Pour tout dire, l’habitat anarchique est le plus grand défi auquel sont confrontées les mairies actuellement.
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