Le président de la République Beji Caied Essebsi est décédé ce jeudi 25 juillet 2019 à l’hôpital militaire de Tunis à l’âge de 93 ans.
Considéré par ses détracteurs comme un homme du passé, il faut reconnaître que ça ne gênait aucunement l’homme, Beji Caïd Essebsi, amicalement baptisé « Bajbouj » ou plus communément BCE, était devenu, à 88 ans, le premier président démocratiquement élu de la 2ème République. Et rien que pour cela on ne pourra jamais lui renier le fait qu’il fait partie de l’avenir de la Tunisie.
Au parcours politique riche, Beji Caïd Essebsi a vu sa carrière marquer un tournant important au lendemain de la révolution du 14 janvier 2011.
Véritable machine à gagner, « Bajbouj » a été dès les premiers jours post-révolution aux premières loges. Nommé premier ministre en 2011 alors que le pays traversait une phase chaotique il mènera le pays vers ses premières élections libres. Elections qui poseront les premiers jalons de la transition démocratique en Tunisie. BCE aura été en définitive, l’homme du couronnement de cette étape difficile vécue par le pays et s’imposera comme un acteur incontournable de la scène politique.
Après avoir quitté la Kasbah, il crée en juin 2012 son mouvement, Nidaa Tounes, un parti hétéroclite qui compte parmi ses adhérents aussi bien des syndicalistes, que des gauchistes ou des membres du RCD dissous. BCE a réussi un mélange savant et singulier entre islam et sécularité qui l’a distingué de ses adversaires. L’homme plaçait le sens de l’Etat comme une valeur cardinale et il ne cessera jamais de le rappeler et ne manque jamais une occasion pour rappeler l’article 1er de la Constitution de juin 1956, gardé comme tel dans la constitution du 27 janvier 2014 : « La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l’islam est sa religion”, l’arabe est sa langue, la République son régime ». Béji Caïd Essebsi, a fait de cet article et de la restauration du prestige de l’Etat et de la primauté de la loi son cheval de bataille. Disciple de Bourguiba, il préférait parler l’arabe dialectal pour s’adresser aux tunisiens même lors des cérémonies officielles. BCE fonde, en partie, sa popularité sur sa verve : bon tribun, il parsème ses discours de versets du Coran, de proverbes tunisiens et de blagues railleuses. Quant à son âge, ses détracteurs utilisant cela comme un moyen pour le déstabiliser, BCE a su en faire un atout majeur en jouant sur l’expérience qui a fondé son crédit et sa réputation.
Disciple et se revendiquant comme l’héritier du père de la nation, il a réactivé à son avantage cette notion du père et de l’homme providence. Il aura eu fort à faire dans une Tunisie divisée et fracturée par les méandres et les joutes politiciennes.
Un homme d’Etat au parcours politique riche
Retour sur la vie d’un homme qui laissera à coup sûr une trace indélébile de son passage dans l’histoire du pays.
Beji Caïd Essebsi est issu d’une famille tunisoise. Il est l’arrière-petit-fils d’Ismail Caïd Essebsi. Il poursuivit ses études supérieures en France où il obtient une licence de la faculté de droit de Paris en 1950 avant d’être admis au barreau tunisien en 1952. Il devient par la suite avocat à la Cour de cassation. Il débute sa carrière en plaidant dans des procès de militants du Néo-Destour.
Au lendemain de l’indépendance, en 1956, il rejoint le gouvernement comme conseiller d’Habib Bourguiba, devenu premier ministre avant d’accéder à la tête de l’État après la proclamation de la République le 25 juillet 1957. BCE poursuit son ascension en devenant directeur général de la Sûreté nationale. Il est ensuite nommé ministre de l’intérieur, poste qu’il occupera du 5 juillet 1965 au 8 septembre 1969. Nommé ambassadeur de Tunisie aux Etats Unis à cette date, il ne partira pas et a été nommé ministre de la défense du 7 novembre 1969 au 12 juin 1970 dans le gouvernement de Bahi Ladgham. En 1970, il devient député pour 5 ans mais sera désigné ambassadeur en France de 1970 à 1971.
Beji Caïd Essebsi a connu ensuite une longue traversée du désert qui se terminera le 3 décembre 1980 date à laquelle il réintègre le gouvernement comme ministre des affaires étrangères le 15 avril 1981 poste qu’il occupa jusqu’au 15 septembre 1986.
Durant son mandat, il a été confronté à plusieurs crises, notamment l’arrivée des combattants palestiniens à Bizerte en 1982, obligés de quitter le Beyrouth, le bombardement du quartier général de l’OLP à Hammam Chott (sud de Tunis) par l’armée de l’air israélienne (opération Jambe de bois) en 1985.
Le moment le plus fort de sa carrière à la tête de la diplomatie tunisienne reste cependant le vote de la résolution des Nations unies condamnant l’agression israélienne contre la Tunisie.
Beji Caïd Essebsi a été, également en poste, en qualité d’ambassadeur à Paris (1970-1971) puis à Bonn à partir de 1987. En 1990, il est élu président
de la Chambre des députés qu’il garda jusqu’en1991. Son dernier mandat de député s’est achevé en 1994.
Il reprendra son métier d’avocat et continuera de plaider, par moments, devant la Cour d’appel de Tunis dans des affaires d’arbitrage.
En 2009, Beji Caïd Essebsi publie un livre sur Bourguiba, « Le bon grain de l’ivraie » qui a battu des records de vente.
«L’avenue Bourguiba sans Bourguiba, ça n’a pas de sens», disait-il ne cachant pas son souhait de re-hisser la statue déboulonnée après le coup d’Etat de Ben Ali. «Lorsque le temps fera son œuvre, que le bon grain se sera débarrassé de l’ivraie, Habib Bourguiba sortira du purgatoire et la statue équestre du plus illustre des Tunisiens reprendra sa place à Tunis», écrivait-il en conclusion à ce livre, où il se livrait à une analyse du bourguibisme à la fois empreinte d’admiration et critique sur ses échecs, notamment sur le plan démocratique. Il tiendra sa promesse et réalisera son souhait, la statue a repris sa place.
Beji Caïd Essebsi est père de deux garçons et de deux filles.