La situation sécuritaire en Libye est entrée dans une phase de chaos. De Benghazi à Tripoli — deux villes clés du pays —, les morts se comptent par dizaines et on n’entend plus la voix du gouvernement devenu l’ombre de lui-même. Il a tenu ce lundi une réunion à Barqa, pas à Tripoli ; autant dire que la situation est intenable. Les milices armées font désormais la loi dans le pays. Le groupe Ansar Al Charia dit contrôler la principale caserne forteresse de Benghazi et cela face aux assauts du Général Khalifa Hafter et les troupes régulières libyennes. À Tripoli, où le trafic aérien est interrompu, des convois de diplomates et de ressortissants étrangers quittent le pays à la hâte en direction de la Tunisie. Sur nos frontières, à Ras Jedir, artère vitale pour les Libyens, on ne dénombre pas moins de 4.000 véhicules qui entrent en territoire tunisien. Cette situation, déjà vécue entre février et octobre 2011 sur notre territoire, se justifiait à l’époque par des raisons humanitaires ainsi qu’un franc soutien à la révolution libyenne. Mais aujourd’hui la donne est autre.
Des groupes djihadistes armés viennent d’annoncer leur allégeance à EIIL. C’est le cas d’Al-Qaïda au Maghreb islamique qui a annoncé son adhésion à ce présumé Calife le 29 juin dernier. Ansar Chariâa, se disant partie d’Al-Qaïda, a très vite adhéré à ce projet. Le dirigeant algérien d’AQMI, Abou Abdallah Othmane El Assimi, affirme dans cet enregistrement, qu’AQMI reconnaît que Daech est sur la bonne voie «plaçant la parole d’Allah au-dessus de tous et en ne reconnaissant pas les frontières imposées par les Taghout». Lotfi Ben Jeddou, ministère de l’Intérieur tunisien, a indiqué que près de 2.400 djihadistes tunisiens combattent aux côtés des rebelles syriens. 80% d’entre eux sont membres de l’EIIL.
Sans nul doute, l’instabilité politique et sécuritaire en Libye favorise l’afflux de ces terroristes afin de s’installer et de s’assurer du financement et de la logistique puis de tenter, dans un second temps, de pénétrer en Tunisie, en Algérie et en Égypte ; autant de territoires à conquérir selon EIIL.
La crainte aujourd’hui se justifie par l’assaut humain dont fait l’objet nos frontières avec la Libye, particulièrement à Ras Jedir où se massent plus de 4.000 véhicules et plus de 10.000 personnes. Des convois des ambassades étrangères se refugient également sur notre territoire et des dizaines de milliers de travailleurs étrangers ont hâte de fuir la Libye. L’Égypte vient d’envoyer son ministre des Affaires étrangères, ce lundi 4 août, afin de veiller au bon déroulement du rapatriement de ses ressortissants. Avec ce raz-de-marée humain, les inquiétudes se font sentir non seulement dans le gouvernement Jomâa — les ministères de l’Intérieur et de la Défense—, mais également chez les simples citoyens.
Les menaces économiques
Avec plus d’1,9 million de ressortissants qui résident quasiment en permanence en Tunisie, la vague de Libyens s’est accrue dans des proportions inquiétantes depuis la fin du Ramadan et le déclenchement de l’état de guerre à Tripoli entre les diverses milices. À ce rythme, on s’attend à une arrivée de plus de 300.000 Libyens, ce qui constituera un lourd fardeau pour le budget de l’État, surtout dans le secteur des matières de première nécessité (pain, sucre, lait, huile) et celui des hydrocarbures qui font actuellement défaut à Tripoli. Deux grandes réserves situées sur la route de l’aéroport sont en feu et contiennent plus de 90 millions de litres, ce qui augure non seulement une catastrophe écologique, mais aussi des pénuries latentes. Contrairement à la situation connue en 2011, l’afflux des Libyens fuyant une situation de guerre n’est pas une émigration temporaire et humanitaire, car avec la situation économique difficile que traverse la Tunisie c’est encore un défi de plus et qui ne pourra être supporté à long terme.
Les menaces sécuritaires
On ne répètera jamais assez, les opérations de filtrage des individus souhaitant entrer sur notre territoire et qui représentent aujourd’hui un véritable cauchemar pour les autorités tunisiennes. Une mobilisation de plus en plus renforcée veut parer à tout prix à l’infiltration d’éléments terroristes sur notre territoire. Dans ces temps difficiles que traverse la Libye, la seule issue, aussi bien pour les Libyens que pour les étrangers fuyant la terreur de la guerre des milices, demeure la Tunisie. Avec deux passages, à Ouazen-Dhiba et Ras Jedir, on imagine la pression à laquelle sont soumises nos forces de sécurité, l’armée et la douane. La crainte principale étant les tentatives d’individus de faire passer des armes dans leurs véhicules. L’arme se banalise en Libye, 25 millions de pièces circulent !
Si l’on ajoute le nombre des prétendus «djihadistes» partis en Syrie, dont une partie est revenue en Libye, la vigilance face à ces éléments extrêmement dangereux, tient nos autorités en haleine sur les frontières, de peur qu’ils puissent s’introduire sur notre territoire.
La décision des ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères d’interdire l’établissement d’un centre de réfugiés, se justifie par des raisons avant tout sécuritaires. Le pont aérien, engagé depuis Djerba et Gabès, à partir du mardi 5 août, permettant le retour des Égyptiens par des vols intensifs, voire des paquebots affrétés pour l’occasion, rentre dans cette nécessité d’éviter l’entassement des travailleurs à nos frontières et de faciliter le travail de filtrage d’individus entrant en Tunisie.
On parle aussi d’une bonne coordination avec l’Algérie afin de parer aux menaces sécuritaires qui proviennent de Libye. Une intervention, ou plutôt un appel à l’ONU et aux pays voisins, pourrait-elle aider à résoudre ce danger bien réel se situant à nos portes ?
Quoi qu’il en soit, en ces temps difficiles il vaut mieux prévenir que guérir et prévoir le pire des scenarii et élaborer des stratégies en conséquence.
Doit-on fermer nos frontières ?
Une solution aussi radicale peut être critiquée mais elle peut s’avérer nécessaire, surtout que l’on parle ici de tentatives d’infiltration de dizaines, voire de centaines de terroristes. Mais, cette décision de fermer les frontières va sanctionner en premier lieu les personnes âgées, les malades, les enfants et les personnes cherchant la paix et la quiétude. Les services de sécurité sont confrontés à des choix périlleux où le risque zéro est difficile à atteindre.
Pour que la Tunisie protège sa paix civile, il va falloir s’armer de vigilance et veiller à ce que tout soit contrôlé, pour le bien de tous.
Fayçal Cherif