L’âge avancé de BCE donna lieu à divers commentaires. L’inhumain et le plus machiavélique lui conseillait de renoncer à briguer la présidence de la République. Mesquin, le prétexte incriminait le nombre des années aggravé par les problèmes de santé. Dès l’exhibition de cette perversion, un écrit pourfend la goujaterie de cette perfidie.
A posteriori, l’œuvre accomplie par BCE, l’hommage rendu à l’échelle internationale et l’émotion vécue, jusqu’aux larmes, lors de son décès, adressent un bras d’honneur et un pied de nez à l’autoproclamé conseiller.
En outre, à l’occasion du quarantième jour, une avenue à Carthage portera le nom de cet homme-courage.
Chez les férus de bavardage, pareille commémoration achèvera de maximaliser la rage. Mais une fois la muflerie jetée aux orties, il reste à expliciter un ressenti non dit.
Fathi Hached, marchand de fruits, Dhaou el Ahermi, paysan-chauffeur, Khlifa Chater, historien, et Taoufik Glenza, chômeur, gens âgés de 60 à 80 ans, énoncent des variations autour de cette formulation : « S’il est parvenu à 92 ans, malgré le poids des responsabilités, cela me rassure pour vivre longtemps ». Pratiquant, âm Dhaou mêle Dieu à la même aspiration : « Inchallah in3ichou 9adou ». A moins âgés que lui, Béji inspire l’espoir, illusoire, de prolonger, a priori, leur durée de vie. Cette rallonge utopique érige BCE en éclaireur placé au poste avancé de la marche commune vers l’inéluctable panacée.
Pour les proches de 90 ans, il tend la carotte emblématique de la persévérance quand, à son âge, il mène la danse de l’égalité successorale à la barbe de la misogynie cléricale. Cependant, la prolongation phantasmée relève de l’inauthenticité, car la référence à BCE et à sa longévité n’entretient aucun lien avec la durée programmée de mes interviewés. Par le biais d’une pareille versatilité, leur attitude cligne vers Martin Heidegger. Selon l’auteur du célèbre « Être et Temps », paru en 1927, les tenants du sens commun, autrement dit presque tout le monde, ne parviennent à gober le dur métier de vivre que bercés par une représentation « inauthentique » de la mort. Or, les appréciations de mes interviewés pataugent entre la peur de la mort et l’attrait de l’immortalité. Ces prises de position contreviennent à la vision authentique et assumée de « l’être-là », ce Dasein heideggérien où mugit, jour et nuit, l’angoisse de la fin promise à chacun. Dans ces conditions, que le succès l’enivre ou que l’échec le navre, tout candidat à l’élection présidentielle colporte un cadavre. Voilà de quoi inciter l’enragé à calmer sa férocité. Les rubriques nécrologiques des quotidiens conduisent le saint et l’assassin au plus agréable des jardins : « Que Dieu, le Tout-Puissant, lui accorde son infinie miséricorde et l’accueille dans son éternel paradis. Ton image est toujours vivante parmi nous et restera gravée à jamais dans notre mémoire ». En effet, les grands timoniers laissent leur trace. Même parti, sans doute au paradis, à la barbe de Ghannouchi, BCE rebondit sur l’aura de Bourguiba et répond à l’actuelle déclaration d’Ennahdha que voilà : « Lesdites campagnes visent à porter préjudice au mouvement Ennahdha et à son candidat dans le but d’influencer le cours de l’opération électorale .»
Mais comment distinguer « les campagnes de dénigrement » des positions prises contre la recherche de l’hégémonie par le mouvement de la tendance islamique opposé à l’émancipation civique ?
Bourguiba et BCE ne « dénigrent » pas le parti de Ghannouchi, ils ne veulent pas de lui. De même, la campagne électorale comprend les peu enchantés par un éventuel succès du parti clérical. Que la choura, déguisée en « bureau exécutif » y perçoive un simple « dénigrement », occulte l’incompatibilité fondamentale de l’Etat démocratique et du système théocratique. Perfidie extrême, les termes des frères musulmans adressés à l’ISIE pour des élections conformes à la « Tunisie démocratique » ne trompent qu’eux-mêmes. De là proviennent les deux casquettes : l’une coiffe le dialogue fondé sur la tolérance et l’autre chapeaute les sportifs à la montagne, les enfants protecteurs de la Révolution à coups de bâton et l’armée secrète. Jadis, dans les années soixante dix, les gauchistes montés à l’assaut des bourguibistes paraissaient arpenter une juste piste. De nos jours, où le choix demeure entre le fanion noir et l’espoir, certains de ces vieux militants, associés aux gens à turban, combinent l’analphabétisme patent à l’imbécillité avérée quand ils continuent à ressasser la même hostilité envers le réformateur éclairé. Les temps changent et les tenants de l’esprit sclérosé n’en finissent pas de manger au même râtelier pour le plus grand bonheur des enturbannés.
Pour qui vont-ils voter ?
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