Les évènements révolutionnaires et les transitions démocratiques que connaît la région arabe depuis le début de l’année 2011 ont remis la lutte contre la corruption au 1er plan des préoccupations et des programmes de réformes.
C’est pourquoi la Présidence de la République a organisé les 7 et 8 juin à Tunis, en coopération avec le PNUD, l’ACINET (réseau arabe pour l’intégrité et la lutte contre la corruption) et l’IACE, une conférence régionale sur le thème du renforcement de la transparence dans le secteur privé dans les pays arabes ainsi que le rôle des différents acteurs
Quelle définition pour la corruption ?
Selon M. Arkan Assibleni, Directeur régional pour les pays arabes du programme de lutte contre la corruption au PNUD, il n’y a pas de définition précise pour le phénomène de la corruption tant il est complexe et ambigu et possède de multiples ramifications et une pluralité d’intervenants. Il touche tous les secteurs : public, privé et tous les domaines d’activité : transport, énergie, douane, santé…
Il s’agit en fait de pratiques frauduleuses et illégales ayant pour finalité d’obtenir des avantages matériels et comporte plusieurs formes : détournements de fonds, favoritisme pour l’obtention de marchés publics ou de commandes, falsification de documents…
Pourquoi la promotion de la transparence ?
Au-delà de l’éthique et de la morale, la lutte contre la corruption est un facteur déterminant de la croissance économique, de la compétitivité de l’économie de la concurrence entre entreprises et d’attraction des IDE «propres». Elle peut favoriser la croissance économique et le rétablissement des économies en crise et victimes d’instabilité sociale.
Il faut dire que souvent la corruption prospère dans l’interface public-privé : entre l’Administration donneuse d’ordres et le secteur privé fournisseur de prestations, mais aussi dans les relations entre responsables politiques et hommes d’affaires, selon un document élaboré par le PNUD.
Renforcement de la transparence dans le secteur privé
La conférence a comporté des exposés et des débats entre 80 participants représentant quinze pays arabes, et entre dans le cadre du programme de lutte contre la corruption des Nations-Unies qui a fait l’objet d’une convention internationale votée en 2003. La lutte contre la corruption n’est pas réservée au secteur privé mais concerne également le secteur public.
Cette conférence a traité de la nécessité d’une formation appropriée sur le plan technique, comme celle des avocats, qui doivent savoir comment procéder pour «traquer» les différentes formes et techniques de corruption. Il a été question aussi de favoriser la coopération entre organisations de lutte contre la corruption dans les différents pays arabes.
Le thème du renforcement des expertises, des investissements et des techniques de rapatriement de l’argent détourné a également été étudié. Il s’agit de créer des réseaux anti-corruption dans la société civile afin de favoriser la transparence.
C’est le cas de Transparency international, dont le siège est à Berlin et qui publie en fonction de «critères d’intégrité» un classement annuel par pays qui fait référence dans le monde.
Il faut croire que le thème de la lutte contre la corruption est devenu un cheval de bataille dans les pays arabes, après le déclenchement des révolutions connues sous le nom de «printemps arabe».
Un long cheminement
La Tunisie a approuvé en 2008 la convention de l’ONU sur la lutte contre la corruption, mais n’a rejoint le programme qu’en 2009 et ce n’est qu’en 2010 que la Cour des Comptes a adhéré au système. La lutte contre la corruption est un travail de longue haleine car le phénomène est difficile à cerner et la problématique est complexe alors que la perception par l’opinion publique est un fait essentiel en la matière.
Le déclenchement du processus implique une volonté politique déterminante qui va engendrer la promulgation de lois, donc de sanctions à prendre contre les coupables. Mais cela nécessite la mise au point de mécanismes, de critères et de bonnes pratiques. C’est aussi une culture à promouvoir.
Une feuille de route à 4 volets
Le programme national de lutte contre la corruption a été lancé fin 2011 et va s’étaler sur quatre ans : 2011-2014. La feuille de route comporte quatre axes stratégiques.
Elaborer une stratégie nationale de lutte contre la corruption avec définition et mise en place des mécanismes, promulgation des lois et publication des textes d’application.
Mise en œuvre des procédures de contrôle administratif et financier.
– Focaliser les actions et les efforts de lutte contre la corruption sur la société civile afin de renforcer les moyens de cette lutte et d’en améliorer l’efficience.
– Favoriser le développement de la communication utilisée par le gouvernement pour sensibiliser l’opinion publique au phénomène de la corruption.
– Prise de conscience du phénomène de son ampleur et de ses manifestations, mais aussi de la mobilisation nécessaire pour lutter contre cette corruption dont les effets sont terriblement nocifs sur tous les niveaux de l’activité économique et de la situation sociale.
Il y a enfin l’évaluation de l’engagement de la Tunisie à lutter contre la corruption en fonction des décisions et mesures prises, des actions entamées et des résultats enregistrés.
La question de l’enrichissement illicite a fait l’objet d’un dialogue entre les responsables du programme régional de l’ONU pour la lutte contre la corruption et le gouvernement tunisien, car il a été mentionné dans l’article 20 de la convention de l’ONU, à mettre en rapport avec la confiscation des biens de la famille déchue. Une formule populaire a été adoptée pour cela «comment avez-vous pu acquérir cela» ?
D’où la décision prise par le gouvernement relative à l’auto-déclaration du patrimoine personnel des ministres dès leur entrée en fonction, mais aussi le jour où ils quittent le pouvoir afin de faire le point sur la valeur des acquisitions. M. Samir Annabi, avocat connu et reconnu a été nommé à la tête de l’instance nationale de lutte contre la corruption.
Le programme régional des pays arabes
D’une durée de deux ans, ce programme a été lancé en octobre 2010 en coopération avec le PNUD et porte sur la mise en place de plusieurs actions ainsi que la définition des secteurs stratégiques. Il concerne sept pays: Jordanie, Maroc, Irak, Yémen, Palestine, Djibouti, et la Tunisie. Le Qatar et Le Liban rejoindront bientôt le programme.
Les axes stratégiques sont au nombre de 4. D’abord l’évaluation de la corruption en ayant recours à plusieurs approches et en utilisant plusieurs critères.
Un programme de formation est prévu à Vienne pour une auto-évaluation des institutions en ayant recours à des méthodes appropriées. Il s’agit ensuite de faire le point tous les ans, rapports à l’appui, pour examiner les progrès enregistrés.
En 2ème lieu, il y a l’application du programme de l’ONU avec des consultations pour élaborer les lois, assurer la formation des spécialistes et procéder aux échanges d’expériences entre les différents pays de la région.
En 3ème lieu il faut organiser la lutte contre la corruption selon les secteurs : la santé, la douane, les transports, la distribution de l’eau, etc ?, afin d’identifier les risques.
Un plan d’action doit être mis au point pour lutter contre la corruption de façon efficace.
Enfin, il y a lieu de mettre en application un programme adapté aux pays en situation de crise et de transition.
La problématique posée lors des deux jours de la conférence de Tunis par les responsables des gouvernements, de la société civile et les hommes d’affaires est la suivante : comment renforcer la transparence dans le secteur privé et quel est le rôle dévolu aux différents acteurs ?
Il y a d’une part l’activation des textes juridiques applicables en la matière à mettre en œuvre et, d’autre part, la mise en exécution des engagements pris.
C’est ainsi que les responsables doivent déclarer leurs revenus et publier l’évaluation de leurs biens.
Des incitations et des sanctions doivent être prévues pour que le dispositif soit global, intégré et efficace.
Vers un pacte d’intégrité
Il y a effectivement une différence de comportement entre les sociétés cotées en Bourse et celles qui ne le sont pas. A plus forte raison, entre les secteurs de l’économie parallèle et l’économie légale, l’entreprise qui paie ses impôts, tient une comptabilité probante et fait ses déclarations et l’entreprise «clandestine».
On trouve souvent dans les pays arabes des entreprises familiales qui ne respectent pas les dispositions légales en matière sociale, financière et fiscale.
Une table ronde est prévue dans chaque pays arabe, avec la participation du secteur public, en vue d’adopter un plan d’action.
Il sera probablement demandé aux sociétés de s’engager à respecter les bonnes pratiques en matière de transparence avec la signature d’un pacte d’intégrité, notamment pour ce qui est de la conclusion des marchés publics.
“De Tunis à Amman”
A la suite de la conférence de Tunis, un atelier est prévu les 4 et 5 décembre 2012, à Amman, pour évaluer l’avancement de l’application de l’agenda. Il sera baptisé «De Tunis à Amman».
A ce propos, deux programmes de formation sont à organiser : l’un est destiné aux étudiants en Droit dans trois pays : Tunisie (Université Tunis II), Qatar et Guerzeï. Il s’agit d’un transfert de compétences pour favoriser la lutte contre la corruption dans le cadre du partenariat public-privé avec mise en application en 2013.
Il y a aussi la formation des responsables pour lutter contre la corruption dans les PME, car cela est de nature à leur apporter une valeur ajoutée en matière d’image, de respectabilité et de qualité de gestion vis-à-vis de l’opinion publique et des partenaires.
Le journalisme d’investigation a un rôle à jouer pour diffuser la culture de la transparence et promouvoir la lutte contre la corruption. «Si l’origine des fonds ayant permis la possession d’un bien n’est pas prouvée et n’est pas saine et loyale, la confiscation du bien devait être automatique», a affirmé M. Arkan Es-Siblani.
Ridha Lahmar