Le marathon électoral terminé, ses résultats surprenants continuent à enchaîner les Tunisiens qui, loin de tourner la page, ont trouvé dans le grand chamboulement qui a touché la classe politique, matière à débat et arguments pour entretenir surenchères et règlements de compte.
Au lieu de se concentrer sur l’essentiel, afin de trouver le meilleur moyen permettant de traduire toutes ou partie des intentions en actions qui pourraient changer le quotidien du Tunisien, on s’est fourvoyé dans de nouvelles guerres verbales, propres à accentuer les tensions et les incompréhensions, plutôt que dans un élan d’apporter des bribes de réponses ou des lueurs d’espoir. Partis politiques et acteurs de la société civile n’ont pas eu le temps de tirer les enseignements de ce scrutin, qualifié de véritable révolution par les urnes, qui s’est soldé par une profonde reconfiguration du paysage politique, préférant fourbir leurs armes pour revenir à de vieilles antiennes, à de vieux réflexes qui sont à l’origine de l’immobilisme et des désillusions qu’a connus le pays plus de huit ans durant. Hormis la domination d’un discours aux relents populistes développé par des novices en politique qui confondent tout et dont le fonds de commerce artificiel qu’ils ont pu constituer va finir par être rapidement dilapidé, et la fuite en avant des grandes figures de la gauche tunisienne qui, au lieu de faire leur autocritique et avouer leur faillite, continuent à faire la politique de l’autruche, ce qui a le plus surpris, ce sont les habits neufs que le mouvement Ennahdha essaie de porter. Pour se disculper de sa responsabilité directe dans la situation calamiteuse que vit le pays sur les plans politique, économique et social, il a préféré tourner le dos à la vérité et , plus grave, trahir un engagement qu’il a pris lors de son dixième congrès de 2016 en signant le retour du religieux dans la sphère politique. la séparation entre le politique et le religieux devient un leurre, tout comme le consensus scellé entre ce mouvement islamiste et Nidaa Tounes en 2014. L’orientation d’Ennahdha de manière sérieuse vers un parti politique, national, civil à référent islamique, qui œuvre dans le cadre de la Constitution du pays et s’inspire des valeurs de l’islam et de la modernité, apparaît plus que jamais comme une chimère. La résurgence d’un discours conservateur, voire même rigoriste, tout au long de la campagne électorale et que continuent de relayer certaines figures d’Ennahdha, ne surprend guère. Ce retour aux sources d’un fondamentalisme pur et dur est en train de gagner du terrain. L’apparition de signes de violence et d’hostilité envers les voix discordantes, envers les médias qui refusent de s’aligner à la position des partis qui cherchent à étendre leurs tentacules partout et à réprimer toute voix libre et indépendante, nous rappelle un passé récent, une période noire au cours de laquelle le mouvement Ennahdha, aidé par les ligues de protection de la révolution, a cherché à détruire les fondements de l’Etat civil.
Dans cette dérive, il n’y a pas qu’Ennahdha. D’autres familles politiques, qui ont pourtant reçu une véritable raclée, ont préféré remettre sur le tapis de vieilles cartes, celles des révélations fracassantes, des scandales retentissants et des méthodes d’action éculées. Tout cela dans un contexte qui exige plus que jamais un grand sens de responsabilité et un engagement sans faille pour sauver la Tunisie d’un désastre annoncé. En effet, certains acteurs politiques ont tendance à se complaire dans un jeu dangereux, celui qui creuse davantage les sillons de la discorde et de la désunion et qui met à mal les institutions républicaines et les équilibres fragiles du pays.
Cette tension extrême et la grande nervosité qui domine, ont été entretenues par le manque de visibilité, le déficit de communication, le doute et un attentisme aux conséquences peu prévisibles. L’attente de la nomination d’un Chef de gouvernement, toutes les manœuvres qu’Ennahdha s’évertue à faire avec d’autres partis politiques qui cherchent à monnayer au prix fort leur soutien, et tout le flou qui entoure cette opération périlleuse qui risque de verser le pays dans une crise institutionnelle inédite, sont en train d’empester la vie politique. Toute la satisfaction, voire même le grand soupir exprimé par la sortie de la course des partis traditionnels, sont en train de s’évanouir dans un tourbillon de marchandages indignes pour l’accaparation du pouvoir et le partage du gâteau.
L’urgence de former un gouvernement, de trouver un compromis et de ne pas faire durer l’attente, ne semble pas préoccuper outre mesure. L’on sait que plus les manœuvres traînent en longueur, que la tension monte et que la visibilité diminue, plus le bateau Tunisie risque d’être emporté par les vagues rebelles du populisme, du dogmatisme et des calculs politiciens.
Qui a intérêt de voir le pays tomber dans le chaos, la confusion et le doute ? Les vainqueurs des Législatives et Présidentielle sont appelés vite à rassurer et à donner le bon ton pour dissiper tout doute. Il est urgent de lever pas mal d’ambiguïtés et de choisir les voies du pragmatisme, celles qui nous permettent d’avancer et de faire bouger les lignes.
Cela requiert d’opter pour des méthodes d’action de rupture qui nous permettent de voir et d’entendre le président de la République, investi mercredi dernier, tenir un discours simple, audible.
Un discours de la vérité, qui incite à l’action et ne berce pas les Tunisiens de fausses illusions.
Cela implique de ceux qui auront la charge de présider aux destinées de la Tunisie au cours de la prochaine période, de ne pas tomber dans le piège du partage du gâteau qui a abouti à l’échec d’Ennahdha et à la fragilisation du processus de transition démocratique du pays.
Cela implique, enfin, d’avoir une Assemblée des représentants du peuple de rupture, d’action, et non de continuer à rester une arène pour des combats douteux.
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