On les appelle mères célibataires et leurs enfants, nés hors mariage, des « cas sociaux » … Dans une société où l’adultère et les rapports sexuels hors mariage ne sont pas négligeables, mais qui continue quand même à condamner fermement le concubinage ; une société où les bars ne désemplissent pas mais où l’achat de boissons alcoolisées se fait de manière honteuse, être mère célibataire est souvent vécu comme un drame social.Eclairage²
Au secours, le Test est positif !
Si l’annonce d’une grossesse est pour certains un heureux évènement, si un test positif est pour bien des personnes synonyme d’espoir, d’amour, d’une nouvelle vie heureuse et d’un nouveau projet d’avenir, pour la plupart des filles célibataires, il s’agit d’un drame. Beaucoup ne s’aperçoivent de cette grossesse que bien tardivement, d’autres ont tellement peur du regard des autres qu’elles ont peur de se rendre à l’hôpital.
Le surveillant général d’un hôpital du cap bon témoigne «Souvent, les filles qui arrivent à l’hôpital sont enceintes depuis plusieurs mois. Elles sont, pour la plupart, illettrées, et ne s’aperçoivent de leur grossesse que trop tard. Aussi, certaines prennent des remèdes de grand-mère pour se débarrasser du bébé pensant que cela allait suffire. Elles font des infusions de persils, etc.. Il arrive souvent que les bébés naissent malades ou handicapés à cause de çà. Ces grossesses ne sont pas surveillées, ni prises en charge, ce sont des grossesses dangereuses parce qu’aucun bilan n’est fait, aucune surveillance médicale n’est enclenchée.»
Une infirmière présente au service gynécologie de ce même hôpital ajoute «Les filles enceintes qui arrivent ici sont souvent angoissées, elles ne savent rien, ni comment elles doivent procéder. Elles fuient leurs familles et cherchent où habiter pendant la grossesse. Souvent, on les dirige vers des associations ».
À l’entrée de l’hôpital, une fille est assise portant un tee-shirt très large, dissimulant en vain son ventre rond. Les yeux baissés, le regard abattu, le dos courbé … À ses côtés, sa sœur ainée. « C’est une honte pour nous … Je ne sais pas ce que je vais bien pouvoir dire à mes parents. J’ai vu son ventre grossir au fil des jours. Quand je lui demandais ce qu’il lui arrivait, elle me disait que c’est à cause des boissons gazeuses … Aujourd’hui je l’ai forcée à venir avec moi à l’hôpital et on vient de nous dire qu’elle est enceinte … Déjà au sixième mois !
L’enquête !
À peine l’enfant mis au monde, c’est le déluge de questions. La mère reçoit la visite d’une assistante sociale qui jugera si la mère est en état ou non de garder son bébé, si elle souhaite l’abandonner ou assumer son éducation … Un tas de questions qui seront décisives, tant pour maman ,que pour le bébé.
Puis, c’est au tour de l’agent du Ministère de l’intérieur de poser des questions. Sa tâche : savoir qui est le père de l’enfant. Vous pouvez donc imaginer le genre de questions … Est-ce la première fois ? Est-elle une prostituée ?
Il arrive que des agents se permettent de dépasser leur rôle. C’est leur mentalité, leurs préjugés qui prennent le dessus. C’est parfois une séance d’humiliation pour la mère. Un passage pourtant obligatoire afin de protéger ces enfants. Une commission nationale est chargée de recenser le nombre d’enfants nés hors mariage.
Suite à cet entretien, si la mère accepte de donner le nom du père, il sera obligatoirement soumis à un test ADN. S’il est vraiment le père, le bébé portera de plein droit son nom.
Si pour différentes raisons, la mère refuse de donner le nom du père ou ne sait pas, une loi a été promulguée pour protéger l’enfant. Il s’agit de la loi patronymique de 1998 qui stipule que : « La mère qui a la garde de son enfant mineur, et dont la filiation est inconnue, doit lui attribuer un prénom et son nom patronymique ou d’en demander l’autorisation, conformément aux dispositions de la loi réglementant l’état civil. Elle doit, en outre, dans un délai ne dépassant pas six mois à compter de la date de naissance, demander au président du tribunal de première instance compétent ou à son vice-président d’attribuer audit enfant un prénom de père, un prénom de grand- père et un nom patronymique qui doit être, obligatoirement dans ce cas, le nom de la mère. ».
Un cadre du Ministère de l’intérieur nous confie discrètement : « cette enquête est plus que nécessaire. Il y a des filles qui sont connues pour çà. Elles font des enfants pour se faire de l’argent. Elles les confient à des gens contre de l’argent … Des arrangements, et d’autres trafics encore … Je ne vais pas pouvoir tout vous dire pour l’instant».
Les surnoms de bébé et de maman
À l’hôpital Wassila Bourguiba et ailleurs dans les hôpitaux régionaux, le personnel paramédical a pris l’habitude discrète de qualifier ces jeunes mamans de « cas sociaux »… un terme administratif qui annonce déjà la couleur.
Certains médecins ou des infirmières zélées se permettent d’attribuer des prénoms aux bébés. Lamia, 23 ans, «J’ai accouché à Wassila Bourguiba, l’infirmière m’a dit si j’avais déjà choisi le prénom de ma fille. J’ai un peu hésité et sans attendre ma réponse, elle a décidé de lui donner le prénom de Rahma, un prénom que je n’aime pas.»
Plus tard, c’est dans la rue, ou même au sein de leur propre famille, qu’à la moindre querelle, ces petits se font traiter de « Bâtard» ou « fils du péché » (oueld h’ram) pour les plus méchants et les moins ouverts d’esprit… «La vie ne m’a pas fait de cadeau» raconte S. , «j’ai subi cela à l’école avec mes camarades … Le regard des profs était insupportable aussi. J’ai alors eu la chance de quitter le pays … Et depuis douze ans, je n’ai pas mis les pieds ici. Ma situation est plutôt bonne en Italie et j’envoie de l’argent à ma mère tous les mois. Maintenant, je suis revenue la voir. Ma mère n’a jamais pu refaire sa vie, les mauvaises langues ne l’ont pas épargnée et elle aussi, on la traîte de tous les noms. À chaque fois qu’on insulte ma mère, je deviens violente et j’ai eu beaucoup de problèmes.
Une fois, on jouait au foot dans la rue, et je me suis disputée avec le fils des voisins à cause d’un but, alors il a traité ma mère de pute, j’avais douze ans et sans réfléchir j’ai pris la grosse pierre qui nous servait à déterminer la cage et je l’ai lancée de toutes mes forces sur le garçon. Il y avait du sang partout, il a été transporté à l’hôpital.»
La discrimination sociale et morale que subit cette catégorie d’enfants est souvent porteuse de violences psychologiques et physiques. Le conservatisme ambiant, aujourd’hui au pouvoir, n’est pas de nature à arranger cette situation.
Yasmine Hajri