Le secteur du transport est sur la sellette depuis plus de trois ans. Accidents à répétition sur les voies ferrées, qualité déplorable du transport en commun de voyageurs par bus, sociétés de transport en faillite virtuelle, subventions étatiques massives, sureffectifs et menaces de grèves, difficultés et surcoûts de la logistique du transport maritime notamment dans le port de Radès. Le Tunisien, quant à lui, rêve d’un transport en commun confortable et régulier depuis toujours…
Chiheb Ben Ahmed, ministre du Transport, s’est exprimé récemment sur Express FM et a fait des révélations intéressantes sur les actions entreprises, les projets ainsi que les objectifs à moyen terme du secteur. Nous attendons de voir se concrétiser ces promesses, mais de quoi s’agit-il ?
La logistique du transport assure un rôle quotidien et vital dans le fonctionnement de l’économie nationale tous secteurs confondus ainsi que le maintien de la cohésion sociale.
Un poids lourd de l’économie nationale
Il s’agit d’une chaîne ininterrompue qui mobilise et met à contribution infrastructures et équipements de base, matériel roulant, institutions étatiques et entreprises économiques étatiques et privées, routes et autoroutes, ports, aéroports, chemins de fer, compagnies maritimes et aériennes, sociétés de transport et offices nationaux sont étroitement impliqués dans le processus qui porte aussi bien sur les personnes que sur les marchandises, sans occulter tout ce qui est fluide, liquide et dangereux comme les hydrocarbures.
Le secteur du transport emploie directement 140.000 salariés, ce qui lui donne un poids social évident sans compter les emplois indirects, les impacts économiques et financiers induits dans l’ensemble des circuits du pays. Les investissements consacrés au secteur s’élèvent à 3,8 milliards par an soit 11,5% de l’ensemble des investissements consentis par la nation.
La progression de l’activité du transport, de 4% par an en moyenne avant la Révolution, s’est effondrée de 15% en 2011 avant de reprendre depuis à une cadence de 3% par an.
Il faut dire que la contribution du transport au PIB est évaluée à 15%, ce qui le place largement avant le tourisme et l’agriculture. Il y a deux indicateurs essentiels pour l’activité de la logistique du transport. Tout d’abord l’augmentation du coût de la transaction vis-à-vis de la valeur du produit qui est passée de 15 à 20% depuis l’avènement de la Révolution, ce qui est trop coûteux pour la compétitivité du produit tunisien. Le ministère s’emploie pour réduire ce taux et le ramener à son niveau inférieur, et ce par diverses actions et réformes qui touchent toutes les étapes de la logistique.
Le sauvetage des 26 entreprises publiques en difficulté
Sur 27 entreprises de transport placées sous la tutelle du ministère du Transport, 26 connaissent un déficit chronique et souffrent de graves difficultés financières, pour ne pas dire qu’elles survivent grâce à la “perfusion” de subventions étatiques et peuvent à tout moment se retrouver en cessation de paiement.
La faillite virtuelle guette à tout moment ces entreprises si ce n’était le soutien permanent de l’État. Selon le ministre du Transport, le total du déficit de ces entreprises est évalué à 1,4 milliard de dinars, ce qui est hors de portée du Budget de l’État.
D’autant plus qu’il s’agit de déficit structurel et chronique qui se renouvelle et s’accroit chaque année, bien que l’État éponge régulièrement ces dettes auprès des banques et procède au versement des subventions d’équilibre au profit de ces entreprises.
Il s’agit de procéder à des allègements d’effectifs, à des restructurations financières et à une mise à niveau de l’ensemble des fonctions de l’entreprise avec un changement de gouvernance et une rationalisation de la gestion afin de permettre à ces entreprises à l’avenir d’équilibrer leurs comptes et de se prendre en charge.
Une feuille de route bien remplie
Le ministère du Transport a élaboré une feuille de route bien remplie, un projet préparé par une commission d’experts et de responsables tunisiens qui connaissent les problèmes et ont abouti à des solutions consensuelles à réaliser par étapes.
Tout d’abord, le sauvetage des entreprises en difficultés à commencer par TUNISAIR dont le plan a été approuvé et est en cours d’exécution. C’est maintenant le tour de la STAM et de la CTN, leurs projets de restructuration ont été présentés au conseil des ministres. Suivront ceux de la SNTRI, de la SNCFT et de la TRANSTU. Il faut dire que ce ne sont pas là les seules entreprises du secteur qui connaissent des difficultés financières, car plusieurs sociétés régionales de transport comme la SORETRAS à Sfax, la Société du Sahel et de Nabeul notamment feront l’objet d’une restructuration.
Le ministère du Transport voudrait procéder à la mise à niveau de ces entreprises nationales : améliorer la qualité du service au projet des usagers, changer le mode de gouvernance, rajeunir le parc roulant, instaurer la culture de la maintenance, dégraisser les effectifs et créer un fonds d’impact et un fonds de retournement pour financer les opérations de restructuration financière et renforcer les fonds propres pour ne pas avoir tous les ans à faire décaisser au budget de l’État des subventions au profit des mêmes entreprises qui resteraient toujours déficitaires.
Le port de Radès : les premières mesures entrent en application
Le port de Radès a été accablé, à juste titre, de tous les maux : lenteurs et complexités des formalités, corruption et fraudes, congestion et encombrement par les conteneurs, désaffection des chargeurs et multiplicité des bateaux en rade, sous-équipement et défaillance des engins de levage…
Il faut dire que le port de Radès accapare 70% de l’activité commerciale et maritime du pays, qu’il a été conçu comme terminal pour les Roll-on Roll-off, mais a fini par concilier l’activité “RORO” et celle des conteneurs. En effet le port de Radès ne traitait que deux containers par heure et par engin, ce qui est dérisoire. Selon M. Chiheb Ben Ahmed, il serait passé à 9 ou 10 containers par heure. En attendant mieux.
Dorénavant, le port fonctionne 24h sur 24, soit trois équipes de 8 heures chacune qui se relaient pour faire face aux besoins et attentes des acteurs économiques. Le rythme d’activité qui n’était que de 450 containers par jour serait passé à 700, ce qui est plus conforme au rythme des activités d’import-export du pays.
Ainsi le “poumon du pays” se remettrait à fonctionner de façon plus active surtout que le ministère du Transport a mis en place des brigades mixtes pour réduire le niveau de la corruption et des fraudes.
Une zone logistique de 50 hectares est en cours d’aménagement à proximité immédiate pour soulager les conditions de stockage des conteneurs et un port sec de 15 ha est en cours d’implantation. Selon le ministère du Transport, une société est en cours de constitution pour promouvoir le port en eau profonde envisagé à l’Enfidha et ainsi soulager le port de Radès.
La congestion et les solutions à l’aéroport Tunis-Carthage
L’aéroport Tunis-Carthage est saturé depuis des années, il faut dire qu’il accapare 50% de l’activité du transport aérien du pays qui compte sept aéroports internationaux.
Cependant la répartition de cette activité est très déséquilibrée en ce sens que l’aéroport de l’Enfidha, créé pour soulager Tunis-Carthage, n’est pas en train de drainer une affluence optimale pour plusieurs raisons.
L’activité de l’aéroport de Tabarka est presque nulle à part quelques charters durant les deux mois de la haute saison d’été.
Tunis-Carthage ne dispose que de 6 tapis à bagages dont 5 seulement sont opérationnels, ce qui n’autorise à recevoir que 10 vols à l’heure alors que durant la période de pointe Tunis-Carthage reçoit 30 à 35 avions à l’heure.
Il est anormal et aberrant que les passagers attendent parfois deux heures pour recevoir leurs bagages alors que leur vol n’a duré qu’une ou deux heures. Il faut donc procéder à l’extension de cet aéroport par un deuxième terminal, ce qui implique des investissements lourds et 3 à 50 ans de délais pour les travaux.
Des brigades de contrôle ont été mises en place par le ministère du Transport en coopération avec l’OACA, TUNISAIR, la police et la douane pour mettre fin aux vols de bagages et mettre un peu d’ordre dans l’organisation des taxis dont le comportement est scandaleux suite aux pratiques qui consistent à “rançonner” les passagers qui rentrent chez eux par des prix exorbitants.
RFR : un viaduc pour sauver la place historique du Bardo
Les travaux de construction du réseau de transport ferroviaire express électrifié du Grand Tunis, qui ont été interrompus suite aux retombées de la Révolution, ont repris après plusieurs péripéties.
Rappelons que ce réseau qui comporte cinq lignes d’une longueur totale de 85 kilomètres devrait résoudre en principe le problème du transport en commun de la métropole en jouant le rôle de l’ossature autour de laquelle doit se greffer le réseau des bus jaunes et du métro.Il s’agit d’un transport de masse rapide et confortable (climatisé) sécurisé et non polluant.
Les travaux devraient être achevés en principe en juillet 2017. Or l’opposition exprimée par la société civile, la mairie du Bardo ainsi que l’ANC a été entendue par le ministre.
Le projet du trajet initial du RFR consistait à faire traverser aux rails du RFR la place historique du Bardo en surface, ce qui aurait abouti à scinder la ville en deux, ce qui est inadmissible et aurait défiguré le site. La solution du tunnel pour la traversée des rails n’a pas été retenue, car trop coûteuse : 3 à 4 milliards de dinars.
Finalement, c’est la solution du viaduc qui a été retenue pour le passage du RFR, elle ne coûterait que 800 millions de dinars. Elle pourrait concerner également les rails du métro qui dessert la Manouba, au grand bonheur des automobilistes et des piétons, cela retarderait d’un an au moins l’avènement du RFR.
Ridha Lahmar