Ennahdha, la famille mère
Ennahdha est la pierre angulaire du courant islamiste en Tunisie. À lui tout seul, ce parti est une famille à part entière avec une aile modérée, une aile dure. Celle-ci demeurant toutefois sous-jacente. La genèse du parti Ennahdha remonte en effet aux années 70. Après une période de gestation au sein des mosquées, dans le contexte de la Révolution iranienne, l’islam politique dans notre pays prend de la vigueur au sein de l’université, porté par des jeunes affectés par la défaite de de l’Égypte lors de la guerre des six jours en 1967 et notamment par la déchéance du panarabisme prôné par Nasser. Parmi cette jeunesse se trouvait Hamadi Jebali qui deviendra l’un des piliers de ce mouvement. En outre, Rached Ghannouchi, professeur de philosophie converti aux thèses des Frères musulmans lors de ses études au Caire, dirige une revue, Al-Maarifa, et prend la parole dans les mosquées avec des prêches de plus en plus suivis par les jeunes. En même temps, Abdelfattah Mourou, étudiant en théologie et en droit à l’Université de Tunis, anime de son côté de petits cercles de réflexion. Quant à Salah Karkar, il poursuivit des études en sciences économiques à la même université que Mourou. Il fut connu à l’époque par son admiration des idées des Frères musulmans et des plus radicales comme celles de Sayyid Qotb, entre autres. Ensemble, surtout le dernier trio cité, ils mettent en place l’Association pour la sauvegarde du Coran, inspirée des Frères musulmans, puis, avec l’ouverture de l’espace politique tunisien en 1981, un parti politique, le Mouvement de la tendance islamique (MTI). La demande de légalisation est déposée le 6 juin de la même année. Elle rencontre aussitôt un refus. C’est ainsi que se constituèrent des réseaux dormants au sein des comités de quartier défavorisés ainsi que des associations dites de bienfaisance mais en réalité fortement politisées. Ces réseaux demeurent en veille durant la période répressive de Ben Ali et en particulier lors de la première guerre du Golfe en 1991. Après cette vague de répression, la plupart des leaders choisissent l’exil alors que les arrestations se poursuivent chez les militants et même les sympathisants du parti.
Après le 14 janvier 2011, Ennahdha remporte les premières élections libres de l’histoire de la Tunisie, organisées le 23 octobre 2011. Durant les premiers mois de leur gouvernement, les nahdhaouis avaient en tête l’idée d’un État religieux et l’application de la Charia. Au pouvoir et son usure, ils deviennent de plus en plus réalistes et renoncent ainsi à l’inscription de la loi islamique dans sa version moyenâgeuse dans la Constitution. Aussi, la période de gouvernement d’Ennahdha est caractérisée tantôt par les improvisations tantôt par un manque de réactivité et une lenteur dans la prise de décisions, entre autres, par rapport à la question du terrorisme ; étranger au pays.
La famille de l’islamiste internationalisé de Hizb ut-tahrir (Parti de libération)
Après une quarantaine d’années d’interdiction, Hizb ut-Tahrir obtient son visa le 17 juillet 2012, accordé par le gouvernement de Hamadi Jebali, et ce malgré les visées antirépublicaines que le Hizb Ut-tahrir prônait sans ambiguïté dès le départ. Les fondateurs de ce parti furent jadis en exil en Allemagne entre autres.L’organisation du parti Ut-tahrirfut fondée en Tunisie aux alentours de la fin des années 1970 (sachant que le parti fut constitué en Jordanie au début des années 50). En 1983, furent arrêtés ses principaux leaders. Ut-tahrir connaitra plusieurs vagues d’arrestations et d’interdictions (1987, 1991, 2005, 2008). Or, il se présente comme une organisation non-violente. Il est né d’une scission avec les Frères musulmans. Sur le plan international, le mouvement est présent dans le monde entier et il opère dans plus de 70 pays et compte plusieurs millions d’adhérents et de sympathisants à travers la planète.
Si au départ la motivation première du groupe était la libération de la Palestine, son but est désormais l’établissement d’un nouveau califat sur tout le monde musulman. Dès sa constitution, la branche du Hizb ut-Tahrir s’est organisée en cellules appelées Halakat, (cercles). Il s’agit de petits groupes d’études voués à la propagation de l’Islam et du message du parti qui recrute aussi bien des ouvriers que des cadres et des étudiants en se basant essentiellement sur les livres et les brochures écrits par le Cheïkh Al- Nabhani.
Selon Hizb ut-tahrir, la démocratie n’est qu’une illusion entretenue par le capitalisme mondial. Partant de ce constat, le parti défend l’idée d’un changement radical en rupture avec le système capitaliste mondial fondé sur la religion musulmane. Sur le plan politique, le parti prône un régime où le pouvoir se situe aux mains de l’Oumma (nation musulmane) qui choisit son calife à travers des élections. Toutefois, la suprématie absolue demeure celle de la loi islamique. Sur le plan économique, Hizb ut-Tahrir plaide pour une révolution industrielle et une agriculture forte. Il estime aussi que l’économie nationale ne doit en aucun cas se baser sur le tourisme et l’investissement extérieur qui restent très dépendants des aléas conjoncturels.Le parti se déclare, par ailleurs, en faveur du respect des droits des minorités religieuses.
Il importe de signaler pour finir que le visa accordé à ce parti est de plus en plus sur la sellette. En ce sens, le premier ministre Mehdi Jomâa le 10 juillet 2014 a clairement signifié son intention de prendre des mesures sévères à son encontre. Jomâa a expliqué que Hizb ut-Tahrir, qui avait obtenu son agrément il y a environ deux ans, avait appelé à ne pas respecter la Constitution et à rejeter la démocratie.
La famille de l’islamisme britannique du courant Al-Mahaba (Le courant de l’amour)
Hechmi Hamdi, fondateur et ancien président du parti Al-Aridha (Pétition populaire) lance un nouveau courant politique baptisé « Al-Mahaba » en mai 2013. Le fondateur du parti Al-Mahaba justifie donc la création de ce nouveau courant par sa volonté d’entrer en lice dans les prochaines élections avec un programme politique et social plaçant au premier rang de ses priorités la garantie de la gratuité des soins à tous les Tunisiens et l’octroi d’aides sociales à tous les chômeurs, en guise de prime à la recherche d’emplois. Chose qui n’existe pas en Tunisie.
Ayant utilisé après le 14 janvier 2011 sa propre chaine de télévision comme outil de propagande pour son ancien parti Al-Aritha, échappant ainsi à toute régulation puisqu’il diffuse depuis Londres, Hechmi Hamdi décide à présent, aidé par la création de son nouveau courant, de jouer le jeu des prochaines élections présidentielles. Ainsi, ne tarde-t-il pas à demander l’aide d’activistes et de membres de la société civile tunisienne afin de garantir son droit de passage à la télévision et dans le reste des médias nationaux. Dans la foulée, il promet de ne plus aborder les questions politiques sur sa propre chaîne de télévision Al Mustakellah durant la campagne électorale. En outre, le parti Al-Mahaba ne manque pas de solliciter le soutien et la solidarité de la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA) ainsi que la Ligue tunisienne de défense des Droits de l’Homme (LTDH) et de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT). Objectif : convaincre la télévision nationale et les médias à lever le blocus dont il fait l’objet ainsi que les députés d’Al-Mahaba, depuis les élections d’octobre 2011.
La famille des partis salafistes autorisés après le 14 janvier 2011
Dans cette catégorie se loge trois partis :
Le Front de la réforme
Le Front de la réforme a été autorisé le 29 mars 2011. Son président, Mohamed Khouja, indique que l’idéologie de son parti est l’islam. Un bon nombre des militants de ce Front sont d’obédience salafiste. En ce sens, ce Front salafiste met bien en avant son référentiel islamique. Il considère en outre que ceci n’est pas en contradiction avec le droit à participer aux affaires publiques. Aussi, le Front de la réforme se dit pour le respect de la loi, la préservation des acquis du peuple, la consécration des valeurs républicaines, le droit du peuple de choisir ses représentants en toute liberté, la préservation de ce qu’il appelle les « acquis de la Révolution » et la protection de la patrie contre toute menace et de défendre une approche du juste milieu.
Le parti Al-Assala
Al-Assala est dirigé par Mouldi Ali El Moujahid, Secrétaire général du parti. Le parti est embryonnaire. Il est légalisé en 2012. Les positions du parti se situent entre l’allégeance au parti Ennahdha et la désobéissance. Cette tergiversation peut se lire à la lumière de l’interdiction du séminaire organisé par le Parti Al-Assala le 24 novembre 2014. Ce séminaire avait pour thème «Il n’est de pouvoir que celui de Dieu». Cheikh Hassen Kattani (Maroc) un des invités phares de ce séminaire a été refoulé par la police des frontières à son arrivée à l’aéroport Tunis-Carthage. Par conséquent, le Secrétaire général du Parti Al-Assala n’a pas manqué de dénoncer cette décision qu’il considère «comme une erreur fatale, voire un couteau que nos frères d’Ennahdha nous enfoncent dans le dos». Le parti Al-Assala se dit de surcroit pour un discours modéré et nie en bloc toute tentative d’endoctrinement des jeunes du pays pour un islam violent.
Le parti Errahma (la miséricorde) :
Le parti Errahma a obtenu son visa en juillet 2012 son président est Saïd Jaziri. Ce dernier déclare vouloir instaurer la Charia, porter des réformes dans tous les secteurs et veiller au changement de la mentalité politique.Jaziri fut en outre ex-imam au Québec où il prêchait à la mosquée Al-Qods de Montréal. Au Canada, il est surnommé l’«imam controversé». Saïd Jaziri a été expulsé du Canada vers la Tunisie en 2007 à la suite d’une longue bataille judiciaire. Son statut de résident a été révoqué parce que l’ex-imam montréalais avait caché ses antécédents judiciaires de violence en France, au milieu des années 90. En décembre 2011 après que des douaniers américains l’eurent découvert caché dans le coffre de la voiture d’un passeur, près de San Diego, il est de nouveau renvoyé vers son pays natal.Il avait quitté en effet la Tunisie lors de la Révolution qui allait provoquer la chute du régime Ben Ali et a tenté de revenir au Canada via le Mexique, puis les États-Unis. Par la suite, il a expliqué au journal de Québec que le «Canada avait sous-traité» sa torture en Tunisie.Sa femme, qui réside à Laval, est vice-présidente de l’association qui possède la mosquée Al Qods, rue Bélanger, édifice évalué à 1,2 million.
Dans un entretien accordé au journal canadien la Presse il dit : «mon devoir en ce moment est d’aider mon pays, qui est en pleine révolution, et de lui apporter des solutions […] l’islam radical ne même à rien». Jaziri considère que sa mission en Tunisie consiste présentement à répondre à une «demande du peuple», qui «veut la Charia» et en «a assez d’être écrasé et de ne pas être écouté». L’intrusion du controversé imam dans l’arène politique tunisienne a déclenché de vives réactions – surtout depuis l’assassinat de l’opposant de gauche Chokri Belaïd.
La famille des partis islamistes groupusculaires
Dans cette catégorie on ne citera que 6 partis, que l’on présentera brièvement de la manière suivante :
Parti de la dignité et de l’égalité (PDE)
Situé à Ben Arous, dans la banlieue de Tunis, ce parti est fondé en mars 2011 par Riadh Amri et est d’obédience centriste islamiste. Parmi les grands points du programme politique, économique et social de ce parti, se trouvent l’emploi des jeunes diplômés et la préconisation d’un front commun entre la Libye, l’Egypte et la Tunisie. Cette union, à même de constituer une puissance régionale, bénéficiera de ressources naturelles importantes et de compétences se trouvant dans les trois pays. En outre, ce parti recommande que les biens mal acquis des dictateurs, actuellement gelés, soient restitués et déposés sur une caisse commune finançant les pays musulmans.
Pour ce qui est de la politique sociale, PDE s’oppose à l’égalité hommes-femmes dans l’héritage, prône un islam malékite dans la continuité de l’histoire de la Tunisie et se dit contre l’application de la Charia.
La devise de ce parti est entre autres, « le meilleur modèle pour la Tunisie, c’est la Tunisie elle-même ». Cette signature est une manière de remettre à leur place ceux qui veulent importer un modèle turc ou autre. Le parti est in fine pour la séparation de l’État et de la religion, considérant que les Tunisiens sont musulmans et que la religion s’applique aux personnes et non à l’État.Sur le plan du fonctionnement du système politique, le parti est pour un régime semi-présidentiel avec un parlement nommant le Premier ministre.
Mouvement national de la justice et du développement (MNJD)
Parti de très petite taille, présidé et fondé par Mourad Rouissi en mars 2011. Mourad Rouissi est détenteur d’un doctorat en sociologie décroché à l’Université Laval au Canada en 2010 et est actuellement enseignant-chercheur à la faculté des lettres et des sciences humaines de La Manouba. Le MNJD se caractérise par son nationalisme et son ouverture sur les expériences mondiales. D’inspiration turquo-algérienne, le parti cherche les valeurs humaines afin de faire face au phénomène de la mondialisation et du pouvoir technologique économique et militaire sur le monde. Le parti se positionne en effet contre le régime présidentiel et prône un régime parlementaire. En cela, il soutient la ligne directrice d’Ennahda dont il est très proche.
Mouvement de la dignité et du développement(MDD)
Ce groupement politique réunit en son sein des avocats, des médecins, des hauts fonctionnaires. Il a un projets’inspirant et s’inscrivant dans la vision du mouvement islamiste turc AKP. Ce mouvement est dirigé par Jihed Barouni. Il obtient son visa en mars 2011. Le crédo de ce mouvement est grosso modo la laïcisation de la pratique politique. En ce sens, la religion est circonscrite à la sphère privée.
Rencontre réformatrice démocratique(RRD) appelé aussi parti Liqaa
Sa naissance remonte, en effet, au 23 mai 2005 quand une nuée d’opposants exilés proches d’Ennahdha décidèrent d’offrir une alternative aux mouvements islamistes déjà existants et d’élargir le spectre de l’islam politique. La RRD fut légalisée en avril 2011. Son fondateur est Khaled Traouli. RRD prône la moralisation de la politique et se dit être réformatrice et progressiste tout en se réclamant d’ancrage arabo-musulman. Sur le plan politique, elle défend l’instauration de l’État de droit et des institutions. «Chaque mot de la dénomination du parti reflète nos préoccupations et nos objectifs. Par Rencontre nous avons voulu exprimer la nécessité de la fraternité, de la citoyenneté, du dialogue ainsi que le refus de toute exclusion ou de marginalisation. Le mot Réforme exprime notre attachement à l’action civile pacifiste pour un changement dans un cadre qui privilégie les valeurs et la morale alors que la Démocratie reste notre devise dans toutes les circonstances», résume M. Traouli.
Parti Ouverture et Fidélité (POF)
Le fondateur de ce parti est Bahri Jelassi. Son programme tourne autour de la polygamie, les femmes au foyer et l’âge légal pour les marier ramené à 13 ans. Le parti a été légalisé en mars 2011. POF urge pour l’ouverture des frontières avec la Libye et considère la question du terrorisme comme un leurre politiste. En outre, Jelassi appelle à la révocation pure et simple du Code du statut personnel (CSP), considérant l’athéisme comme véritable danger pour la société tunisienne et œuvre pour remplacer le CSP par un corpus juridique tirant sa légitimité de la Charia.
Le parti Tunisie Zitouna (PTZ)
Adel Almi est l’unique fondateur du parti Tunisie Zitouna lequel est légalisé en février 2014. Le parti prône en effet la polygamie, la séparation entre filles et garçons en milieu scolaire, la création de tribunaux choraïques, l’interdiction de l’adoption et l’abrogation de l’article 6 de la Constitution relatif à la liberté de conscience. Adel Almi est par ailleurs ancien membre du RCD (ex-parti au pouvoir dissous) reconverti dans l’islamisme politique, aujourd’hui proche à la fois d’Ennahdha et des salafistes wahhabites.
Mohamed Ali Elhaou
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