Durant l’antiquité, Carthage était le grenier de l’Empire romain. Magon, agronome carthaginois était une référence en matière de gestion et de développement agricoles, alors que le reflux des Andalous sur l’Ifriqiya avait engendré aux 16e et 17e siècles la prospérité des plantations fruitières et autres cultures irriguées dans les plaines du Nord-Est et du Cap Bon. Ce qui a fait de la Tunisie un pays à économie agricole jusqu’au milieu du 20e siècle.
Ce n’est qu’au lendemain de l’indépendance que l’industrie, le commerce et le tourisme ont commencé à concurrencer l’agriculture en qualité de sources de revenus, d’où la génération de valeur ajoutée et de créations d’emplois.
Il faut reconnaître que l’agriculture, bien qu’ayant été négligée et sous-estimée durant 60 ans, représente encore 13% de l’emploi dans le pays et 9% du PIB. Si l’on y ajoute l’agro-industrie et les services liés directement ou indirectement à l’agriculture (commerce, transports, exportations, restauration), on grimpe allègement à 25%, ce qui est loin d’être négligeable.
Nous ne devons jamais perdre de vue le fait que l’agriculture attache les jeunes à la terre et empêche la désertification des zones agricoles, que ce sont les paysans qui nourrissent la nation et que c’est la culture du sol qui crée le plus d’emplois pour 10.000 D par exemple d’investissements consentis, ce qui réduit l’exode rural
Il y a d’abord une défaillance majeure, celle du financement bancaire : celui des crédits de campagne qui sont minimes eu égard aux coûts réels et qui sont débloqués trop tard chaque année mais aussi ceux relatifs à l’investissement agricole dont les taux d’intérêt flambent et qui sont plutôt dissuasifs. Il faudrait des taux d’intérêt bonifiés à l’image de ceux concédés aux candidats aux prêts fonciers du programme « premier logement ». 11% seulement des paysans accèdent aux financements bancaires, un taux ridiculements bas, ce qui est un obstacle à la modernisation de l’agriculture. En outre, le problème du surendettement bancaire est toujours de mise : il est évalué à 100 millions de dinars dans sa globalité et n’a toujours pas été résolu malgré les promesses car le compteur des intérêts bancaires est toujours actionné et « cartonne ». C’est un obstacle lourd de conséquences pour les petits producteurs, une épée de Damoclès, improductive et inutile.
Les pertes et gaspillages après récolte en matière de fruits et de légumes sont respectivement de l’ordre de 31,7%, et de 12% selon le président de l’UTAP.
Pour la pomme de terre, ils sont catastrophiques : 15.000 tonnes en 2019 et en moyenne 12.000 tonnes par an à cause des conditions de stockage déplorables pratiquées par les structures d’importations étatiques pour contourner les spéculateurs, Or, subventionner le stockage de la pomme de terre locale comme savent le faire les paysans aurait coûté moins cher et évité le gaspillage de devises, outre la subvention-compensation du prix au profit du consommateur. Cela dit, en supposant que l’importation ait été faite de façon transparente et loyale et qu’elle ait porté sur des produits sains au niveau des maladies cryptogamiques, ce qui n’est pas évident.
Il y a les défaillances liées à la commercialisation et à la subvention des semences sélectionnées et des engrais qui connaissent en permanence des perturbations inexplicables et intolérables : ce sont les barons de la contrebande qui accaparent les produits grâce à leurs capitaux, entrepôts et camions, provoquent la pénurie, font grimper les prix et maîtrisent le marché aux dépens des agriculteurs.
L’Etat est-il incapable de maîtriser les circuits de commercialisation des produits agricoles entendons les gacharas, grossistes et spéculateurs qui « rackettent » les paysans en achetant à bas prix les « produits agricoles sur pied » pour spéculer sur les prix, stocker en chambres froides, hors de l’enceinte du marché de gros.
En somme, l’Etat tente de soigner les symptômes, soit les importations de substitution car il est incapable de résoudre les maux à l’origine, la lutte contre les spéculateurs.
Certes, après de longues et importunes tergiversations, l’Etat a créé le fonds de réparations des catastrophes naturelles, qui est, somme toute, financé par les producteurs eux-mêmes, les textes d’application étant contestés par les producteurs, car ils vident de son efficacité le principe même du dédommagement attendu de ce fonds.
Les assurances agricoles sont peu répandues car trop chères pour la bourse du paysan, il y a là une action promotionnelle à engager pour combler cette brèche.
Les importations de lait, de viande… constituent des mesures coûteuses pour le Trésor public et la balance des paiements, conjoncturelles, momentanées. Ce ne sont pas des mesures durables et efficaces à moyen et long termes, plutôt une subvention pour les producteurs étrangers.
Le montant prévu au budget de l’Etat au titre de 2020 pour les subventions à l’investissement agricole est presque dérisoire, sinon insignifiant, soit 155 MD. Il faudrait doubler ou tripler ce montant, car il doit être générateur de valeur ajoutée, de création de richesses et d’emplois.
Il suffit de rappeler que les récentes récoltes-record de céréales, de dattes et d’huile d’olive avec les exportations génératrices de devises pour les deux derniers produits, donnent raison à Abdelmagid Ezzar, président de l’UTAP, qui déclare à cor et à cri que l’agriculture est la solution à la crise économique qui sévit dans le pays, même si elle n’est pas la seule en vérité, devant être accompagnée par le tourisme, les exportations et l’émigration temporaire des jeunes et des adultes qui envoient de l’argent à leurs familles pour lutter contre la pauvreté.
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