Faire rire sans raconter d’histoires. Les pièces de théâtre à un seul comédien ne cessent de susciter le débat. S’agit-il de véritables pièces de théâtre ou d’un simple étalage d’un humour marchand, parfois de bouffonnerie, ou de la narration de situations comiques saupoudrées de critiques souvent galvaudées des maux de la société?
Bien que ces derniers temps le one-man-show, ou si l’on veut être plus précis le stand-up, soit devenu monnaie courante, voire considéré comme le symptôme de la culture de masse et souvent un recours à la facilité et une manière de faire fructifier un certain succès dû à des passages à la télévision, quelques artistes sortent du lot. Lotfi El Abdelli en est un.
En ce sens, malgré le fait que son art soit très accessible, l’acteur est véritablement talentueux et ne fait que s’adapter à un environnement culturel tunisien obligeant l’artiste à porter plusieurs casquettes afin de pouvoir vivre de son art.
À l’examiner de plus près, le travail d’Abdelli est caractérisé par une énergie débordante et utilise très peu de moyens pour accompagner et mettre en scène son spectacle.
En ce sens, durant deux heures d’affilée, le public de Boukornine a été très tenu en haleine, oubliant le décor minimaliste de ce show et se focalisant sur les faits et gestes de l’artiste dans une grande séquence d’oubli du temps qui passe.
Abdelli, en mimant à merveille des personnalités de l’islam politique en Tunisie telles que Hamadi Jebali, Ali Laârayeth ou encore Rached Ghannouchi, arrive en effet à déborder le cadre ordinaire de la scène et donne à son public l’impression qu’il leur adresse la parole de manière individuelle, comme s’ils étaient, lui et eux, assis à une terrasse de café, entre amis. Pour ce faire, il faut dire qu’Abdelli prend des risques, compte sur chaque mot qu’il prononce, sur son sens de la dérision, de l’humour acerbe et sa maitrise de l’art de la scène par sa qualité d’ancien danseur.
Dans un entretien qu’il a accordé à Réalités sur son spectacle, Abdelli mentionne le fait que quand il travaille son spectacle il essaye toujours d’approfondir son objet en interrogeant des sociologues et des psychologues. Il dit s’inspirer des recherches menées sur le langage tunisien et son évolution. Il mentionne aussi le fait qu’il fait de multiples observations avant d’écrire lui-même son texte en se basant sur son vécu et sur sa proximité avec la société tunisienne et notamment des classes populaires de la capitale.
Par rapport à la justesse de son approche, Abdelli évoque le fait qu’il discute longuement et en détail avec des spécialistes de l’art de la scène ainsi qu’avec des metteurs en scène afin de peaufiner son travail susceptible ainsi de toucher le public.
Sur scène, il regarde beaucoup dans le vide. Il ne fixe personne quand il joue, contrairement par exemple à Wajiha Jendoubi qui a un regard poignant et déstabilisant.
En même temps, tout au long de son spectacle il fait certes rire son public, mais il est paradoxalement en rapport conflictuel avec lui : tel un gladiateur, ou peu s’en faut.
Pour information : Lotfi Abdelli sera de nouveau sur la scène de Boukornine le 29 août 2014 à partir de 22 h.
Mohamed Ali Elhaou