Nul ne peut nier que le tourisme tunisien se porte mieux, il améliore ses résultats d’une année à l’autre et les perspectives de l’année 2020 sont prometteuses.
Certains parlent de performances et peut-être de records par rapport aux chiffres du passé (2010). Il faudrait raison garder et relativiser tout cela. Nous devons relever nos multiples défaillances afin d’y remédier, nos différents points faibles pour en faire des atouts majeurs, car le tourisme peut et doit devenir un moteur de croissance et un pôle de développement.
Les seules conditions nécessaires et suffisances sont la volonté politique sincère et une stratégie pertinente à moyen terme, basée sur un partenariat public-privé sous forme de pacte de compétitivité.
Les statistiques disent 9,5 millions de visiteurs, en fait les entrées des non-résidents tunisiens et maghrébins, c’est-à-dire la clientèle hôtelière, c’est seulement 3 à 3,5 millions. Mais heureusement qu’il y a des Algériens et des Libyens respectivement (2,7 et 1,4 millions) pour venir chez nous et dynamiser l’économie tunisienne.
Il y a beaucoup à faire pour reconquérir les marchés européens en termes d’image et de marketing.
Alors que nous voulons tirer la qualité de nos prestations de service et la qualité diversifiée de nos produits touristiques vers le haut, le produit balnéaire de masse, bas de gamme à prix bradés, reste dominant.
Certes, le tourisme saharien a repris des couleurs, le tourisme de santé et la thalassothérapie tiennent la route mais pour le reste, il s’agit de niches qui n’ont pas encore percé : congrès, sport, écologie, golf, plaisance…
Le tourisme culturel susceptible de provoquer l’irruption d’un tourisme haut de gamme, très rémunérateur, permettant d’irradier ses bienfaits sur les régions intérieures où se trouvent des sites archéologiques grandioses et prestigieux comme Sbeïtla, Bulla Régia, le Colisée d’el Jem, Dougga, etc, reste un vœu pieux.
Les départements du tourisme et de la culture, susceptibles d’élaborer une stratégie commune dans ce but en étant complémentaires voire complices pour la bonne cause, n’arrivent pas à s’entendre sur celui qui sera tête de liste pour conduire le processus. En conséquence, c’est le statu quo depuis toujours, et c’est vraiment dommage car le tourisme culturel peut rapporter dix fois plus en termes de recettes en devises et amorcer le processus du développement régional avec bien sûr une qualité de prestations de services supérieure, sans compter le fait de fonctionner toute l’année, ce qui atténuerait le phénomène de la saisonnalité.
Quel état des lieux pour le secteur hôtelier, infrastructure de base pour le tourisme ?
Selon Afif Kchouk, président de l’Union nationale des industriels de l’hôtellerie, sur une capacité d’hébergement totale de 242.000 lits, seulement 183.000 lits sont en activité et dont le taux d’occupation ne dépasse pas 50%, ce qui est peu productif et peu rentable. Cela correspond à environ 120 hôtels d’une capacité moyenne de 500 lits, soit 59.000 lits environ qui sont fermés depuis des années, faute de clients et de fonds propres.
Il y a là un patrimoine immobilier de grande valeur économique et financière qui est inexploité, improductif et qui se dégrade irrémédiablement, faute de maintenance et d’utilisation.
La recette en devises ne peut être que dérisoire, 5 milliards de dinars environ, si le produit est mono-gamme, de qualité médiocre, ce qui correspond à des prix bradés et à des hôtels surendettés auprès des banques, cherchant tout simplement à remplir leurs unités durant la haute saison, sans plus.
L’Etat doit favoriser une solution négociée pour l’apurement de la dette des hôtels, au cas par cas, avec un rééchelonnement pour permettre la remise à niveau et la réouverture des hôtels afin de recréer des emplois et d’accueillir plus de touristes.
La mise à niveau et la rénovation des hôtels, financées par l’AFD, sont un processus très intéressant qui a eu un certain succès, mais les conditions requises sont contraignantes, notamment l’assainissement financier préalable.
En ce qui concerne la commercialisation du produit touristique, on peut attribuer à notre pays le « zéro de conduite » : ce sont les TO européens qui imposent leurs prix mais aussi leurs conditions de paiement et la monnaie de référence.
Les TO sont payés au comptant par leurs clients, mais ne paient les hôteliers que 90 jours après le séjour.
L’hôtelier garantit la disponibilité des lits même en haute saison, mais le TO n’est pas tenu de tenir ses engagements, d’où le surbooking coûteux mais obligé pour l’hôtelier, à sens unique.
On sait dorénavant le prix à payer par l’hôtelier et le secteur après les déboires occasionnés par la faillite retentissante de Thomas Cook, TO n°1 en Europe : 60 milliards de dinars. Une faillite prévisible et programmée pour la fin de la haute saison 2019 : une ardoise très lourde à digérer par un secteur en difficulté.
En outre, l’édifice de la formation professionnelle touristique et hôtelière mérite une restructuration totale. Mis au point par l’ONTT il y a quarante ans, il a perdu beaucoup de sa vitalité, de son ampleur et de l’engouement des jeunes à la recherche d’une formation qualifiante et diplomante en vue d’un avenir solide, depuis le déclenchement de la crise du tourisme en 2011.
Or, la fermeture de plusieurs dizaines d’hôtels a poussé le personnel hôtelier qualifié et compétent, qui a perdu son emploi, soit à changer de métier, soit à émigrer.
Résultat des courses : la raréfaction de la main-d’œuvre qualifiée et la régression de la qualité des services hôteliers.
L’UNIH qui a tenu son premier congrès en janvier 2020, déplore le développement du « tourisme parallèle » qui se fait aux dépens de l’activité hôtelière légale en particulier, et de l’économie touristique en général : change de devises « au noir », pas de déclaration fiscale ni de paiement d’impôts, sécurité approximative…
Il s’agit de l’hébergement de touristes dans des appartements en location chez des particuliers qui échappent à toutes statistiques, à l’exception des entrées aux frontières. Mais aucune trace au niveau des nuitées, des recettes en devises et des impôts.
L’Etat, les banques nationales et les investisseurs privés ont beaucoup investi depuis un demi-siècle dans les infrastructures hôtelières et les superstructures touristiques pour des recettes en devises dérisoires. Le secteur mérite une restructuration, un assainissement et une révision des normes de gestion pour être au diapason des revenus au niveau mondial. n
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