Après M. Adel Ben Ismail, l’ex. président de la commission de confiscation, c’est au tour de l’actuel président, M. Najib Hnene d’émettre quelques réserves sur l’ambigüité de la législation sur la confiscation. Ses réserves portent sur la procédure qui suit la confiscation : quels recours administratifs ou judiciaires possibles ? Par ailleurs, toutes les décisions de confiscation ou d’interdiction de quitter le territoire prises respectivement par la commission de confiscation et le tribunal ne semblent pas être appliquées aux personnes concernées et sur les biens appropriés. Focus
Comment peut-on changer un système économique corrompu par une décision prise à la hâte et sous une pression sociale incessante ? Dépassé par les évènements et pour faire taire les revendications, l’Etat a créé deux commissions : la commission de confiscation et la commission d’investigation sur la corruption et la malversation. Un peu moins de deux ans depuis leur création, ces commissions ne font pas l’unanimité. Des hommes d’affaires qui ont traité avec le clan Ben Ali circulent impunément et continuent de gérer leurs affaires. Des hommes d’affaires qui se sont vu spolier une partie de leurs biens par le clan Ben Ali sont interdits de quitter le territoire et leurs biens confisqués. Comme par magie, des victimes deviennent coupables et des coupables se font passer pour des victimes. Faut-il rappeler à M. Hnene que les décisions de sa commission sont régies par les dispositions de la convention internationale contre la corruption. Des avocats pensent que le droit de confrontation, le droit de défense et le droit de recours mentionnés dans cette convention ne sont pas pour autant appliqués. Alors comment peut-on séparer le bon grain de l’ivraie ? Comment peut-on préserver les droits des personnes, notamment la présomption d’innocence ? Et combien même la décision est administrative, elle doit être fondée, prouvée et démontrée. Avec l’éparpillement de l’application de la justice transitionnelle sur plusieurs commissions et sur plusieurs ministres, le résultat tardera à venir. «Il y a un problème de qualification et de méthodologie pour appliquer la justice transitionnelle» déplore un magistrat. Le solde de tout compte de notre système économique doit être fait.
La confiscation des biens
Selon une décision du tribunal, des centaines d’hommes d’affaires et de chefs d’entreprises, se sont vu interdire de quitter le territoire, car éventuellement ils auraient été impliqués dans des affaires de corruption et de malversation avec le clan Ben Ali. En attendant leur innocence qui tarde à venir, ils sont tenus de rester chez eux. Quant à leur business à l’international, M. Bhiri ministre de la Justice va jusqu’à déclarer, sans rire : «vous pouvez conclure vos affaires par internet et communiquer avec vos partenaires par «Skype». Sauf que notre ministre oublie que le partenaire étranger n’est pas tenu de traiter avec son homologue tunisien par le biais du skype ? Quel sort réserve-t- on à ce partenariat ? Cet investisseur étranger tiendrait-il à investir en Tunisie ou s’associer avec un Tunisien, dont le nom est mentionné dans des affaires de corruption. Nous l’avons dit, la réalité est paradoxale : pendant que des hommes d’affaires sont incarcérés, on voit d’autres, qui semblent être les plus corrompus, continuer de voyager et de gérer leurs biens qui ne sont pas non plus confisqués. Pourquoi le gouvernement n’a-t- il pas mis en place des critères de qualification pour identifier les personnes impliquées. Selon un magistrat averti, on peut distinguer au moins trois catégories parmi ces personnes. Une première faite des parvenus après 1987 et qui ont profité du système en traitant avec le clan Ben Ali avec consentement et profit mutuel. La deuxième catégorie est celle des victimes de Ben Ali à l’époque et aujourd’hui victimes du gouvernement. Ces personnes ont été spoliées et ont été obligées de vendre gratuitement une partie de leur entreprise ou leurs biens au clan. Pour la troisième catégorie, elle concerne les grands opérateurs économiques déjà établis avant 1987 et qui ont flairé l’intérêt de s’associer au clan Ben Ali et sont toujours hors d’atteinte actuellement. Pour différencier ces catégories, des experts proposent qu’un comité indépendant constitué d’avocats, de juges, de comptables et d’experts ait pour mission d’identifier le bon grain de l’ivraie.
Quel avenir pour ces hommes d’affaires interdits de quitter le territoire et quel sort réserve-ton aux biens confisqués ? Jusqu’à quand ces dossiers vont continuer à trainer entre le tribunal, la commission de confiscation, le ministère des Droits de l’Homme et de la justice transitionnelle ? Allons-nous attendre encore des dizaines d’années avant de voir les victimes récupérer leurs biens spoliés dans une première étape par le clan Ben Ali puis confisqués par le gouvernement?
Najeh Jaouadi