La pandémie est en train d’opérer des transformations radicales et une remise en cause sans précédent de notre monde. Ce sont nos rapports avec l’autre, avec la maladie, avec le corps et avec le monde qui sont en plein bouleversement, avec aussi une grande part d’incertitude qui est au centre des angoisses et des peurs sur l’avenir.
La globalisation est au centre des questions critiques, voire même des rejets dans cette guerre contre la pandémie. Pour beaucoup, cette dynamique présentée par le néolibéralisme triomphant au début des années 1980 comme une réponse à la crise de l’Etat-providence et un moyen pour l’individu d’échapper au monde rigide de la modernité et d’atteindre les joies de la postmodernité, est remise en cause un peu partout. N’est-elle pas à l’origine de la marginalisation du social dans les politiques publiques et dans les choix de politique économique? N’est-elle pas derrière le retrait de l’Etat dans la gestion et la régulation de l’ordre marchand? N’a-t-elle pas été à l’origine des dérives financières d’acteurs en quête de profit ? N’est-elle pas finalement à l’origine de tous les désordres et des turbulences que notre monde traverse depuis de longues années ?
La globalisation néolibérale est au centre des critiques et des remises en cause que nous vivons aujourd’hui face à la pandémie. Et, le Covid-19 semble bien annoncer sa crise suprême et le début de la quête d’un ordre global plus solidaire et porté par les valeurs humaines plutôt que par les intérêts individuels et la recherche effrénée du profit et l’appât du gain.
Et pourtant, cette crise n’est pas la première. De notre point de vue, la globalisation a traversé cinq grandes crises et mutations profondes qui auraient dû annoncer sa fin. Mais, elle a toujours réussi à se relever et à s’offrir à la face du monde comme l’ordre ultime des temps post-modernes et la seule forme d’organisation sociale et internationale.
La première est sans aucun doute la crise financière de 2008. La révision de la notation de Moody’s a été à l’origine de la faillite retentissante du mastodonte bancaire Lehman Brothers le 15 septembre 2008. La fin d’une ère pour l’un des fleurons de Wall Street, et le début de l’une des plus grandes crises financières de l’histoire du capitalisme et qui l’a mis au bord du gouffre.
Cette crise a été à l’origine d’une critique radicale de la globalisation néolibérale et des dérives financières qu’elle a entraînées et qui ont failli emporter le capitalisme. Cette crise sera à l’origine du retour de l’activisme des Etats pour recapitaliser les grandes banques et les sauver de la faillite, relancer l’économie, échapper à la grande dépression qui s’annonçait et mettre en place les nouvelles règles afin de faire face aux dérives des marchés financiers. On pensait que ces grandes réformes allaient sonner le glas de la globalisation débridée et ouvrir une nouvelle page dans l’histoire de notre globalité. Mais, une fois le spectre des faillites en cascade des grandes banques passé, nous avons repris nos habitudes comme si de rien n’était et la globalisation a repris ses droits.
La seconde crise de la globalisation néolibérale a fait suite aux printemps arabes à partir de janvier 2011. Certes, ces révolutions remettaient en cause l’autoritarisme et la tyrannie tout orientale des régimes arabes. Mais, au-delà des revendications d’une plus grande libéralisation des régimes politiques et l’ouverture de l’ordre politique arabe sur la modernité politique et l’universel des libertés, ces révolutions mettaient en exergue la marginalité et l’exclusion sociale de régimes considérés par les institutions internationales comme des élèves modèles. Les révolutions arabes vont mettre à l’ordre du jour la question sociale et feront l’une des critiques les plus acerbes de la globalisation ayant accentué les inégalités sociales qui seront au cœur des crises des systèmes démocratiques et de la montée du populisme. Cette critique sera documentée dans différentes études et essais qui deviendront des best-sellers globaux et contribueront à délégitimer la globalisation. Ces critiques seront à l’origine de l’arrivée de la question de l’inclusion sociale et des solidarités.
La troisième grande crise est liée à l’accident nucléaire de Fukushima le 11 mars 2011. C’était un accident industriel majeur qui s’est produit suite aux séisme et tsunami sur la côte pacifique de Tohoku. Cet accident a rapidement mis en lumière les effets dévastateurs de la globalisation sur la nature et la détérioration de notre environnement avec cette course effrénée au productivisme. Certes, les questions du réchauffement climatique étaient depuis quelques années au centre des débats globaux, mais sans que la communauté internationale soit en mesure de lever de grandes résistances et de ralentir le rythme et la vitesse de la globalisation. Or, Fukushima sera à l’origine d’un changement majeur dans le débat global et les impératifs du développement seront au centre de la quête d’une nouvelle globalité respectueuse de l’environnement et de la nature.
La quatrième crise est liée à un développement majeur survenu au cours de l’année 2013 avec l’avènement de la Chine comme la première puissance commerciale mondiale avec un poids total dans les échanges mondiaux de 11% dépassant ainsi pour la première fois les Etats-Unis dont la part était de 10,3%. Certes, la Chine était devenue depuis 2009 le premier exportateur mondial, mais elle va devenir progressivement la plus importante puissance économique mondiale et dans son sillage les nouvelles puissances émergentes dont l’Inde, le Brésil, l’Argentine, la Turquie, l’Afrique du Sud et bien d’autres pays en développement sortis de leur marginalité. L’avènement de ces nouvelles puissances va rompre l’hégémonie occidentale sur la globalisation néolibérale et l’ouvrir à l’Autre.
Enfin, la cinquième concerne la gouvernance globale et l’avènement du G20 en 2011 suite à la grande crise financière. L’avènement de cette nouvelle institution a montré les limites des formes traditionnelles des mécanismes de coopération internationale de la globalisation néo-libérale dont le G7 et le besoin d’un multilatéralisme nouveau ouvert à la diversité du monde et inclusif pour la marge et les plus faibles. Or, ces nouvelles formes ont été rapidement marginalisées et le G7 a repris ses droits. De même, les institutions internationales comme le FMI ou la Banque mondiale ont rechigné à faire les réformes nécessaires pour s’ouvrir aux autres nations.
La crise du Covid-19 ouvre une nouvelle ère dans les crises de la globalisation néolibérale. Sera-t-elle la plus importante et la crise suprême qui nous permettra de construire un nouveau monde global plus solidaire, inclusif et durable? Ou reprendra-t-elle ses droits dès que la crise du Covid-19 sera dépassée ? C’est de nous que dépendra l’issue de cette crise et de notre capacité à reconstruire le projet démocratique et solidaire mis à mal à travers le monde par l’égoïsme et la vanité du projet néolibéral.
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