Si la situation sanitaire en Tunisie est jusque-là sous contrôle, la crise corona comme toute crise majeure a de nouveau mis à l’épreuve la capacité de résilience, voire les fondements du modèle socio-économique du pays. Cette crise a mis en exergue les forces et les faiblesses internes, ainsi que les opportunités et les menaces externes à la Tunisie.
Au-delà de ses coûts, la crise nous a appris des leçons qui méritent considération et nécessitent de s’y intéresser de plus près pour rectifier le tir et éclairer le nouvel ordre des priorités de l’action publique au double plan conjoncturel et structurel.
La première leçon : l’investissement dans le développement humain est un facteur de résilience
En dépit des efforts consentis depuis l’indépendance par l’Etat tunisien dans le domaine de la santé, et qui ont largement contribué au relèvement de l’indice de développement humain (IDH) du pays, la qualité des services de santé publique s’est beaucoup dégradée durant les dernières années. La faiblesse relative des dépenses budgétaires au titre d’investissement et d’entretien des infrastructures sanitaires a créé au fil du temps un Gap d’investissement cumulé qui n’a pu être comblé. L’insuffisance du capital physique n’a pas été favorable à l’amélioration de la productivité du facteur travail malgré l’existence de ressources humaines hautement qualifiées dans le domaine de la santé en Tunisie. N’eût été la modération du bilan coronavirus, la situation aurait été dramatique en présence d’une infrastructure sanitaire anachronique.
Le rééquilibrage de la structure du budget de l’Etat en faveur des dépenses d’investissement social (santé et éducation) doit s’inscrire désormais dans la carte des interventions prioritaires des pouvoirs publics. La finalité étant de corriger les dysfonctionnements majeurs des services sociaux, notamment la santé, et renforcer par-là, la résilience des infrastructures publiques face aux crises.
La deuxième leçon: la stabilité macroéconomique est une condition essentielle de relance
L’avènement de la crise corona a coïncidé avec la poursuite de la détérioration des grands équilibres de l’économie tunisienne. Une fois les marges de manœuvre sont limitées, la capacité de réaction des pouvoirs publics à la déroute fort probable de l’économie nationale sous l’effet corona, buterait sur une double contrainte budgétaire et extérieure perceptible à travers un niveau déjà élevé d’endettement public et de déficit courant de la balance des paiements. Du coup, tout plan de relance économique en l’état actuel des déséquilibres macroéconomiques ne saurait être à même de produire les effets escomptés.
La persévérance dans le retour graduel à la stabilité macroéconomique s’érige ainsi en nécessité impérieuse non pas seulement pour rétablir les bases d’une croissance soutenue mais aussi pour reconstruire les armes de défense contre tout retournement brutal de la conjoncture.
La troisième leçon: le ciblage est un levier de justice sociale
La réforme du régime des subventions peine encore à voir le jour malgré les efforts déployés dans ce sens. Ce dernier continue à mettre le budget de l’Etat sous haute pression aux dépens des investissements productifs, mais aussi à favoriser l’injustice sociale en allouant des aides de l’Etat à des personnes non éligibles. Faute de ciblage, le système des subventions est de nature à créer des embarras chaque fois que les pouvoirs publics sont appelés à intervenir pour soutenir les populations démunies face aux aléas de la conjoncture ou pour apaiser les effets sociaux de certaines réformes, comme ce fut le cas des récentes majorations des allocations aux familles nécessiteuses face à l’épidémie corona.
En l’occurrence, la mise en place d’un identifiant unique facilitant la délimitation des populations cibles et autorisant par ricochet la réforme du régime des subventions publiques, s’impose en toute urgence.
La quatrième leçon : le numérique est un vecteur de productivité et de création de valeur
Au moment où le virus Corona nous a imposé le confinement total, le télétravail s’est fait sentir. Néanmoins, une bonne partie de nos secteurs se sont avérés insuffisamment, voire totalement non prêts au rendez-vous.
Pourquoi nos élèves ne peuvent reprendre leurs études à distance en plein confinement? Pourquoi nos fonctionnaires publics ne peuvent accéder à leurs fichiers de travail depuis leurs domiciles et faire leurs boulots correctement? Pourquoi nombre de nos administrations et entreprises privées ne sont pas équipées pour organiser leurs réunions de travail en visioconférence ? Pourquoi accusons-nous un tel retard ? Des questionnements lancinants qui n’ont guère de réponse, alors que les dotations de la Tunisie en matière de TIC sont bien reconnues. S’agit-il d’un paradoxe?
La promotion de la digitalisation dans l’ensemble des secteurs de l’économie est désormais un défi majeur à relever sans retenue, parce que les innovations organisationnelles ont une influence certaine sur les gains de productivité et la performance globale des structures publiques et entités privées.
La cinquième leçon: l’anticipation est une fonction première des États modernes
La présence de la dimension proactive dans la gestion publique de la crise sanitaire est à vrai dire encourageante au vu de l’ampleur du choc subi et les données défavorables de l’environnement interne et externe. La pro-activité du gouvernement qu’a fait montre le gouvernement dans la gestion sanitaire proprement dite et la gestion des retombées socio-économiques du coronavirus est une source de confiance.
La logique d’anticipation doit être pleine de promesses pour régner dans tous les domaines de l’action publique à l’avenir. La démarche de scenarii doit dorénavant guider les divers secteurs et animer toutes les politiques publiques. D’elle seule va dépendre l’efficacité du management public face à des changements géopolitiques, économiques, sociaux, technologiques et environnementaux de plus en plus violents.
La sixième leçon: la quête de sources de financement alternatives est un impératif
La survenance de la pandémie Corona ajoutant aux difficultés à l’œuvre a considérablement pesé sur la dynamique de financement de l’économie tunisienne. Face à une épargne nationale en décrue et un taux d’endettement assez élevé, les besoins de financement nationaux ne cessent de croître. Une équation qui ne semble pas être facile à résoudre si l’on songe à l’étroitesse de la portée des modes de financement traditionnels, en l’occurrence la fiscalité et les fonds extérieurs au vu des tensions que connaissent les marchés de capitaux internationaux.
Eu égard a ces considérations, plus que jamais la recherche de nouvelles voies de financement non conventionnelles est de mise. Il est ainsi question d’explorer les gisements de la finance informelle, voire souterraine, et de ne pas lésiner sur les moyens, en attendant la reconstitution de l’épargne domestique et l’afflux recherché des IDE.
La septième leçon: la solidarité est un facteur clé de performance
L’élan de solidarité dont ont fait preuve les forces vives de la société tout au long de la crise Corona, est incontestablement édifiant. Entre dons, réquisition d’espaces d’hébergement, d’équipements et de moyens divers, et soutien humain aux efforts de l’Etat dans sa lutte contre l’épidémie, la société civile, le secteur privé, les partenaires sociaux ont confirmé l’importance de la solidarité, de la responsabilité collective et des valeurs éthiques dits lourds leurs formes, sont un facteur capital de performance économique et sociale.
L’intervention de l’Etat dans la gestion des crises et la promotion du développement sont une condition nécessaire mais non suffisante. Tout de même, le rôle des alliances durables entre les différents acteurs socio-économiques n’est pas des moindres. Songer à un nouveau modèle de développement ne peut se passer en effet de l’incorporation de la dimension solidarité dans les comportements individuels et collectifs, la mieux à même de bâtir un avenir radieux de la Tunisie nouvelle.
Certes, l’impact socio-économique de la crise actuelle va être énorme, mais il y a des opportunités à prendre, lesquelles consistent à mettre en avant nombre de réformes rendues extrêmement prioritaires par la crise Corona. Après tout, on n’a pas de choix, il importe de prendre le taureau par les cornes. Surtout, il ne faut pas avoir peur du changement!
Alaya becheikh