De temps à autre, le syndicat de base de la STAM déclenche une grève surprise qui exaspère les acteurs économiques et provoque un malaise chez les politiques, incapables de reformer la gestion du port de Radès, source de contre-formances croissantes.
Or les chiffres et les faits ont la tête dure. Le commerce extérieur de la Tunisie a été multiplié par 4 ou 5 depuis vingt ans, mais les infrastructures portuaires et la logistique ont peu évolué, ce qui est anachronique et irrationnel. Les investissements consacrés par l’Etat aux ports commerciaux sont restés tout à fait minimes. Pire, les modes de gestion des ports sont restés figés.
Alors qu’en Europe, il ne s’agit plus que de ports autonomes où toutes les parties prenantes ont fusionné : il n’y a plus qu’une seule autorité qui concentre tous les pouvoirs pour gérer dans la cohésion les intérêts de toutes les parties en présence. Chez nous, il faut coordonner les activités et les intérêts de la Douane (taxation), la Police (sécurité frontalière), celles des autorités portuaires (administration) et des transporteurs maritimes et le respect de la législation commerciale et industrielle locale. Tout cela est source de confusion, de complications coûteuses et de pertes d’un temps précieux.
Le diagnostic de la Banque mondiale à propos du port de Radès est sans réplique.
Notre pays a perdu depuis dix ans 40 places au classement international établi par la BIRD en matière de compétitivité des services portuaires, celui du « Logistic performance Index » en passant du rang 30 en 2007 à la 105e place en 2018.
En effet, selon le responsable des opérations de la Banque mondiale en Tunisie, le port de Radès qui concentre 80% du trafic conteneurs du pays est le maillon majeur d’intégration de la Tunisie dans les chaînes de valeur mondiales. Or, les indicateurs de performance de ce complexe portuaire sont en régression sensible depuis dix ans.
Le séjour des conteneurs au port de Radès est de 18 jours en moyenne en 2019, alors qu’il était de 10 jours il y a dix ans. Au Maroc, à titre comparatif, c’est 6 à 7 jours.
Cela signifie l’inefficacité des différents intervenants : services de Douane, contrôle technique, STAM, COTUNAV… une réduction de dix jours correspondrait à une économie de coûts annuelle de 500 millions de dollars : excusez l’importance du montant qui coïncide avec 1,25% du PIB. Réduire d’une journée le délai représenterait pour les exportations un revenu supplémentaire de 400 millions de dollars, soit 1% du PIB.
Il faut comprendre que la STAM, une société de services névralgiques pour l’économie tunisienne à forte intensité de main-d’œuvre est un bastion historique pour l’UGTT au même titre que la TRANSTU ou Tunisair, C’est pourquoi, le syndicat de base est soutenu ne serait-ce que du bout des lèvres par la direction de la Centrale syndicale.
Alors que le personnel s’accroche désespérément à des privilèges dépassés par le temps, par les avancées technologiques et surtout les impératifs de la compétitivité, l’économie nationale est asphyxiée d’autant que la STAM n’est pas au hit-parade du rendement horaire du nombre de conteneurs déchargés ou chargés. Plusieurs bateaux restent en rade durant plusieurs jours … ce qui coûte très cher pour tous.
Pays pauvre et petit, mais doté de grandes ambitions, le salut de notre pays tient à son dynamisme exportateur et à l’ingéniosité de ses enfants à créer de la valeur ajoutée à partir de matière premières qu’il ne détient pas. D’où la nécessaire vitalité et compétitivité des activités portuaires.
Le profil et le mode de transport ont profondément évolué depuis 20 à 30 ans : les containers et les semi-remorques représentent 90% du fret maritime alors que le vrac : caisses à claire-voie ou sous forme d’emballages maritimes ne représentent plus que 10%.
Le personnel de la STAM doit admettre qu’il faut évoluer avec son époque : nous ne sommes plus dans les années 80 et 90 lorsque le savoir-faire des « pointeurs » faisait merveille et permettait d’identifier « le tas précis du quai couvert par une bâche » où le bateau X a débarqué le 6 juin dernier les 5 caisses en bois portant le marquage Y et pesant le poids Z ce qui favorisait les opérations de visites techniques ou de contrôle douanier et par suite les opérations d’enlèvement des marchandises. Si le pointeur est absent pour une raison ou une autre, c’est l’incertitude absolue.
Désormais, l’information et l’électronique permettent de tout organiser et de favoriser l’amélioration du rendement du port, source de compétitivité pour notre économie chancelante.
Le personnel de la STAM rejetterait toute évolution technique, car il craint les pertes d’emploi et de ses privilèges, alors qu’il faudrait relever le défi de la concurrence par la qualité des services et la performance de la productivité.
Faire grève est certes un droit consacré par la Constitution. Y recourir pour un oui ou pour un non peut constituer un délit. Ce droit devrait rester uniquement un ultime recours.
C’est pourquoi, certains pays ont créé ce qu’on appelle pudiquement un « service minimum », une sorte d’urgence quand il s’agit d’un secteur stratégique alors que cela s’apparente à une sorte de réquisition de la part de l’Etat au profit des intérêts nationaux.
Pourquoi ne pas légiférer dans ce sens au cas où cela n’est pas valable, par exemple, lorsqu’il s’agit de santé, de transport, de production et distribution énergétique et denrées alimentaires. Les intérêts corporatistes ne doivent jamais primer sur ceux généralistes.
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